Dans les faits, ce plan, encore non abouti, ne recueille pas l’adhésion générale et fait en particulier l’objet de sévères réserves belges. Lancée par la Commission et défendue par plusieurs pays, dont l’Allemagne, l’idée est de mettre en œuvre un « prêt de réparation » qui permettrait d’utiliser 140 milliards des 185 milliards d’euros bloqués sur les comptes de la société Euroclear, basée à Bruxelles. L’argent servirait à répondre aux besoins financiers urgents de l’Ukraine et à armer Kiev. L’UE emprunterait l’argent à Euroclear et le prêterait ensuite à l’Ukraine, qui le rembourserait, à l’issue du conflit, si la Russie accepte, dans le cadre d’un possible traité de paix, de payer les dommages de guerre, notamment avec l’argent qui lui serait rendu. Cela fait beaucoup d’incertitudes.
L’idée d’utiliser les avoirs russes immobilisés a fait son chemin parmi les Vingt-sept, mais la Belgique a toujours des réservesLa Belgique mise sous pression
Comme il l’avait fait au sommet informel de Copenhague, le 1er octobre, le Premier ministre Bart De Wever a cependant rappelé à la presse, avant le début de la réunion du Conseil européen, à ses pairs, pendant le sommet puis à la presse encore, après celui-ci, les préventions de la Belgique. Euroclear étant installée dans sa capitale, le pays serait très exposé aux représailles juridiques et financières de Moscou si le plan était mis à exécution.
L’Anversois a exposé trois conditions à un fiat belge. Il veut qu’on lui présente une base juridique solide qui assure qu’il ne s’agit pas d’une confiscation pure et simple des avoirs russes, contraire au droit international. « Il n’y a pas de réponse claire à ce propos », constate-t-il. « Même pendant la Seconde guerre mondiale, on n’a pas saisi d’avoirs souverains. On entrerait en territoire inconnu », a-t-il pointé.
Il insiste sur la mutualisation des risques si l’argent devait être remboursé à Moscou – la somme équivaut à plus de 20 % du PIB belge. Il réclame la participation des autres pays de l’UE voire du G7 qui ont aussi des actifs russes gelés. Selon la Commission, 90 % des avoirs immobilisés dans l’UE sont à Bruxelles, mais on en trouverait également dans six autres pays de l’Union, d’après le Premier ministre belge. On parle notamment de l’Allemagne, de la France et du Luxembourg.
Si ces conditions ne sont pas remplies « je ferai tout ce que je peux, au niveau politique et juridique, aux plans européen et national, pour empêcher cette décision », a averti BDW. La Belgique, qui a très peu apprécié d’être pressée de la sorte sans avoir reçu les explications demandées au début du mois, a refusé un premier texte de compromis en cours de journée.
Trois ans après le début de la guerre, la Belgique a « gelé » ou immobilisé 258 milliards d’euros d’avoirs russes. C’est un record sur la planète !Qui est prêt à garantir les risques ?
Prévue en soirée, l’intervention de la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a donné de la consistance aux arguments belges. Selon le Premier ministre belge, la Française a insisté sur le fait que la première condition pour que ce plan puisse voir le jour était d’établir que les garanties que la Russie soit remboursée sans délai si elle fait valoir, après la guerre, ses droits sur son argent. Qui donnerait ces garanties dont le montant pourrait être supérieur à la somme engagée, parce qu’elles devraient aussi couvrir la réparation d’éventuels dommages ? Vingt-six États membres – la Hongrie reste à l’écart – en fonction de leur PIB ? Le budget européen ? « Qui est prêt à payer pour ça ? », interroge BDW. « Cette question n’a pas reçu un tsunami de réponses enthousiastes », a constaté le Belge.
Mme Lagarde a également indiqué qu’il serait préférable que le plan européen soit appuyé par des démarches similaires de pays tiers qui ont également immobilisé des actifs russes.
guillement
Si mes trois demandes sont rencontrées, nous pourrons aller de l’avant. Sice n’est pas le cas, je ferai tout ce que je peux, au niveau politique et juridique, sur le plan national et européen pour empêcher cette décision
Travail exploratoire à mener
La Belgique avait soumis au président du Conseil européen, Antonio Costa, un amendement au projet de conclusions, énumérant précisément toutes les questions qui demandent réponse. Finalement, les leaders européens se sont entendus sur un texte de conclusion qui souligne « l’engagement du Conseil européen à répondre aux besoins financiers de l’Ukraine pour 2026-2027, en ce compris pour ses efforts militaires et de défense ». À cette fin, les chefs des Vingt-sept invitent « la Commission de présenter, dès que possibles, des options de soutiens financiers » et le Conseil (des ministres de l’UE) à poursuivre le travail exploratoire.
Il n’est plus question de mention explicite de l’utilisation des avoirs russes immobilisés, comme c’était le cas dans le projet de conclusions de la réunion, ni de demande claire à la Commission d’élaborer une proposition en sens. Il est simplement précisé que les actifs russes doivent rester immobilisés jusqu’à la fin de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et devra être utilisé « pour payer les dommages de guerre ». Le sensible sujet sera remis sur la table lors du sommet européen de décembre.
Quand la Belgique aide l’Ukraine financièrement grâce à une montagne d’argent russeD’autres pistes ?
Selon le Premier ministre belge, d’autres pistes pourraient être explorées pour répondre aux besoins financiers de l’Ukraine. Une nouvelle émission de dette européenne, ce qui aurait toutefois le désavantage de trouver une unanimité introuvable. Le Belge juge également que ce serait possible pour les membres de la coalition des volontaires pour aider l’Ukraine – qui inclut, outre la majorité des pays de l’UE, le Royaume-Uni, le Japon, l’Australie – de rassembler les 45 milliards annuels dont Kiev dit avoir besoin. Problème : le temps risque de manquer pour arriver à une solution d’ici la fin de l’année.
L’occupant du 16 rue de la Loi estime donc que la Commission tentera « de faire vivre » la proposition d’utiliser les avoirs russes immobilisés. « Personne n’a mis son véto sur quoi que ce soit », s’est félicité le président du Conseil européen, Antonio Costa, à l’issue de la réunion. « Il faut travailler sur les aspects techniques et légaux du soutien européen », a complété le Portugais. À ses côtés, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a ajouté que la discussion « a permis d’identifier les points qu’il faut clarifier ». « L’idée n’est pas enterrée », juge le président français Macron, rappelant toutefois « qu’il ne peut être question de bafouer le droit international ». Le chancelier allemand Friedrich Merz a dit « comprendre la position de Bart De Wever » précisant qu’il aurait sans doute eu la même si son pays avait été le premier concerné. Il n’en reste pas moins un ardent défenseur du plan.
« De Wever veut garder la possibilité d’utiliser son véto aussi longtemps qu’il le peut, mais je m’attends à ce que les Belges montent à bord à un moment ou à un autre », glisse une source d’un pays favorable au plan. « Mon impression est que plusieurs leaders sont partagés entre leur volonté de soutenir l’Ukraine et leur prise de conscience qu’il y a de vraies questions », quant à l’usage des actifs russes, avance de son côté Bart De Wever.