Par

Théo Zuili

Publié le

24 oct. 2025 à 17h48

Les automobilistes Lyonnais doivent encore et toujours composer avec les embouteillages. Selon TomTom, Lyon est la 6ᵉ ville de France dans laquelle on perd le plus de temps dans les bouchons. La congestion a connu une hausse continue jusqu’en 2019, avant une chute brutale en 2020, puis un retour progressif à la situation pré-Covid. Et avec les nombreux travaux simultanés en cours, 2025 pourrait faire figure d’année noire sur les relevés de bouchons dans l’agglomération.
Pourtant, « on n’a jamais traversé Bellecour sans s’arrêter, sauf la nuit », rappelle Pierre Soulard, interrogé par actu Lyon. C’est lui le chef d’orchestre de l’ombre des 1 700 feux de circulation de l’agglomération de Lyon, membre depuis 15 ans du service des Infrastructures et de l’Exploitation des Mobilités de Métropole de Lyon, qu’il dirige depuis plusieurs années.
À distance des politiques et des polémiques, le fonctionnaire livre son analyse de la situation lyonnaise, nourrie par les constats concrets du terrain et de ses limites.

L’imprévisibilité comme vraie cause de l’agacement

Alors que le pic des chantiers a été dépassé cet été et que la métropole a reporté près de 70 km de travaux de voirie à 2026-2027 pour éviter un engorgement simultané trop fort, les Lyonnais sont nombreux à se plaindre des bouchons dans l’agglomération.

Pierre Soulard note une « augmentation des volumes » lors des 15 dernières années sur les axes de circulation, mais évoque avant tout une question de fiabilité pour expliquer le sentiment selon lequel la circulation lyonnaise se dégrade : « Avoir 45 minutes de route tous les jours, ça va. C’est quand ça fluctue que ça nous agace. » Le temps perdu exaspère moins que l’imprévisibilité de chaque trajet.

Or, d’une journée à l’autre, le trafic peut « varier de 10 à 20 % » par rapport à la « normale », notamment selon les travaux, la météo, les incidents ou les évènements. Chaque adaptation du réseau (déploiement de ligne de transports en commun, chantiers de voirie) rebat temporairement les cartes et la moindre perturbation se répercute sur l’ensemble.

Encore plus localement, impossible de prédire le phénomène « d’auto-blocage des carrefours », lorsque les conducteurs agacés se retrouvent bloqués après avoir forcé le passage. « Le code de la route est clair : on ne doit franchir un carrefour que lorsqu’on est sûr de pouvoir l’évacuer. »

Un réseau qui atteint un plafond de verre

Déjà en 1992, le maire Michel Noir promettait aux Lyonnais que le périphérique nord allait « faire sauter le bouchon de Fourvière ». Sans succès. Le réseau lyonnais a une certaine limite, qui n’est pas définie par la largeur des voies, mais par la capacité des carrefours à absorber le flux.

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« On aura beau mettre le cours Gambetta à six voies, il butera toujours sur le quai Claude-Bernard. Avoir plus de voies permet juste d’arriver plus vite au point de blocage », explique Pierre Soulard. Dans une ville contrainte par ses nombreux ponts, tunnels et voies ferrées comme autant de « points noirs historiques », chaque axe finit par se heurter à un goulot d’étranglement.

Un embouteillage près des berges du Rhône à Lyon, en raison d'un chantier en cours dans la rue.
Un embouteillage près des berges du Rhône à Lyon, en raison d’un chantier en cours dans la rue. (©Théo Zuili / actu Lyon)

Autour de la Part-Dieu, « l’effet entonnoir » des voies ferrées concentre les flux sur un cours Lafayette et une rue Paul-Bert saturés, tandis que les accès autoroutiers de Vaise, Saint-Fons ou Perrache restent structurellement limités par les carrefours qui les desservent.

« Et si on donne du vert à une branche, c’est au détriment de l’autre. » Résultat : la ville ne peut plus gagner en vitesse, seulement en régulation. « Rien n’est figé sur l’ensemble de nos carrefours à feu : ils sont recalculés et changent régulièrement chaque année pour s’adapter à la nouvelle configuration de trafic. »

Bellecour comme cas emblématique

« On n’a jamais traversé Bellecour sans s’arrêter, sauf la nuit » : la plus grande place de Lyon concentre tout ce qui complique la circulation urbaine avec des flux piétons massifs, un pôle de bus, des stations de métro, des traversées nord-sud de la Presqu’île et des milliers de véhicules qui se croisent sur une poignée de carrefours stratégiques qui irriguent le reste de la ville, à l’est comme à l’ouest.

