Recherche contre le sida –
«Le patient de Genève» est toujours une exception mondiale
Le cas de Romuald, en rémission du VIH depuis quatre ans, a bouleversé la recherche mondiale et inspire un nouvel essai clinique autour d’un médicament porteur d’espoir.
Publié aujourd’hui à 08h02
Romuald (au centre avec lunettes), premier patient genevois qui a guéri du VIH, aux côtés d’Alexandra Calmy (à sa droite), de Christina Gavegnano (à sa gauche), d’Asier Sáez-Cirión et des spécialistes qui ont permis cette avancée.
LAURENT GUIRAUD/TAMEDIA
En bref:
- La guérison exceptionnelle du patient genevois ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques.
- Un essai clinique avec le médicament ruxolitinib débute aux États-Unis.
- Le lenacapavir, accessible dès 2027, pourrait transformer la lutte contre l’épidémie.
Romuald se souviendra toute sa vie du 16 novembre 2021. Ce jour-là, ce Genevois, infecté par le VIH au début des années 1990, a pu interrompre son traitement car on ne détectait plus aucune trace du virus dans son organisme. Quelques mois plus tard, l’espoir d’une rémission durable s’est transformé en réalité et Romuald est devenu le sixième patient au monde à être guéri du VIH grâce à une greffe de moelle osseuse.
«Le patient de Genève» présente une particularité qui ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques et quatre ans plus tard, il demeure unique au monde. De quoi en faire une référence et le point de départ de plusieurs essais cliniques dont un a démarré la semaine passée aux États-Unis et auquel Genève souhaite participer.
Dix personnes en rémission
«Aujourd’hui, même après quatre ans, j’ouvre encore avec appréhension le fichier des résultats de Romuald. La charge virale est-elle toujours indécelable?» Alexandra Calmy, responsable de l’unité VIH/sida aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), a piloté le protocole qui a permis la rémission, en collaboration avec Asier Sáez-Cirión, biologiste responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur, à Paris.
Le patient genevois, lui, refuse de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. «Je n’ai pas peur. Même si le virus devait revenir, ce ne serait pas un échec car ces quatre années ont servi à faire avancer la recherche et surtout, elles ont ouvert la porte de l’espoir.»
Désormais, dix personnes dans le monde sont en rémission du VIH après avoir reçu une greffe de moelle. Elles ont bénéficié d’une greffe osseuse de cellules souches porteuses d’une mutation relativement rare, connue pour bloquer l’implantation du VIH dans les cellules de l’organisme.
Alors qu’on pensait que cette mutation était indispensable pour obtenir une rémission durable, le cas de Romuald a rebattu les cartes. Son donneur n’en était pas porteur. Par la suite, d’autres patients ont reçu une telle greffe sans la mutation mais chez eux, le virus est réapparu. Dès lors, le cas du Genevois est réellement exceptionnel et a ouvert des perspectives de recherche pour explorer des stratégies innovantes de guérison.
Un médicament porteur d’espoir
«Plusieurs hypothèses sont à l’étude, dont l’utilisation d’un médicament, le ruxolitinib, administré à Romuald après sa greffe», détaille Asier Sáez-Cirión. Utilisé pour contrôler la réaction immunitaire, ce traitement permettrait d’inhiber la multiplication cellulaire tout en favorisant la vidange des réservoirs dans lesquels se niche le virus du sida.
En 2011 déjà, la professeure américaine Christina Gavegnano, de l’Université Emory, à Atlanta, avait démontré cette action de vidange, préfigurant que le ruxolitinib pourrait jouer un rôle déterminant contre le VIH.
Il y a deux ans, lorsqu’Alexandra Calmy et Asier Sáez-Cirión ont fait connaître l’incroyable rémission du Genevois à la communauté scientifique, Christina Gavegnano est tombée des nues. «Quand j’ai découvert ce cas extraordinaire, pour lequel notre médicament avait été utilisé, j’ai failli pleurer, confie-t-elle, encore émue. C’était comme dans un rêve. C’est une avancée colossale pour ce travail qui est celui de toute une vie pour moi. À partir de Romuald, d’autres personnes vont être sauvées.» Depuis, les deux équipes collaborent étroitement.
Christina Gavegnano a d’ailleurs lancé un essai clinique avec ce médicament il y a une semaine aux États-Unis, et Genève envisage d’y participer. «L’objectif est de démontrer s’il peut contribuer à une rémission, ce qui signifierait que la greffe de moelle n’est pas nécessaire. Mais c’est une hypothèse», résume Asier Sáez-Cirión.
Et Alexandra Calmy d’ajouter: «Même en cas d’échec, les efforts ne seront pas vains. Les avancées issues de la recherche sur le VIH profitent aux domaines de l’immunologie ou de la virologie, notamment.»
Outil pour modifier le cours de l’épidémie
En parlant de vaccin, pourquoi ne parvient-on pas à en élaborer un contre le VIH? «C’est un virus particulièrement compliqué, très résistant, avec un taux de mutation très élevé, notamment, répond le biologiste. De plus, les essais cliniques sont chers, complexes et nécessitent une cohorte de patients importante.»
En revanche, de grands progrès ont été réalisés sur le front de la prévention, à l’image de la PrEP, un médicament préventif qui protège contre l’infection, et l’arrivée du lenacapavir. Celui-ci ne nécessite que deux injections par an, alors que la PrEP s’administre par un comprimé quotidien.
«Le lenacapavir peut modifier le cours de l’épidémie», soutient la professeure des HUG. Il n’est toutefois pas encore accessible – l’injection est vendue à plus de 40’000 dollars par an… – mais des génériques à moins de 50 dollars devraient être disponibles dès 2027 dans des pays à faible revenu.
Dès lors, pourquoi continuer à chercher un vaccin puisque ce traitement s’en rapproche fortement? «L’action du lenacapavir n’est pas durable, répondent la professeure et le biologiste. Ces outils de prévention sont extraordinaires, ils permettent de contrôler l’épidémie dans une certaine mesure mais pas d’y mettre fin. Leur existence ne doit pas empêcher la recherche vaccinale de se poursuivre.»
Des acquis menacés par l’administration Trump
Durant les années 90 en Suisse, près de 1300 personnes étaient infectées par le VIH chaque année et 80% en mouraient. Aujourd’hui en Suisse, on recense en moyenne 300 nouveaux cas par an et près de 17’610 personnes vivaient avec le VIH en 2023.
«L’épidémie est sous contrôle en Suisse, commente Alexandra Calmy. Mais ce n’est pas le cas dans d’autres pays, même sur le continent européen, avec une augmentation de 37% de la mortalité liée au sida depuis 2010.» L’Afrique reste la plus touchée.
Quelque 40,8 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde, 1,3 million ont été infectées en 2024 et 630’000 en sont mortes. Aujourd’hui, 77% des malades ont accès à un traitement. Cet acquis, comme d’autres en matière de dépistage et de prévention, pourrait toutefois être menacé par les coupes budgétaires brutales de l’administration Trump, s’inquiète Alexandra Calmy.
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Se connecterAurélie Toninato est journaliste à la rubrique genevoise depuis 2010 et diplômée de l’Académie du journalisme et des médias. Après avoir couvert le domaine de l’Education, elle se charge aujourd’hui essentiellement des questions liées à la Santé.Plus d’infos
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