Une plante aux deux
visages

Le kratom est issu d’un arbre
tropical, le Mitragyna
speciosa, que l’on trouve principalement en
Thaïlande, en
Malaisie et au
Cambodge. Ses
feuilles, séchées puis réduites en poudre, sont consommées depuis
des siècles par les ouvriers agricoles locaux pour
tenir la
fatigue
et augmenter la résistance à la chaleur. En
faible dose, il agit comme un stimulant, un peu comme le café. En
revanche, à dose plus élevée, il provoque une euphorie apaisante, proche de celle
des opioïdes.

Cette dualité s’explique par
la présence d’une molécule active : la mitragynine, qui agit sur les mêmes
récepteurs cérébraux que la morphine. Une fois transformée par le
foie, elle se convertit en 7-hydroxymitragynine, une version encore plus
puissante. Et c’est là que le bât blesse : utilisée seule, la
molécule peut effectivement calmer la douleur. Mais combinée à
d’autres sédatifs (antihistaminiques, anxiolytiques ou opioïdes),
elle peut ralentir la
respiration jusqu’à l’arrêt complet
.

Aux États-Unis, plusieurs cas
dramatiques ont mis en lumière les dangers de cette poudre. En
2021, Daniel
Bregger
, 33 ans, est décédé à Denver après avoir consommé
un produit à base de kratom qu’il croyait “naturel et sans risque”.
L’emballage ne mentionnait ni composition, ni dosage, ni mise en
garde. Son père, David, a depuis mené un combat acharné pour
alerter sur les dangers de cette substance. Son action a abouti à
la création du Daniel
Bregger Act
, une loi du Colorado visant à
réguler la vente de
kratom
et à interdire sa commercialisation aux
mineurs.

Le flou réglementaire autour
d’un “complément naturel”

Aux États-Unis, le kratom
navigue dans une zone
grise légale
. Non classé parmi les médicaments, il est
souvent vendu sur internet comme un simple “complément
alimentaire
à base de plantes”. La Food and Drug Administration (FDA) a
pourtant alerté, en 2025, sur ses effets potentiellement mortels.
L’agence estime que les produits contenant de la
7-hydroxymitragynine sont de véritables opioïdes, avec un risque de dépendance
et d’overdose.

En France, le cadre est
beaucoup plus strict : depuis 2020, le kratom et ses dérivés sont classés comme
psychotropes
. Leur vente, leur détention et leur
consommation sont donc illégales. Le ministère de la Santé justifie cette
décision par “le risque élevé de toxicité et d’usage détourné”.

Pourtant, le débat reste vif à
l’international. La Drug
Enforcement Administration (DEA)
américaine avait tenté,
en 2016, d’interdire le kratom en le plaçant au même niveau que
l’héroïne ou le LSD. Mais face à une vague de protestations
d’utilisateurs et de scientifiques, l’agence a finalement
reculé.

Entre remède et dépendance :
une ligne très fine

Certains consommateurs
affirment que le kratom les aide à lutter contre les douleurs chroniques, à
réduire le
stress
ou à se
sevrer des opioïdes
. Une étude menée aux États-Unis a
montré que plus de la moitié des utilisateurs en prenaient pour ces
raisons. Mais d’autres témoignages révèlent une réalité plus sombre
: accoutumance, syndrome
de manque
, et même dépendance psychologique.

“C’est une arme à double
tranchant”, résume un pharmacologue du National Institute on Drug Abuse (NIDA).
“Utilisé dans un cadre médical strict, le kratom pourrait avoir un
potentiel thérapeutique réel. Mais vendu librement, sans dosage
précis ni contrôle de qualité, il devient un danger public.”

Certains fabricants ont
aggravé la situation en concentrant artificiellement la mitragynine dans
des boissons énergisantes ou des extraits liquides. Ces “shots” de
kratom, populaires dans les stations-service américaines,
contiennent des doses beaucoup plus élevées que la poudre
traditionnelle — augmentant ainsi le risque d’effets secondaires
graves.

Des pistes prometteuses pour
la médecine

Malgré ces dérives, la
recherche continue. Les National Institutes of Health (NIH) ont récemment
financé plusieurs programmes pour étudier les composants du kratom.
Objectif : comprendre comment isoler ses molécules bénéfiques et les utiliser à des
fins thérapeutiques, notamment dans le traitement de la douleur ou du
sevrage aux
opioïdes
.

Certaines molécules, comme la
mitragynine, semblent en effet agir sur la douleur
sans provoquer la
dépression respiratoire
typique des opioïdes classiques.
Cela ouvre la voie à de nouveaux traitements potentiellement plus
sûrs.

Mais, comme le rappelle la
FDA, ces
recherches doivent s’accompagner d’une régulation rigoureuse. “Ce
n’est pas parce qu’une substance vient d’une plante qu’elle est
sans danger”, insiste l’agence. L’aconit, la belladone ou même
certaines variétés de pavot en sont la preuve : le naturel peut être toxique.

Réguler plutôt qu’interdire
?

Aux États-Unis, le débat
s’oriente désormais vers une voie médiane : autoriser la plante brute, mais encadrer
strictement sa transformation
. C’est la position défendue
par David Bregger, le père du jeune homme décédé. “Je ne suis pas
contre le kratom”, dit-il, “je suis pour une utilisation encadrée
et responsable.”

Des associations comme
l’American Kratom
Association
militent dans le même sens, estimant que
l’interdiction totale
pousse le marché vers l’illégalité
et les produits
falsifiés. Plusieurs États américains, dont le Colorado, ont déjà
adopté des lois fixant des limites de concentration et interdisant
la vente aux moins de 21 ans.

Entre
espoir et prudence

Si le kratom fascine autant
qu’il inquiète, c’est parce qu’il se situe à la frontière entre
plante médicinale et
substance psychoactive
. Ses propriétés analgésiques
intéressent les chercheurs, mais ses effets secondaires rappellent
ceux des drogues dures.

En attendant des études plus
poussées, les experts appellent à la prudence. Et rappellent un
principe simple : “naturel” ne signifie pas “inoffensif”.