Un drame aux allures de thriller, tourné entre la France et Taïwan et où Julia de Nunez est loin de passer inaperçue. Elle incarne avec une sincérité troublante ce rôle qui paraît très éloigné de la jeune femme curieuse, presque insouciante et spontanée qu’elle est en dehors de l’écran, alors que Clara est réservée et garde ses émotions en elle. Mais ce n’est pas si surprenant, car Julia met un point d’honneur à se connecter à ses personnages et à leurs émotions, afin de les incarner pour de vrai. Rencontre.
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Dans le film, on a l’impression que votre personnage, Clara, est un peu forcé de suivre les pas de son père, du moins au début du film. Est-ce que vous, vous avez été influencée par vos proches dans votre choix de carrière ?
Je n’étais pas influencée dans le sens où on ne m’a pas dit : ‘Oui, Julia, fais ça’. Enfin, si, on me l’a dit en fait. Mes parents et ma famille me poussaient beaucoup vers le théâtre parce que quand j’étais petite, j’adorais me mettre en scène et faire le clown. Je faisais des spectacles avec ma cousine. C’était mon grand truc. Puis au lycée, j’étais une très mauvaise élève. Et j’ai découvert que j’aimais ça, le théâtre. Je me rappelle que ma toute première pièce, au collège, c’était ‘Le Malade imaginaire’, où je jouais Argan. J’avais le personnage principal et même si on ne jouait pas toute la pièce, j’avais beaucoup de texte à retenir. Eh bien c’était un truc de fou parce que moi qui n’arrivais jamais à retenir mes leçons, là il n’y avait aucun problème. Moi, je pensais que j’étais un poisson rouge demeuré vu que je n’étais pas foutue d’apprendre une leçon ! Mais au théâtre, c’était un truc de dingue, au bout de trois lectures je connaissais le texte. C’est là que j’ai compris que tu apprends quand il y a du plaisir. Ce n’est pas plus compliqué que ça.
Vos parents ont donc vu qu’il y avait un talent à creuser ?
Oui, ma famille a vu qu’il y avait un truc. Indirectement, c’est aussi grâce à eux, parce que ma mère m’a toujours montré plein de films. Mon père est journaliste. Et les deux sont libraires. Je viens donc d’un milieu plutôt artistique. Il y a beaucoup de musiciens dans ma famille. C’est sûr que ça aide à cultiver l’imaginaire. Je regardais par exemple beaucoup Charlie Chaplin quand j’étais petite, j’ai vu ‘Psychose’ à 8 ans… Ce sont des films qui ont des scénarios et des histoires incroyables, avec des identités très fortes. Les films de Jacques Demy, avec des univers très marqués, ont fait partie de moi. Il y a tellement de couleurs qui reviennent en tête. Et je sais que je m’en suis servie, tout ça a participé à remplir ma tête.
Vous n’avez pas eu peur que ton premier rôle à l’écran, celui de Brigitte Bardot dans la série « Bardot », influence la suite de votre carrière ?
Tout ce qui est stratégie, plan de carrière, etc, j’avoue que je n’y pense pas. Peut-être que je devrais un peu plus ? (rires). Des gens m’ont dit : ‘Mais cela va influencer ta carrière’, ‘Tu ne pourras plus jamais rien faire d’autre’, ‘Tu vas être claquemurée dans un truc’. Et je me suis dit : ‘Peut-être que ce sera le cas’, mais ça ne m’a pas plus tracassée. Brigitte Bardot, ça a été un rôle important pour moi. Mais j’ai travaillé, je ne suis pas cette personne. Moi, j’adore voir des acteurs dans un truc complètement différent que ce dont on a l’habitude de les voir. Ils m’amènent ailleurs, et même si, évidemment, c’est la même personne qui joue, j’arrive à être transportée dans une histoire complètement différente.
Vous voudriez tester des personnages un peu dans tous les genres ?
Oui. J’ai envie de me déguiser, de me transformer, d’avoir des personnages hauts en couleurs. C’est pour ça que j’aime le théâtre, parce que j’y joue souvent des rôles qui sont très, très loin de moi. Je change ma voix, j’aime bien me déguiser, vraiment. Au théâtre, tu peux tricher et ne pas être ce que tu es dans la vie, et y trouver une sincérité malgré tout. C’est ça qui est cool. Au cinéma, c’est plus compliqué parce qu’on ne va pas me faire jouer le rôle d’une femme de 40 ans, un homme ou un vieux. Ces rôles-là, au cinéma, c’est moins abordable.
Qu’est-ce qui vous a plu chez le personnage de Clara, dans « La Réparation » ?
Tout de suite, ce qui m’a plu, c’est le sujet avec cette relation père-fille. C’est une histoire de transmission. Et je suis pile à cet âge où on s’en va de chez les parents. C’est compliqué de les quitter, sans éprouver de culpabilité. Je n’ai pas connu la situation d’avoir des parents qui disent : ‘Bon, tu vas reprendre le flambeau familial’. C’est un peu comme devoir reprendre le cours de la vie de quelqu’un. Mais j’ai hâte d’avoir des enfants pour leur montrer des films, des musiques que j’aime, des lieux, des endroits, etc, desquels ils pourront se nourrir pour faire leur vie.
Qu’est-ce que vous saviez du monde de la restauration avec d’accepter le rôle ?
