Elle est considérée comme le fleuron artistique et le moteur économique de toutes les foires d’art en France. Dans un monde de secousses géopolitiques où le marché de l’art se rétrécit, Art Basel Paris accueille du 24 au 26 octobre 206 galeries du monde entier vendant des œuvres, dont certains valent des millions d’euros. Présenté par la galerie Bank, installée à Shanghai et New York, l’artiste chinois Duyi Han nous parle de ses créations à la fois plaisantes et déroutantes.
RFI : que signifie pour vous d’être ici à Art Basel Paris ?
Duyi Han : C’est la première fois que j’ai une exposition personnelle à Art Basel. Le fait d’être à Paris me permet de montrer mon travail à un public international très important. Le salon au Grand Palais dégage une atmosphère et une esthétique très particulières et un cadre raffiné pour exposer mon travail.
Que faites-vous découvrir aux visiteurs ?
Je présente deux projets. Le premier est un ensemble de sculptures-meubles intitulé Ordinance of the Subconscious Treatment, et le second est un projet de papier peint et de broderies encadrées intitulé Visions of Bloom.
Vous décrivez Ordonnance du traitement subconscient comme une collection d’objets et d’environnements neuro-esthétiques qui explore les thèmes de la santé mentale et de la culture chinoise contemporaine.
Les pièces ont la forme d’objets que l’on trouve dans les temples chinois. Elles sont brodées sur de la soie. Elles comportent de nombreux motifs et symboles. En fait, elles représentent les structures moléculaires de substances chimiques liées à la santé mentale. Et elles comportent également des textes concernant la santé mentale, par exemple des paroles de chansons de l’artiste américaine Billie Eilish et des questions thérapeutiques. Ce groupe d’œuvres représente donc un système de croyances contemporain dans la recherche du bonheur.
Pourriez-vous nous donner un exemple de votre approche de la santé mentale ?
Par exemple, il y a deux armoires qui ressemblent à des brûleurs d’encens chinois et à des pagodes. Sur le meuble, il y a ces symboles ronds qui représentent la structure chimique de l’ocytocine, un neurotransmetteur lié au sentiment d’étreinte, de bonheur et d’accouchement. Il y a aussi des textes qui ressemblent à des mantras sur le bien-être. Par exemple, la phrase « rester distant est un choix ». Sur une autre lampe, on peut lire les paroles de Billie Eilish : « My doctors can’t explain my symptoms or my pain » (« Mes médecins ne peuvent pas expliquer mes symptômes ni ma douleur »). Tout ce contenu est donc lié à l’idée de ce désir contemporain de rechercher le bonheur, dans une perspective de santé mentale.
Visions of Bloom est une œuvre totalement différente qui ambitionne d’ouvrir les systèmes esthétiques classiques chinois.
Il y a un très grand papier peint. Il ressemble à une galerie de trésors asiatiques très historiques contenant de nombreuses petites pierres précieuses. Et toutes ces pierres sont des modèles 3D de molécules de protéines, qui sont les éléments constitutifs de la vie. Ce projet rassemble des images culturelles et des images issues de la nature, de la science de pointe. Et nous avons quelques petites broderies encadrées qui ressemblent à des lettres et des écritures asiatiques. Mais ces écritures représentent en fait la séquence d’acides aminés à l’intérieur des molécules de protéines, qui est la façon dont la nature écrit ses codes. Cela permet de comparer cela avec la manière dont les humains développent leurs systèmes d’écriture et d’établir des liens. Cela nous amène à considérer une sorte de loi générale de la création entre l’humain et la nature.
Pour vous, la nature et l’humain sont très similaires dans leur processus de création ?
Oui. L’année dernière, le prix Nobel de chimie a été décerné à des scientifiques [Demis Hassabis et John Jumper, NDLR] qui ont utilisé l’intelligence artificielle pour calculer toutes les structures protéiques présentes dans la nature. On constate donc qu’il existe des liens complexes entre l’artificiel et la nature.
Vous êtes né à Shanghai, en 1994. Comment êtes-vous venu à l’art ? Comment êtes-vous devenu artiste ?
À l’origine, j’ai étudié le design architectural à l’université. Puis j’ai essayé de développer une approche personnelle dans la création. Et j’ai réalisé qu’en faisant du design et de l’art, je pouvais rassembler beaucoup d’intérêts, pas seulement l’architecture. Depuis cinq ans, j’ai donc lentement commencé à créer mes œuvres et à réaliser quelques projets spécifiques. C’est ainsi que les choses se sont passées.
Vous avez étudié et exposé en Chine, mais aussi en Suisse et aux États-Unis. Les réactions du public et celles des marchés de l’art sont-elles différentes ?
Selon les endroits, les gens ont tendance à avoir des centres d’intérêt légèrement différents. Mais je pense qu’il y a quelque chose d’universel dans mon travail qui fait réagir tout le monde. Bien sûr, le public chinois connaît peut-être mieux le contenu culturel spécifique et cela suscite des réactions plus vives. En revanche, aux États-Unis et en Europe, mon travail de design suscite peut-être une réaction plus forte, car les gens sont plus habitués à ce type de travail expérimental.
Votre installation est dominée par la couleur jaune. Les spectateurs réagissent-ils différemment selon les pays ?
Oui. Lorsque j’ai présenté cette œuvre à la Milan Design Week, les gens ont adoré cette couleur jaune vif. Mais lorsque je l’ai montrée à un public chinois, certains ont trouvé qu’elle avait un lien étroit avec les cérémonies religieuses ou funéraires, etc. Il existe bien sûr différentes interprétations culturelles, mais lorsqu’ils comprennent le sens réel de l’œuvre, ils se rendent compte que le concept est tout à fait logique. Et cette prise de conscience est très importante dans l’expérience de mon œuvre.
À Art Basel Paris, l’essentiel pour les artistes et les galeristes est de vendre. Quel est le prix de votre installation ?
Pour l’ensemble exposé ici, le prix est supérieur à 100 000 euros.
Art Basel Paris 2025, du 24 au 26 octobre au Grand Palais.