Au moment de refermer la trappe au-dessus de sa tête, un peu d’appréhension se lit sur le visage de Maryse Grenouilloux. Cette ingénieure en électronique de 37 ans, dont la combinaison rappelle une tenue de cosmonaute, s’apprête à effectuer sa toute première plongée à bord du Nautile, le sous-marin de l’Ifremer (1) capable de descendre à 6.000mètres de fond. Accompagnée d’un pilote et d’un co-pilote, elle va passer six heures dans une minuscule capsule en titane, où chaque mouvement est contraint.
Renouveler les appareils obsolètes
En guise d’abysses toutefois, c’est le bassin de l’institut de recherche et ses huit mètres de profondeur, situé dans la zone de Brégaillon, à La Seyne, qui a accueilli mercredi l’engin de vingt tonnes. « Il s’agit d’un essai qui suit l’arrêt technique débuté en novembre dernier », explique Jan Opderbecke, en observant une immense grue accomplir le travail d’immersion dans la piscine.
Le responsable de l’unité systèmes sous-marins à Ifremer précise: « Avant les tests en mer, prévus cet été, nous devons faire la pesée. Il faut surtout qu’ “on trempe le sèche-cheveux dans l’eau ». Le système électrique est un gros sujet. » D’autant que la révision du Nautile, construit en 1984, a été un poil plus poussée que d’habitude.
Alors que le submersible jaune semblait voué à la retraite, l’État a en effet acté, l’été dernier, sa prolongation de vie jusqu’en 2035. D’ici là, c’est un grand projet de modernisation de la « bête » qui doit être mené, moyennant quelques dizaines de millions d’euros. Lors du carénage de ces dernières semaines, des appareils obsolètes ont été changés, telle la régie vidéo. Des capteurs scientifiques et autres outils de haute technologie vont suivre. Un processus de renouvellement des compétences et de recrutement – mécaniciens, roboticiens, acousticiens… – est également en cours.
Après quarante ans d’existence, le Nautile s’apprête ainsi à ouvrir un nouveau chapitre de sa riche histoire. « On parle là d’un engin comme il n’en existe que cinq ou six dans le monde », poursuit Jan Opderbecke. « Il a la capacité unique d’amener l’homme dans les grands fonds pour accomplir un travail de laboratoire, au service de la connaissance scientifique nationale. On ne fait pas du James Cameron! »
L’humain, irremplaçable au fond de la mer?
Certes. La question est cependant posée régulièrement de savoir si le Nautile peut toujours faire mieux que les engins robotisés, autonomes (AUV) ou téléopérés (ROV) de la flotte océanographique française, qu’Ifremer a nombreux dans son garage. Pour Jan Opderbecke, la réponse ne fait aucun doute.
« Toutes les tâches qu’accomplit le Nautile dans les profondeurs – la manipulation, le prélèvement, la perception de l’environnement… – nos robots, comme Victor 6000, peuvent le faire », pose-t-il d’abord. « Avec, en plus, une durée d’utilisation bien plus longue. En revanche, il est plus maniable. Et malgré les progrès techniques réalisés, un écran ne peut pas remplacer la perception des détails par un scientifique au fond de l’eau, avec tous ses sens ». Ce n’est sans doute pas Maryse Grenouilloux qui dira le contraire.
1. Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer.
L’immersion du Nautile a été réalisée au moyen d’une grue.
photo camille dodet Photo Camille Dodet.
Déjà une riche carrière
Parmi ses 2122 plongées habitées dans les grandes profondeurs, le Nautile a accompli quelques prouesses et autres opérations médiatisées. Ainsi, le sous-marin a exploré l’épave du Titanic de 1987 à 1998. Il a colmaté les fuites du Prestige, un pétrolier naufragé au large de l’Espagne au début des années 2000. Il a également participé aux recherches des débris du vol Rio-Paris dans l’océan Atlantique. Mais les trois ou quatre grandes campagnes scientifiques réalisées chaque année sont généralement moins connues du public.
Au large des Açores à l’automne
« Le Nautile est très apprécié pour les opérations d’explorations dans des zones assez larges », précise Ewen Raugel, chef de projet de la modernisation du sous-marin. « Il peut partir étudier des sources hydrothermales actives, rechercher de la biodiversité, évaluer les ressources minérales, comme les nodules polymétalliques… » Pour ce faire, il est embarqué à bord de l’un de ses deux bateaux support, le Pourquoi pas? ou l’Atalante, deux navires hauturiers de la flotte océanographique française, équipés d’un portique et d’une grande plage arrière.
La prochaine grosse mission de l’engin est prévue cet automne, au large des Açores. Il s’agira alors de la campagne océanographique Momarsat 2025, pour s’assurer de la maintenance d’un observatoire sous-marin installé à 1.700mètres sous la surface de l’eau.
Des capacités hors normes
À ces profondeurs, l’homme n’est pas le bienvenu. Quand il plonge à 6 kilomètres sous le niveau de la mer, le Nautile découvre un univers hostile où il fait nuit noire et où la pression est de 600kg par centimètre carré. Mais pas de problème: avec sa sphère en titane de 2,1mètres, ses dix projecteurs, trois hublots, deux bras articulés et son sonar, le sous-marin de l’Ifremer est précisément conçu pour travailler dans les abysses. Bardé d’appareils de mesure et de prélèvements, capable de recycler l’air et de produire une atmosphère intérieure « normale », le Nautile peut ainsi amener l’homme sur 97% des fonds marins.