Les réalisateurs dénoncent au Figaro une censure, tandis que des spectateurs refoulés témoignent de leur incompréhension. La Ville assure qu’il ne s’agit «en aucun cas» d’une interdiction générale du film à Marseille.

Après la SNCF et la RATP, c’est au tour de la mairie de Marseille d’invoquer la laïcité pour écarter Sacré-Cœur. Mercredi 22 octobre, la séance prévue au château de La Buzine – ancienne propriété de Marcel Pagnol et qui accueille désormais la « Maison des cinématographies de la Méditerranée » – a été annulée une heure avant le début. Le motif : une «atteinte au principe de laïcité» dans un lieu appartenant à la Ville.

Le film, un docu-fiction réalisé par Steven et Sabrina J. Gunnell sur les apparitions du Christ à sainte Marguerite-Marie Alacoque à Paray-le-Monial (1673-1675), est sorti le 1er octobre 2025 et cumule «près de 200.000 entrées en trois semaines» dans un paysage cinématographique français à la peine. «Nous sommes très émus, il y a beaucoup d’émotion… C’est assez incroyable !», confie Steven Gunnell au Figaro.


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«Ils ont ouvert une porte pour les autres…»

La séance marseillaise était portée par une association dans le cinéma installé au sein du château. «On censure ce film, ça fait mal. On est tristes pour les personnes à qui on a refusé l’accès, qui plus est une heure avant le début programmé de la séance», déplore Sabrina Gunnell.

Les réalisateurs, alors à Paris, affirment avoir découvert la déprogrammation «à la suite d’un post» sur X. Sabrina Gunnell raconte avoir reçu le message d’une spectatrice expliquant : «On s’est pointés avec ma belle-sœur… On leur a dit “pour cause de laïcité, le film est refusé”». Pensant d’abord à une interdiction généralisée à Marseille, Steven Gunnell a réagi dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux.

«Le problème est qu’ils ont ouvert une porte. D’autres cinémas peuvent s’inspirer de cette interdiction désormais. J’aurais pu comprendre une telle opposition si c’était un film qui faisait l’éloge du troisième Reich… mais on parle d’amour, du bon Dieu, de Jésus, d’un contexte français et historique !», plaide le coréalisateur. De son côté, sa femme Sabrina évoque d’autres embûches : «En Ariège, dernièrement, une petite salle a répondu “on ne diffuse pas ces films-là, c’est extrémiste”. Des gens s’organisent et font deux heures de route pour aller le voir à Toulouse. D’un côté il y a la censure, et de l’autre ces petits miracles.»

Catholique converti, Steven Gunnell assume un propos plus frontal : «Je vois bien un engourdissement chez les chrétiens : ils craignent trop. Il faut qu’on investisse la cité. Sortons la croix et montrons-la, comme d’autres montrent leur kippa ou leur djellaba ! » Et de poursuivre : «Je ressens de l’écœurement et du dégoût… Le monde du cinéma souffre et ce film est une bénédiction : beaucoup de cinémas nous le disent. Alors, pourquoi l’empêcher ?» Et d’ajouter : «Dites-moi : combien de films en ce moment font 10.000 entrées par jour ? Très peu. Je bénis et je remercie les musulmans, les juifs et tous ceux qui vont voir le film par solidarité… Ils nous disent merci pour ce pan d’histoire inconnu.»

Sabrina Gunnell abonde : «Il n’y a vraiment que le Christ qui peut unir ainsi dans la différence, mais Benoît Payan  préfère diviser. À croire qu’il n’y a pas des problèmes plus graves à Marseille !»


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«Des spectateurs sortaient en colère»

Sandrine, spectatrice refoulée à l’entrée du cinéma, témoigne auprès du Figaro : «On est venus avec mon mari très en avance, pensant qu’il y aurait du monde. Pas de réservation en ligne, donc pas de remboursement. Des spectateurs sortaient en colère : la directrice leur a dit que la séance était annulée, à cause d’une demande de la mairie de Marseille “au titre de la laïcité”. Il y avait une séance par jour jusqu’au 28 octobre. À 18 h 40, pour une séance à 19 h 40, nous avons appris ça. C’est incroyable de ne pas avoir la liberté de voir les films que l’on souhaite…», lance-t-elle, abasourdie.

Dans un communiqué daté du jeudi 23 octobre 2025, la Ville de Marseille «tient à clarifier la situation» : la décision de ne pas maintenir la séance «dans un équipement municipal» procède de «l’application absolue de la loi et des jurisprudences constantes en la matière» ; «les services de la Ville sont strictement tenus d’appliquer la loi de 1905 : un équipement public ne peut accueillir des projections qui, par leur caractère ou leur contenu, soient de nature confessionnelle».

La municipalité insiste : «Il ne s’agit en aucun cas d’une interdiction du film “Sacré-Cœur” à Marseille. Celui-ci est projeté dans des cinémas, où chacun peut librement aller le voir. Le cinéma Pathé Madeleine en propose une diffusion chaque jour.» La Ville ajoute que la déprogrammation «n’a rien à voir avec une appréciation du film ni une volonté de restreindre la liberté d’expression ou de création», mais «répond uniquement à une exigence juridique pour toutes les œuvres diffusées dans les lieux publics», rappelant qu’«à l’instar de la SNCF ou de la RATP», d’autres institutions publiques ont déjà appliqué «le principe de laïcité» dans ce dossier.

Une décision «aussi absurde qu’hypocrite»

Une explication qui ne convainc pas tout le monde. Franck Allisio, député de la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône et candidat à la mairie de Marseille, dénonce une décision «aussi absurde qu’hypocrite». «On brandit la laïcité quand il s’agit du christianisme, mais on la met sous le tapis dès qu’il s’agit d’aller faire un discours dans une mosquée», confie-t-il au Figaro. Selon lui, cette déprogrammation illustre «un deux poids deux mesures qui indigne de nombreux Marseillais». Et de conclure : «C’est un signal inquiétant pour la liberté d’expression à Marseille. Il y a des sujets bien plus urgents à traiter, comme la colline du crack près de la gare Saint-Charles. Il faut remettre l’église au centre du village ! Si je suis élu en mars prochain, le film sera diffusé.»

Malgré ces controverses, Sacré-Cœur continue de trouver son public. Le film, mêlant reconstitution historique et message spirituel, attire chaque jour de nouveaux spectateurs dans les salles qui le diffusent encore, notamment au Pathé Madeleine à Marseille. En trois semaines, il a déjà séduit près de 200.000 curieux, confirmant qu’au-delà des polémiques, l’intérêt pour ce docu-fiction ne faiblit pas.