La mission était claire pour Peimane Ghaleh Marzban. À l’heure des commentaires, des questionnements, des incompréhensions voire des menaces, un petit peu de pédagogie et de rappel des faits ne fait jamais de mal. Sur le plateau de la matinale de BFMTV et RMC, le nouveau président du tribunal judiciaire de Paris est revenu ce vendredi matin sur le dossier brûlant de la condamnation de Nicolas Sarkozy, qui vient de passer sa troisième nuit à la prison de la Santé.

Face aux accusations de nombre de soutiens de l’ancien président, qui s’offusquent ici et là de sa condamnation, il y a un mois, à une peine de cinq ans de prison, assortie d’un mandat de dépôt avec exécution provisoire, Peimane Ghaleh Marzban a d’abord voulu rappeler que la décision était « le fruit d’un travail de trois magistrats au terme de 38 jours d’audience, où le contradictoire a été respecté ».

Aux très nombreuses réactions qui ont suivi cette condamnation, le président du tribunal de Paris a été clair. « On peut accepter de la part des personnes concernées ou de la famille qu’il puisse y avoir de l’affect. Mais quand on entend des responsables parler de ‘honte’, on ne peut pas laisser dire ça. Le processus juridictionnel a été respecté », a-t-il assuré avec gravité, rappelant la « méticulosité avec laquelle les magistrats ont travaillé ».

En se basant sur la longue décision du 25 septembre dernier, et seulement là-dessus, le président du tribunal judiciaire a rappelé que Nicolas Sarkozy avait été reconnu coupable et condamné pour association de malfaiteurs en vue de préparer une corruption au plus au niveau « avec d’une part le financement par l’État libyen et d’autre part (la question de) s’occuper du sort d’Abdallah Senoussi (le beau-frère par alliance de Mouammar Khadafi, condamné à perpétuité en France pour son implication dans l’attentat de l’avion CD-10 de 1989, qui avait fait 170 morts, ndlr.) et de la relation franco-libyenne ».

« Heureusement qu’on peut sanctionner des personnes avant qu’une bombe n’explose »

Toujours dans un esprit de pédagogie malgré des inévitables aspects techniques, Peimane Ghaleh Marzban a rappelé que l’association de malfaiteurs est « une infraction qui permet de sanctionner comportement avant même que la réalisation de l’infraction ne se commette ». « Heureusement qu’on peut sanctionner des personnes avant qu’une bombe n’explose ! L’association de malfaiteurs en vue de commettre des faits de corruption, c’est la même logique », a comparé le président du tribunal.

En rappelant les rencontres de 2005 entre Claude Guéant, Ziad Takkiedinne, Abdallah Senoussi et Brice Hortefeux, puis les flux financiers partis de Libye vers les chambres de compensation de Ziak Takkiedine en 2006 ou encore des carnets retrouvés dans lesquels étaient écrits que des virements allaient avoir lieu, le président du tribunal judiciaire a indiqué que le tribunal « (avait pris) l’ensemble de ces éléments, les (avait mis) en cohérence et considère qu’il y a eu association de malfaiteurs ».

Dans ce jugement, beaucoup se sont étonné que cette condamnation pour association de malfaiteurs ait été assortie de relaxes sur les trois autres chefs d’accusation (recel de détournement de fonds publics, corruption passive et financement illégal de campagne électoral). Sur ces points, le président du tribunal a notamment expliqué qu’il n’y avait « pas de contradiction entre la relaxe pour corruption et la condamnation pour association de malfaiteurs ».

« Si vous lisez bien la décision, la corruption a été relevée par le fait qu’elle a été commise par Nicolas Sarkozy en tant que personne dépositaire de l’autorité publique. Or, la décision dit qu’elle considère monsieur Sarkozy comme un candidat à l’élection présidentielle, qui n’a pas la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique », explique Peimane Ghaleh Marzban.

Des faits « d’une exceptionnelle gravité »

Autre source de nombreux commentaires : le mandat de dépôt. Sur ce point, le président rappelle « les faits d’une exceptionnelle gravité » qu’on peut lire dans la décision et rappelant que l’association de malfaiteurs est punie de dix ans de prison. Or, le tribunal a diminué la peine à cinq ans de prison car « il n’y a pas eu l’accomplissement du pacte corruptif ». « Le tribunal considère toutefois que s’agissant de faits de nature exceptionnelle, il convient d’ordonner un mandat de dépôt ».

Et de rappeler que l’effet différé (Nicolas Sarkozy n’a été incarcéré que quatre semaines après sa condamnation) « n’est pas habituel ». « Ce n’est pas une faveur. C’est la prise en compte d’une situation individuelle », justifie Peimane Ghaleh Marzban, de sorte que l’ancien président « mette de l’ordre dans ses affaires ».

Concernant l’exécution provisoire, qui a envoyé l’ancien ténor de la droite derrière les barreaux malgré son appel, le président du tribunal a rappelé qu’il s’agissait de « la pratique habituelle ». « Allez devant nos chambres de comparutions immédiates. Tous les jours, des personnes sont incarcérées alors qu’elles sont jugées, qu’elles vont faire appel ou que le délai d’appel n’est pas expiré. C’est une réalité judiciaire », appuie-t-il.

« Ce qui a été ordonné concernant Nicolas Sarkozy n’est pas quelque chose d’exceptionnel ou une singularité. En pratique judiciaire, quand il y a des peines supérieures à un ou deux ans d’emprisonnement, pour assurer l’effectivité de la peine, vous avez un très fort pourcentage de ces peines qui sont assorties du mandat de dépôt », a-t-il rappelé pour conclure ces rappels plus qu’utiles, voire nécessaires.

Une mise au point qui a d’ailleurs été saluée par le ministre de la Justice Gérald Darmanin, qui a écrit sur X qu’il était « essentiel que les juges prennent la parole pour expliquer l’action et le fonctionnement du service public de la justice ».