«Je ne sais même pas où c’est ! », s’est agacé Donald Trump face à la carte du front ukrainien, présentée par Volodymyr Zelensky lors d’une réunion houleuse, vendredi 17 octobre. Depuis le début de son entrée en politique, le président des Etats-Unis fait montre d’une connaissance géographique que l’on pourrait qualifier (a minima) de lacunaire. Dès janvier 2016, il avait concentré les critiques moqueuses après avoir évoqué un fait divers à Paris et commenté dans le même tweet : « L’Allemagne est un véritable désastre ».

En une décennie, le magnat de l’immobilier a eu le temps d’étoffer sa collection de bourdes géographiques : la Belgique a été qualifiée de « belle ville », le Népal surnommé « Nipple » (« téton », en anglais), l’Alaska et la Finlande placée en Russie ou encore le Colorado déplacé à la frontière avec le Mexique, pourtant distant d’environ 800 kilomètres.

« Donald Trump est nul en géographie, confirme d’un sourire Stéphane Rosière, géographe et géopolitologue. Mais ce n’est pas le premier président américain à avoir des lacunes. » En 1982, Ronald Reagan avait ainsi porté un toast au « peuple bolivien » lors d’un dîner d’Etat à… Brasilia. Plus récemment, Gary Johnson, l’un des rivaux de Trump lors de la présidentielle de 2016, interrogé sur la ville syrienne d’Alep avait répondu : « Qu’est-ce que c’est, Alep ? »

Des Américains moqués pour leur niveau

« A la différence de ses prédécesseurs, Donald Trump semble exempt de tout filtre. Il n’a pas l’air d’écouter les conseillers qui travaillent pour lui ou de lire les notes qui lui ont été rédigées afin d’éviter qu’il ne débite des idioties », analyse Stéphane Rosière. Pire encore : le président américain a habitué les Etats-Unis (et le monde) à ses réactions à chaud, directement transcrites sur les réseaux sociaux. « Cela lui permet de raconter n’importe quoi, au risque d’écorner son image ou la vérité », ajoute le géographe. Mais la criante méconnaissance du monde de Donald Trump choque plus à l’international qu’à domicile.

Et pour cause. Les Américains sont connus (et moqués), pour leur méconnaissance en géographie et les mines défaites des passants américains face à un planisphère font les choux gras d’Internet depuis des années. Un sondage du National Geographic montrait ainsi en 2006 que moins d’un Américain sur trois était capable de trouver le Royaume-Uni sur une carte du monde. Au-delà du cliché, la géographie est effectivement considérée comme une discipline secondaire aux Etats-Unis.

Elle est enseignée au sein des « social studies », qui comprennent souvent l’histoire, la géographie, la sociologie, l’éducation civique et l’économie en un seul cours. Et d’après un rapport du gouvernement fédéral datant de 2015, plus de la moitié de ces professeurs consacrent moins de 10 % de leur temps d’enseignement à la géographie. En 2018, le Programme d’évaluation des progrès dans le système éducatif américain (NAEP) expliquait que seul un élève de 4e sur cinq avait suivi un cours abordant principalement la géographie et ne notait aucune amélioration du niveau depuis 1994.

Une « tradition isolationniste »

La géographie n’a jamais fait partie des priorités des Américains de tous les jours ou même de leurs dirigeants. « Les Etats-Unis ont pour habitude de refuser de s’intéresser à l’étranger. La revue Foreign Affairs est née dans les années 1920 avec justement pour objectif d’améliorer la connaissance du monde et de la géographie internationale chez les Américains et leurs dirigeants, jugés trop ignorants. Il y a un siècle, on observait donc déjà le même désintérêt pour le reste du monde », illustre Stéphane Rosière. Après leur indépendance, les Etats-Unis ont cultivé un éloignement des affaires européennes.

Ils ne sont ainsi entrés dans la Première Guerre mondiale qu’en 1917, après trois années de neutralité, et en 1941 dans la Seconde Guerre mondiale, poussés par l’attaque de Pearl Harbor. « Donald Trump s’inscrit dans une tradition isolationniste américaine qui méprise ou se désintéresse du reste du monde », explique le géographe qui note tout de même que le républicain pousse particulièrement en ce sens. « Avec Trump, c’est « America First » dans le domaine économique, idéologique et même psychologique. » Au risque de n’avoir parfois aucune notion des enjeux et des équilibres délicats qui façonnent les relations internationales.