Lundi soir, le Poing Levé a fait salle comble à Sciences Po lors d’une discussion avec Clément Sénéchal, ancien chargé de plaidoyer de Greenpeace et auteur de Pourquoi l’écologie perd toujours. Il y a déroulé une critique acérée de cette écologie institutionnelle à laquelle il a longtemps participé et devenue selon lui un rouage central de la machine capitaliste. Revenant sur les origines de cette « écologie du spectacle », née dans les années 1970 avec Greenpeace autour de l’illusion « qu’il suffisait de montrer les choses pour les changer », il a montré comment une cause qui se voulait subversive s’est rapidement transformée en simple morale de la bonne conscience bourgeoise.

Cette écologie « propre sur elle », portée par les deux jambes de l’environnementalisme, ONGs et EELV, s’est peu à peu fondue dans les institutions du régime jusqu’à en devenir un agent de stabilisation essentiel. Troquant la logique de confrontation pour celle de la négociation et de la conciliation avec les gouvernements successifs, le complexe environnementaliste contemporain lui en a même fourni d’éminents cadres – qu’on se souvienne du ralliement macroniste du « premier écolo de France » Nicolas Hulot, mais aussi de François de Rugy et ses homards, ou encore de Barbara Pompili.

Sénéchal est aussi revenu sur la notion de « bureaucratie environnementale », miroir de ce que le mouvement ouvrier connaît depuis longtemps avec les bureaucraties syndicales, c’est-à-dire des appareils chargés de canaliser la colère plutôt que d’organiser effectivement et offensivement la lutte. De Greenpeace à EELV, le constat de la défaite répétée du combat écolo est sans appel : ces entités se sont faites les béquilles de l’ordre qu’elles prétendent combattre.

Une écologie au service du capital

De l’appui des Verts pour la taxe carbone à leur soutien aux mécanismes de « compensation carbone », Sénéchal a brossé le tableau d’une écologie fondamentalement anti-ouvrière épousant les logiques du capital. L’environnementalisme contemporain consacre ainsi son ordre social : aux riches le droit de polluer, aux travailleurs celui de payer le prix de la crise écologique.

La forfaiture ne s’arrête pas là. Alors qu’hier encore EELV vantait la « douceur » et le « pacifisme », l’écologie institutionnelle se convertit aujourd’hui au militarisme le plus débridé. Sénéchal a épinglé la promotion de « l’écologie de guerre » popularisée dans les amphithéâtres de Sciences Po par Pierre Charbonnier auteur de Vers l’écologie de guerre (2024). À dix-mille lieues des enjeux actuels, cette conception érige la remilitarisation de l’Europe en levier de transition écologique.

Une critique de l’écologie institutionnelle au cœur de l’Ecole du pouvoir

Tenir cette conférence à Sciences Po n’avait rien d’anodin. Parmi les débouchés professionnels de cette école, on retrouve les partis politiques, les ministères, les ONGs, mais aussi les entreprises de conseil et d’audit environnemental, soit l’ensemble des maillons qui composent tout l’écosystème de l’écologie institutionnelle. Discuter de ses impasses et de ses illusions a permis d’ouvrir un espace politique critique, avec une grille de lecture marxiste.

Alors que Sciences Po se targue d’être la première école européenne à lancer un diplôme consacré à la transition écologique – un programme annoncé en grande pompe pour septembre 2026, entre finance verte et management de la transition –, cette conférence s’attaquait à un enjeu crucial : saper les illusions sur lesquelles prospèrent ces institutions.

La semaine prochaine, Sciences Po prévoit d’ailleurs un avant-goût de sa Climate School, avec une Paris Climate and Nature Week, toujours en anglais, sans doute plus vendeur pour les investisseurs. Le gratin de l’écologie bourgeoise s’y pressera. On pourra y croiser Caroline Gibon, directrice de la stratégie RSE chez Thalès, qui discutera avec Delphine Batho du changement climatique comme un enjeu de défense, ou encore Vincent Dufief du groupe Imerys pour une table ronde sur les industries vertes, tout cela sous l’œil bienveillant d’Agnès Pannier-Runacher.

C’est donc à Sciences Po que se fabrique la façade verte du capitalisme, avec laquelle de nombreux étudiants s’inscrivent déjà en rupture, en témoignent les luttes contre les partenariats de Total.

Preuve de l’écho qu’a rencontré l’intervention de Sénéchal, la conférence s’est conclue sur une discussion marquée par des échanges riches : retour sur le mouvement du 10 septembre, similitudes entre directions syndicales et bureaucraties écologistes, ou encore débats stratégiques avec La France Insoumise.

À l’heure où certaines grandes écoles, comme AgroParisTech, voient déjà une partie de leurs étudiants «  déserter  » et refuser de devenir les administrateurs de la catastrophe, cette conférence trace la voie d’une bifurcation possible. Elle montre que l’écologie n’a pas pour seul horizon un spectacle permanent orchestré par les marchands de la cause, mais qu’elle peut, et doit, s’affronter radicalement au capitalisme, aux côtés des travailleurs et des luttes locales.