La circulation se fait souvent au ralenti sur la place Bellecour de Lyon.
La circulation se fait souvent au ralenti sur la place Bellecour de Lyon. (©Julien Sournies / actu Lyon)

« Ce n’est pas pour rien qu’historiquement, c’est le premier secteur de Lyon à avoir été équipé de feux tricolores » : l’endroit est trop central pour être fluide. La place était et restera saturée aux heures de pointe, et même le samedi, quand une « hyperpointe » piétonne envahit l’hypercentre.

À Bellecour, chaque phase de feu réserve un temps uniquement aux traversées des passants : « C’est le passage piéton le plus emprunté de toute la métropole », souligne le spécialiste. Comment réimaginer ces lieux ? « Les propositions amenées, c’est de l’optimisation au niveau des feux jusqu’à que ce soit physiquement impossible de faire passer plus de monde, ou les solutions de transports en commun et vélo pour offrir des alternatives. »

Mais même si une partie des flux fait le transfert vers l’alternative, l’axe saturé reste encombré : c’est le constat réalisé par exemple sur l’avenue Berthelot, passé de quatre à deux voies en 2001 pour laisser passer le tram T2. « C’est autant bouchonné, mais plus de monde se déplace en tram + voitures que grâce aux voitures seules à l’époque. »

Une régulation fine qui ne résout pas tout

Avec ses 1 700 carrefours à feux, la métropole lyonnaise dispose d’un réseau piloté selon différents « scénarios dynamiques ». Les plans de feu et leur durée évoluent au cours de la journée sans que les automobilistes le remarquent.

Fermeture de tunnel, incident, pic de circulation, heures de pointe : tout est anticipé et programmé. Et avec « l’IA », pourquoi ne passons-nous pas à un pilotage intégral en temps réel ? Les tests récents, menés en 2015, se sont révélés peu fiables. « Les systèmes informatiques basés sur les capteurs étaient trop sujets aux erreurs. L’interprétation humaine reste indispensable à ce stade », tranche Pierre Soulard.

Le
Le « PC Criter », poste de commandement de la Métropole de Lyon chargé de gérer le trafic au quotidien. (©Théo Zuili / actu Lyon)

Ce n’est qu’en cas de manifestation ou d’événement majeur qu’un opérateur ajuste les feux manuellement depuis le poste central de contrôle.

Les tramways priorisés

Derrière les programmes des feux, un objectif est prioritaire depuis le retour du tramway à Lyon en 2001 : garantir la régularité des bus et des trams, quitte à frustrer les automobilistes.

Un tramway des TCL en panne à Lyon.
Un feu rouge pour laisser passer un tramway : c’était moins gênant quand il n’y avait que deux lignes de tram à Lyon. (©Théo Zuili / actu Lyon)

Or, « il y a plus d’opérations sur ces dernières années et il n’y a jamais eu autant de lignes déployées en même temps. C’est cinq à dix fois plus de chances de franchir une ligne de tram et d’y perdre sa priorité », explique Pierre Soulard. Une condition vitale pour garantir des transports en commun fiables et efficaces.

Une lenteur assumée

L’enjeu consiste désormais à tendre vers un rabaissement des vitesses pour assurer une meilleure cohabitation et réduire la gravité des accidents. Ville à 30 km/h, périphérique à 70 : tout est fait pour lisser les à-coups et les différences de vitesse entre usagers, et même les feux verts sont calculés pour ralentir la circulation.

Des voitures à l'entrée de Lyon, dans le secteur de Confluence.
La M7 est limitée à 70 km/h à l’entrée de Lyon depuis 2019. (©Nicolas Zaugra/ actu Lyon)

Et cela améliore même parfois la fluidité. « La lenteur n’est pas forcément synonyme de perte d’efficacité : sur la M7, le débit a augmenté depuis la limitation à 70″, observe Pierre Soulard.

« L’idée est plus de travailler sur la fiabilité du temps de parcours que sur le temps de parcours lui-même. C’est le seul objectif atteignable. » Car il n’existe nulle part, dans le monde, de ville non congestionnée. « La ville est le lieu de l’intensité, de l’activité, elle le sera toujours » : le mouvement est permanent et l’enjeu est de préserver l’équilibre instable entre tous les usages, à mesure que chaque aménagement se sature.

« Une notion récente, qui prend du temps à être infusée au sein du grand public » : c’est l’effet d’induction de trafic.

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