Rien. J’ai un palais qui n’est pas fin du tout. Je mange très mal, j’adore les fast-foods. C’est lamentable. Quelle honte que quelqu’un comme moi puisse avoir un tel rôle. Je suis la pire des impostrices ! (rires) Ça serait mentir de dire que je me suis développée un palais. La nourriture à Taïwan était incroyable. C’est de la fusion food, avec des influences du Japon, de la Corée, etc. J’aime vraiment bien ça. Mais la bouffe française… Le monde de la gastronomie, avec des huîtres et du colorant vert pour faire joli, tout ça… C’est de la nourriture trop intelligente pour moi. C’est trop relevé. Par contre, c’était trop bien de découvrir comment ça se passait dans un restaurant gastronomique. C’est hyper agréable de voir les gens couper, de voir les gens travailler. Même si j’ai découvert un monde presque militaire, avec ses brigades. C’est dur comme milieu.
Comment s’est passée la rencontre avec les autres acteurs du film ? Est-ce qu’il y avait un petit stress chez vous ?
Ça s’est très bien passé. En fait, je suis impressionnée par quelqu’un dont j’aime la sensibilité. C’est ça qui m’impressionne. J’ai des amis qui m’impressionnent par exemple, alors qu’ils ne sont pas connus. Mais ils ne me font pas peur ! Au contraire, ils m’intéressent, je les écoute. Avec Julien (De Saint Jean, qui joue le rôle d’Antoine), on s’est hyper bien entendu. On a été vraiment très copains, on s’est beaucoup apporté. Parfois, il y a des gens avec qui tu travailles mais tu ne partages pas grand-chose, et ce n’est pas grave. Mais c’est vrai que c’est toujours plus agréable quand il y a un truc qui se passe. C’est agréable de pouvoir s’appuyer sur l’autre, lui demander des conseils. Et quand on est allé tourner à Taïwan, Régis (Wargnier, le réalisateur) n’a pas voulu prendre l’équipe française pour qu’on soit avec des Taïwanais, des gens qui vivent vraiment là-bas. Et c’est trop bien, j’ai trop kiffé. Le meilleur moyen de découvrir un pays, c’est d’être au milieu de ses habitants.
Julien De Saint Jean, qui joue Antoine. ©Vertigo Films Distribution
Il y a quelque chose que vous appréhendiez dans le tournage ?
L’avion. J’ai la phobie de l’avion. Rien que d’y penser, ça peut me donner mal au ventre. J’étais seule pour partir au bout du monde. C’était 13 heures de vol jusqu’à Taïwan. Mais j’ai appris la résilience, je crois que c’est comme ça qu’on dit. Au bout de 6 heures de vol, après avoir été en pleurs tout le long, j’étais tellement au bout de ma souffrance qu’à un moment donné, c’est comme si mon corps avait lâché prise. Il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas contrôler ce qui pouvait m’arriver dans cet avion. C’est ce que j’ai ressenti. Et depuis, j’ai vraiment moins peur de l’avion.
Et le retour, ça a été ?
Je n’avais pas peur. À part au décollage, j’ai pleuré un petit peu. Mais sinon, ça a été. J’ai dépassé ma peur.
Qu’est-ce que le rôle de Clara vous a amené ?
C’est déjà suffisant, non ? (rires) Selon moi, la peur de l’avion, c’est la peur de la mort, oui, mais c’est aussi significatif et révélateur de plein de choses. C’est la peur de quitter chez soi, de ne pas savoir où tu vas. Dites-vous qu’après ce vol, j’ai énormément voyagé seule. Un truc que jamais je n’aurais fait.
Julia de Nunez (Clara) avec Clovis Cornillac (Paskal Jankovski) ©Vertigo Films Distribution
Est-ce que ce rôle, il marque une étape dans votre carrière ?
Un rôle, il t’amène forcément des réponses à toi, dans ta vie. Il y a bizarrement une cohérence entre ce que tu es et les rôles que tu interprètes. En tout cas, les deux grands rôles que j’ai eus faisaient très sens avec ce que je vivais dans ma vie. Il y a comme une continuité. Ce qui est formidable, c’est qu’un rôle, ça te permet d’avoir un regard différent et de faire une introspection. Normalement, quand tu vis des choses, tu les digères bien plus longtemps, plus tard. Là, quand tu vis la vie de quelqu’un d’autre et que tu te plonges dedans, dans ses émotions, c’est comme un vieillissement accéléré. Tu digères bien plus vite et tu as une plus grande compréhension.
Qu’est-ce que vous rêveriez de faire pour la suite de ta carrière ? Est-ce qu’il y a des acteurs avec qui vous rêvez de jouer, ou des réalisateurs avec qui vous rêvez de collaborer ?
Déjà, je rêve de pouvoir continuer de faire ce métier, car je sais que tout ça peut être très éphémère. Je pense que c’est la première chose, avant d’avoir des exigences. Mais sinon, j’adorerais tourner avec Mathieu Amalric, un acteur que j’adore. Il y a plein de gens avec qui j’aimerais jouer. Dans les réalisatrices, il y a par exemple Justine Trillet ou Julia Ducourneau.
« La Réparation », de Régis Wargnier, dans les salles belges depuis ce mercredi 23 avril.