Alors que revient avec insistance la question d’un nouvel alourdissement de la fiscalité sur les héritages, il importe de rappeler ce que signifie réellement transmettre ; non pas seulement un bien, mais une mémoire, un effort, une continuité. Régulièrement, le débat public ressurgit en opposant, de manière démesurée, le bien commun à la richesse privée.
Pourtant, l’un et l’autre ne s’excluent pas : chaque réussite individuelle peut porter en germe un progrès collectif, une part de beauté ou de culture offerte à tous. Le bien commun s’enracine dans la responsabilité personnelle, le goût de l’effort, la volonté de bâtir pour transmettre. Préserver l’héritage, c’est préserver la cohésion de la cité, ce fil invisible qui relie ceux qui ont édifié à ceux qui édifieront à leur tour ; un trait d’union entre les générations, une trace du passage, une mémoire partagée.
L’héritage, « une mémoire, un symbole »
La sagesse d’un pays se reconnaît à la manière dont il traite ce qui a été patiemment bâti. Dans les périodes où vacille l’équilibre budgétaire, la tentation grandit de considérer l’héritage comme une simple réserve de ressources. Mais la solidité d’une nation ne se mesure pas à sa capacité à alourdir l’effort passé. Elle se juge à son respect pour le travail accumulé, pour la patience des bâtisseurs, pour le temps long des existences qui s’additionnent. S’attaquer à la transmission, c’est méconnaître qu’elle est d’abord un acte de confiance entre les âges, un serment silencieux de continuité.
L’héritage, en France, dépasse la valeur comptable des biens. Il incarne une mémoire, un symbole, souvent le fruit d’une vie de labeur discret. Il réside dans la maison qu’un grand-père a construite pierre après pierre, dans le commerce qu’une mère a tenu avec constance, dans les économies patiemment réunies pour offrir à ses enfants une stabilité que l’on espère durable.
Notre pays compte déjà parmi ceux où la succession est la plus lourdement imposée.
Au-delà du patrimoine matériel, il exprime un héritage moral : celui du courage, de la persévérance et du sentiment d’appartenir à une histoire plus vaste que soi. Accroître la charge qui pèse sur ces transmissions reviendrait à affaiblir la valeur morale du travail et à rompre le fil de la continuité familiale.
Notre pays compte déjà parmi ceux où la succession est la plus lourdement imposée. Selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires publie en décembre 2023, la France détient le record des prélèvements sur successions et donations parmi 39 Etats de l’OCDE et de l’Union européenne : 0,74 % du PIB*. Là où d’autres nations protègent la transmission familiale, la nôtre semble parfois la suspecter, comme si la prévoyance devenait faute et la réussite, soupçon.
Or le patrimoine transmis n’est jamais un miracle soudain : il naît de l’effort, du renoncement et du temps. L’héritage ne constitue pas un gain, mais la trace d’une vie déjà donnée. L’alourdir reviendrait à imposer plusieurs fois le même travail, à effacer peu à peu la signification même du mot transmission, et, avec elle, l’idée que la prévoyance et la constance méritent reconnaissance.
Protéger la transmission ne revient pas à refuser la solidarité nationale, mais à lui rendre son équilibre. La propriété issue de l’effort et du mérite demeure un espace de liberté et de responsabilité, un terrain d’ancrage pour les familles, un lien vivant entre passé et avenir.
À travers la fidélité aux héritages, c’est une certaine idée de la France qui s’exprime : celle d’un pays où l’on travaille non pour soi seul, mais pour ceux qui suivront. Une vision plus confiante de la transmission s’impose. Elle invite à voir dans l’héritage non une anomalie à corriger, mais une richesse à préserver. La continuité familiale, loin de contredire la justice sociale, en prolonge l’esprit : elle enseigne la responsabilité, le respect du temps et la gratitude envers ceux qui ont précédé. Le bien commun se nourrit de cette confiance dans la durée.
Préserver le patrimoine, c’est honorer la mémoire du travail, la dignité de l’effort et la constance des générations. Les fruits d’une vie ne devraient pas se dissoudre dans les aléas de la conjoncture. Un pays se renforce non en affaiblissant ceux qui bâtissent, mais en leur donnant les moyens de transmettre. Redonner à l’héritage la place qu’il mérite, c’est renouer avec la France des bâtisseurs, celle qui fait du lien entre les générations la plus belle expression de sa justice et de sa force.
*Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), décembre 2023, «Pour une fiscalité du logement plus cohérente »