A la cour d’assises de Paris,
Que se passe-t-il dans la tête de Dahbia Benkired ? Trois psychiatres ont examiné, après son arrestation, la jeune femme de 27 ans, accusée du meurtre et du viol de Lola Daviet, 12 ans, en octobre 2022. « On serait soulagé de se dire que cet acte a été fait par un fou, par une folle », souffle ce jeudi matin le président de la cour. Car si l’Algérienne comparaît devant la cour d’assises de Paris, c’est parce que les experts ont tous estimé que son comportement n’était ni altéré, ni aboli, le jour des faits. Et qu’elle est donc accessible à une sanction pénale. « Il est important de ne pas confondre la folie d’un acte avec la folie de son auteur », explique à la barre Karine Jean, 43 ans, psychiatre des hôpitaux, qui a rencontré l’accusée à trois reprises à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), en novembre 2022.
Lors de leur première rencontre, Karine Jean a eu « un contact globalement fermé » avec l’accusée qui avait « une attitude contestataire et opposante ». Elle a décelé chez cette jeune femme « fluette », à « l’allure très juvénile », et au visage marqué par des « cicatrices d’acné », « une volonté de maîtriser l’instant ». Dahbia Benkired était très attentive « à ce qui pouvait se dire sur son compte » dans les médias. Et elle s’est montrée « tout à fait frustrée de ne pas susciter l’intérêt qu’elle attendait ». Ce jour-là, la jeune femme « ne se souvenait plus de rien », « n’arrivait plus à parler français ». A la fin de l’entretien, elle a regardé la psychiatre « de manière très froide, très soutenue, dans une volonté de domination ». « Pas la peine d’insister », Karine Jean a mis « un terme » à la rencontre.
Quand elle la revoit, trois jours plus tard, Dahbia Benkried se montre « courtoise », « décontractée ». Mais les réponses qu’elle apporte sont « à côté » de la plaque. « Le contenu du discours est pauvre, avec une volonté manipulatoire », observe la psychiatre. Le troisième entretien se passe « de la même manière ». Karine Jean relève « beaucoup de propos contradictoires » chez l’accusée. « On avait vraiment un discours en creux qui ne permettait pas de saisir Mme Benkired dans sa totalité », observe la médecin. L’accusée était, selon elle, « dans une volonté de domination et de maîtrise de l’instant comme on en rencontre peu, en tout cas chez les femmes ». La psychiatre n’a décelé chez elle aucun « trouble de l’humeur », aucun « trouble de la pensée », aucun « trouble bipolaire », aucun « élément délirant », aucun « élément anxieux ». Elle n’était pas « dépressive » et son intelligence « se situait dans le spectre large de la normale ».
Dahbia Benkired s’est dite « hétérosexuelle de manière exclusive ». « Elle a mentionné que, toute sa vie, on l’aurait violée », indique aussi la psychiatre, précisant que « rien n’était très clair » dans les faits rapportés par l’accusée. Le jour des faits, l’accusée aurait « perdu le contrôle », se serait sentie « comme un pantin ». Elle a rechigné à reconnaître clairement son implication dans le meurtre et le viol de la préadolescente. « Elle dira qu’elle a été violée et empoisonnée et qu’elle était sous influence », rapporte la médecin.
Au cours de ces rencontres, Dahbia Benkired s’est montrée « provocante, cynique » et « évasive ». « Elle semait le trouble et la confusion chez son interlocuteur », raconte Karine Jean qui, au final, n’a « rien retenu » de l’accusée. Elle a même ressenti pour la première fois « en quize ans d’expérience en milieu carcéral », un « malaise ». L’experte a observé chez elle une « haute tendance à la psychopathie ». L’accusée « a besoin de l’autre, besoin d’un rapport dominant dominé ». « Elle investit l’autre comme un objet qu’on prend qu’on casse, qu’on jette. Cela lui procure de la jouissance mégalomaniaque. »
Karine Jean n’a relevé aucun « trouble psychique qui aurait altéré ou aboli son discernement ». A-t-elle pu commettre les faits à cause de Mustapha M., son ex-compagnon, comme elle l’a affirmé au cours du procès ? « Ça me semblerait une explication un peu simpliste », estime l’experte, soulignant que l’accusée « a une tendance à la déresponsabilisation très nette ». « Je pense que la motivation est avant tout sexuelle, avec quelque chose qui aurait pu faire écho à un traumatisme très infantile dont elle n’aurait pas pleinement conscience, pour ensuite engendrer le décès de cette enfant », avance la psychiatre.
Crâne rasé
La défense avait sollicité une contre-expertise confiée par la juge d’instruction à Liova Yon et Raphaël Gourevitch, qui exercent tous deux à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Ils ont rencontré trois fois, en six mois, Dahbia Benkired qui était placée en unité pour malades difficiles. Ils se sont retrouvés face « à une femme qui se présente avec un crâne rasé », raconte Liova Yon à la barre de la cour d’assises. Sa biographie est « très lacunaire », « difficile à retracer » et comporte « des éléments contradictoires », en particulier concernant les viols qu’elle aurait subis étant enfant. Lui et son collègue n’ont repéré « aucun symptôme de stress post-traumatique » chez elle.
Les deux experts n’ont décelé chez l’accusée « aucun trouble de la logique et du raisonnement ». « Sur certains thèmes, les faits qui lui sont reprochés, le discours est plus confus, note Liova Yon. Elle s’engage dans des réponses assez creuses, assez vides, mais qui ne permettent pas de s’engager sur une piste psychotique. » « Pour ne pas répondre aux questions », elle a évoqué avec les médecins « des éléments mystiques, des phénomènes bizarres ». Pour autant, ils estiment qu’elle ne délire pas et « aucun élément » n’a été décelé leur permettant de penser « qu’elle a pu délirer dans le passé ou au moment des faits même ».
« Aucune empathie pour la victime et sa famille »
Elle « ne présentait pas, au moment des faits, de trouble mental caractérisé de nature à agir sur son libre arbitre », insistent les deux experts. Ils n’ont décelé chez Dahbia Benkired « aucune empathie pour la victime et sa famille ». Au contraire, l’accusée s’est montrée « très préoccupée par sa situation judiciaire » et a regretté que « personne » ne se mette à sa place. En entendant ces propos, certains proches de Lola sont en pleurs.
Cette épreuve judiciaire, qu’ils endurent depuis cinq jours, touche presque à sa fin. Vendredi, l’avocat général présentera ses réquisitions. L’avocat de Dahbia Benkired plaidera pour tenter d’éviter à sa cliente la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict devrait être rendu dans la soirée.