Une flotte fantôme installant dans l’Arctique des milliers de kilomètres de câbles, des sonars et des radars pour détecter les sous-marins de l’Otan et protéger l’arsenal nucléaire Russe. Loin du synopsis du prochain James Bond, il s’agit des révélations du journal Le Monde et d’un consortium de médias internationaux appelé « Russian Secrets ».

« Grâce à des sociétés-écrans, Moscou a acquis des technologies occidentales de pointe qui ont alimenté un réseau sous-marin secret visant à protéger ses armes nucléaires », expliquent ainsi les journalistes à l’origine de l’enquête. Ce projet militaire secret, ironiquement dénommé « Harmonie » (Гармония), a été mis au jour par une enquête collaborative, coordonnée par la chaîne de télévision allemande NDR.

Sonars, drones, enregistreurs acoustiques, câbles optiques…

Pour mettre en place ce système d’espionnage, la Russie a acheté des biens « à double usage », c’est-à-dire pensés pour des utilisations dans le secteur civil (industriel ou scientifique), mais susceptibles d’être détournés dans un but militaire. Ainsi, des sonars américains, des drones submersibles britanniques, des antennes suédoises, des systèmes de positionnement acoustiques de haute précision allemands, ou encore des enregistreurs acoustiques sous-marins français, ont été vendus à Moscou.

Aussi, les documents consultés par les journalistes démontrent l’achat de milliers de kilomètres de câbles optiques sous-marins provenant d’Allemagne et du Japon. « Ensemble, ces matériels forment un système intégré, capable de surveiller de vastes étendues dans l’Arctique, où une bonne partie des sous-marins russes assurent la dissuasion nucléaire de Moscou », expliquent les médias.

L’enquête porte sur le matériel, mais aussi sur la façon dont il a été installé. Neuf bateaux, qui rappellent la « flotte fantôme » russe utilisée par Moscou pour contourner l’embargo sur le pétrole, ont ainsi été pistés par les journalistes. En suivant la route de ces navires, ils ont « pu cartographier cette infrastructure sous-marine secrète jusqu’en mer de Barents » et identifier plusieurs « centres névralgiques » du projet « Harmonie » : Mourmansk, plus grande ville du monde au nord du cercle polaire arctique, la Nouvelle-Zemble, un site connu d’essais nucléaires, et la terre d’Alexandra, « qui abrite des positions militaires russes », précise Le Monde.

Deux sociétés françaises ont vendu du matériel au programme d’espionnage russe

Ces navires ont été vendus à Moscou « en toute connaissance de cause par certains de leurs anciens propriétaires, de petits armateurs européens », écrivent les journalistes de « Russian Secrets ». D’autre part, l’enquête montre que, concernant le matériel technologique, « un réseau complexe de sociétés-écrans a été mis sur pied » pour cacher sa destination réelle.

Les responsables du projet « Harmonie » « ont multiplié les couches d’opacité, allant jusqu’à créer un trust, une structure juridique offrant un niveau d’anonymat presque total, conçue pour effacer toute trace de propriété réelle », précise le consortium.

Parmi les sociétés ayant vendu du matériel à destination de ce programme d’espionnage figure deux entreprises françaises. iXblue ainsi fourni du matériel acoustique au projet « Harmonie », tandis que RTsys lui a procuré des enregistreurs sous-marins autonomes.

Interrogée, iXblue dément toute relation commerciale directe avec les intermédiaires du programme, mais reconnaît avoir vendu « en Russie, avant 2022, du matériel à vocation scientifique et-ou industrielle de type opération offshore », ajoutant que « ces ventes ont été réalisées dans le strict respect des sanctions et avec les autorisations des autorités françaises compétentes lorsque nécessaire ».

L’ancien président de RTsys, en poste au moment de la conclusion de ces contrats, n’a pas répondu aux sollicitations du Monde. Cependant, le groupe Sea Vorian, qui a racheté l’entreprise en 2021, explique : s’il n’a pas « l’historique exact des années évoquées », il dit comprendre que « ces ventes consistaient notamment en la fourniture de courantomètres et de sondes de mesure de qualité de l’eau de mer ». Et de préciser que « les procédures internes ont été renforcées en 2022 après [le] rachat de l’entreprise », et d’ajouter que ses « ventes à l’export sont soumises au contrôle de l’État » et que « les services de l’État sont satisfaits de [son] sérieux ».

Car l’enjeu est bien là : depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et l’invasion de l’Ukraine en 2022, la Russie est sujet à des sanctions. Qu’une société européenne fournisse du matériel militaire à Moscou contrevient lourdement à ces sanctions.

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