Le commissaire européen à la démocratie affirme qu’il ne fera pas de leçons aux autres pays alors que l’Union européenne (UE) progresse dans la réglementation des plateformes technologiques et de l’intelligence artificielle.

Michael McGrath, commissaire européen à la démocratie, à la justice, à l’État de droit et à la protection des consommateurs, est en visite au Canada alors que le gouvernement libéral poursuit une politique d’IA qui met moins l’accent sur la réglementation et davantage sur l’adoption de cette technologie.

Il a indiqué que l’Union européenne progresse dans la réglementation des plateformes technologiques et de l’intelligence artificielle.

« Ce n’est pas à nous de faire la leçon […] à un pays tiers. Chaque pays décidera de son propre système de gouvernance et de réglementation en matière de technologie », a-t-il expliqué à La Presse canadienne, lors d’une entrevue à la suite d’un discours prononcé lors d’une conférence à Montréal au sujet des menaces persistantes qui pèsent sur la réglementation numérique mondiale.

« Mais au sein de l’Union européenne, nous croyons que pour défendre les valeurs dont nous avons parlé, il est crucial de mettre en place des garde-fous », a-t-il ajouté.

Il a donné l’exemple des lois européennes relatives aux services numériques, à l’intelligence artificielle et à la protection de la vie privée et a déclaré que l’UE « continuerait de défendre et de défendre [cette] approche ».

Le ministre canadien de l’Intelligence artificielle, Evan Solomon, a indiqué que le gouvernement se montrait plus conciliant en matière de réglementation en raison de la position anti-réglementation des États-Unis, affirmant que le Canada perdrait son temps à faire cavalier seul.

Un potentiel pour le Canada

Le pionnier de l’IA Yoshua Bengio, ardent défenseur mondial de la sécurité et de la transparence de l’IA, a mentionné lors de la même conférence que le Canada devrait s’associer à des alliés comme l’Union européenne.

Il a convenu que le Canada est trop petit pour exercer une influence par lui-même.

« Il devrait s’employer activement à nouer des partenariats avec d’autres pays, a avancé M. Bengio. Les États-Unis n’ont pas encore les mesures incitatives nécessaires, mais je pense que les Européens, les Canadiens et les autres démocraties libérales se soucient beaucoup plus de ces questions. »

« Ensemble, ils peuvent faire une différence », a-t-il précisé.

L’opinion mondiale s’est déplacée d’une approche sur la sécurité et la gouvernance de l’IA vers le potentiel économique de cette technologie.

Le premier sommet mondial consacré à la sécurité de l’IA s’est tenu en 2023, alors que les experts mettaient en garde contre les dangers de cette technologie, notamment le risque qu’elle représente une menace existentielle pour l’humanité.

Mais lorsque le Sommet d’action sur l’IA de cette année a débuté à Paris, le débat s’est élargi et le vice-président américain, J.D. Vance, a profité de son discours pour repousser les efforts européens visant à réglementer l’IA.

M. Bengio a expliqué que ce changement était motivé par une volonté anti-réglementation.

« Certaines personnalités influentes ont des visions différentes de l’avenir », a-t-il déclaré, soulignant les millions investis dans la lutte contre les membres du Congrès américain favorables à la réglementation de l’IA.

« Regardez ce qui se passe au sein du gouvernement, où les géants du numérique sont désormais […] de mèche avec le gouvernement, a-t-il souligné. Je pense que nous sommes dans une situation très dangereuse, pour notre démocratie et pour les dangers que peut représenter le fait de ne pas placer l’humain au cœur de notre avenir. »

Lors de l’entrevue, M. McGrath a reconnu que la relation du Canada avec les États-Unis est manifestement très importante.

« Mais la relation avec l’Union européenne, je crois, devient également plus importante », a-t-il ajouté.

Il a précisé que l’UE respecte le droit de chaque pays à définir ses propres politiques, mais qu’il est préférable que les nations partageant les mêmes idées s’alignent sur ce qu’il appelle les « grands enjeux mondiaux ».

M. McGrath affirme que l’UE, forte de ses 27 États membres, est suffisamment grande pour faire une réelle différence.

« Nous représentons 450 millions de consommateurs. C’est le marché le plus vaste et le plus lucratif sur lequel ces grandes entreprises technologiques opèrent », a-t-il ajouté.

Projet de loi C-27

Lors d’une intervention à la conférence jeudi en fin de journée, Evan Solomon a réitéré son intention de rétablir partiellement la législation proposée par le précédent gouvernement libéral.

Le projet de loi C-27 aurait mis à jour les lois canadiennes sur la protection de la vie privée, mais aussi introduit la première loi fédérale canadienne spécifiquement axée sur l’intelligence artificielle, et aurait introduit de nouvelles obligations pour les systèmes « à fort impact ».

Le ministre prévoit de présenter un projet de loi mettant à jour les lois sur la protection de la vie privée et les mesures concernant spécifiquement les vidéos hypertruquées. Il a qualifié la partie relative à l’IA du projet de loi précédent de « très controversée ».

Interrogé sur les propos de M. Bengio, M. Solomon a déclaré aux journalistes qu’il n’était pas présent pour les entendre, mais qu’il était en contact régulier avec lui.

« Nous discutons constamment avec nos alliés de l’UE », a-t-il ajouté.

M. McGrath affirme vouloir trouver un terrain d’entente avec le Canada sur les questions de protection des consommateurs numériques.

« Nous sommes tous confrontés à des défis similaires avec les plateformes de commerce électronique chinoises, a-t-il déclaré, ajoutant que l’UE estime que ces plateformes doivent respecter les lois sur la protection des consommateurs et les normes de sécurité. Je pense qu’un dialogue avec le Canada et d’autres partenaires partageant les mêmes idées sur ce sujet est absolument crucial. »

Le commissaire européen prévoit également de discuter avec les députés des menaces que représentent les vidéos hypertruquées et l’intelligence artificielle pour la démocratie, ainsi que de l’ingérence étrangère.

Il a souligné que bon nombre de ces menaces proviennent de l’environnement numérique.

« Ces enjeux sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur les élections, et nous ne pouvons certainement pas ignorer ce risque », a-t-il dit.