Par
Antoine Sauvetre
Publié le
25 oct. 2025 à 6h16
Lorsque Nicolas reçoit un courrier en lien avec son combat contre la maladie, il commence souvent par le mot « Madame ». « Il faut dire que je suis atteint par deux cancers de femmes », confie-t-il.
En France, seuls 20 % des nouveaux cas de cancer de la thyroïde concernent des personnes de sexe masculin. Surtout, les hommes ne représentent que 1 % des cancers du sein détectés chaque année, soit environ 600 cas par an. Le sexagénaire lutte contre les deux en même temps.
« J’ai moi-même découvert, à mes dépens, que le cancer du sein n’était pas exclusivement féminin », reconnaît-il. Même constat chez ses proches et ses collègues. Pourtant, Nicolas est « bénévole depuis des années pour des associations de soutien aux malades, dont les personnes atteintes d’un cancer du sein ! », s’étonne-t-il encore.
« Vous partez en guerre »
Lorsqu’il s’est présenté pour la première fois devant son médecin traitant pour une « boule douloureuse » au niveau du sein droit, au début de l’année 2025, il ne s’attendait pas à être immédiatement orienté vers le centre d’imagerie de la Femme, à Alençon (Orne). Son premier pas dans un monde « presque exclusivement féminin ».
La mammographie a été une première étape « douloureuse ». Elle sera suivie par une échographie, puis une biopsie. Les scanners révèlent « une surface opaque de 1,2 cm », se rappelle l’Alençonnais.
Après une douzaine d’examens en quatre mois et au bout de « plusieurs semaines d’angoisse », son chirurgien le prévient : « vous êtes un général et vous partez en guerre. Il ne faudra rien lâcher ».
Repérer un cancer du sein chez l’homme ?
« Il est important que les hommes sachent que ce cancer peut les concerner et de ne pas négliger les symptômes », alerte la Ligue contre le cancer.
Celle-ci signale que les facteurs de risque sont l’âge – « il est plus fréquemment diagnostiqué chez les hommes de plus de 60 ans » -, les antécédents familiaux de cancer du sein avec ou sans prédisposition génétique – « les hommes dont un parent proche, tant homme que femme, a eu un cancer du sein risquent davantage d’être atteints et le risque augmente en fonction du nombre de parents proches concernés par ce cancer » -, mais aussi le syndrome de Klinefelter – « une affection génétique due à la présence d’un chromosome X supplémentaire qui toucherait un garçon sur 600 » -, une exposition aux rayonnements, « en particulier du thorax », et la cirrhose du foie, qui accroît le taux d’œstrogène et baisse le taux d’androgènes, tous deux liés à un risque accru de cancer du sein.
Il est important de savoir ce qui est normal pour vos seins et les régions voisines et de signaler tout changement à votre médecin.
Le signe le plus fréquent du cancer du sein chez l’homme est une masse, souvent située près du mamelon ou en dessous. D’autres signes et symptômes sont, entre autres, : écoulement ou saignement du mamelon, mamelon qui pointe vers l’intérieur (mamelon inversé), changements dans la couleur du sein, qui devient par exemple rouge ou plus foncée que d’habitude, enflure ou desquamation au sein, masse ou épaississement dans l’aisselle, lésion ouverte (ulcère) sur la peau du sein qui ne guérit pas.
Des douleurs « abominables »
Car très vite, les douleurs s’intensifient, deviennent quotidiennes et « abominables ».
On m’a dit qu’un cancer du sein était encore plus douloureux pour un homme, car la tumeur se développe de façon anarchique. Elle n’a pas de place et est soumise à une forte pression.
Nicolas, atteint d’un cancer du sein
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« Il y en a deux sortes. L’une donne la sensation qu’une poignée d’aiguilles essaie de vous transpercer. C’est très localisé et cela dure 30 à 45 minutes », décrit-il.
La seconde, « particulièrement intense », est « une brûlure glacée dans toute la poitrine ». « Un truc qui vous met par terre pendant deux heures et qui nécessitent une demi-journée pour s’en remettre. »
« Personne ne savait »
Nicolas vit seul depuis la disparition de son épouse, il y a six ans et demi, après un insupportable combat contre un cancer généralisé. Il ne voulait pas s’arrêter de travailler pour ne pas s’isoler. « Mais au bout d’un moment, il a fallu se rendre à l’évidence. Ce n’était plus possible. »
Son patron est le premier à être informé que Nicolas lutte contre deux cancers à la fois. « Il y a 20 ans, on m’aurait viré. Là, j’ai prévenu mon patron avant même ma famille. Les choses ont quand même bien évolué », salue-t-il.
Puis c’est au tour de sa cheffe d’équipe et d’une partie de ses collègues. L’une d’elles lui révélera l’avoir aperçu, peu de temps avant cette annonce, tordu de douleurs au milieu d’un atelier. « Je n’en avais aucun souvenir… », lâche Nicolas.
« Personne ne savait que le cancer du sein existait chez les hommes », assure-t-il. Avec ses collègues féminines, il trouve un soutien particulier. « Je crois que de façon générale, les femmes font preuve de plus d’empathie. Je me suis senti plus à l’aise avec elles pour parler de choses plus personnelles. »
« Cela ou mourir »
En mars, un mois seulement après le diagnostic, arrive l’heure de la première opération : l’ablation de son sein droit.
Une épreuve qu’il a abordée avec appréhension, forcément.
Bien sûr, perdre son sein n’a pas la même symbolique pour un homme que pour une femme. Mais j’allais quand même perdre une partie de moi-même.
Nicolas
« Les infirmières m’ont montré des photos avant, pour que je sache à quoi m’en tenir. Il n’y avait d’ailleurs pas une seule image d’homme. J’ai vu de la chaire boursoufflée, une énorme cicatrice, un sentiment de dégoût. Mais c’était ça ou mourir. »
Au Centre hospitalier du Mans, Nicolas était « le seul mec de tout l’étage ». « J’ai au moins eu l’avantage d’être seul dans ma chambre, pour préserver l’intimité des autres patientes. »
« Physiquement, je me faisais peur »
Pour ses deux cancers, sept tumeurs ont pu être enlevées.
Ses plus intenses douleurs ont disparu, mais il a perdu de la sensibilité au niveau du triceps et ressent parfois « comme une déchirure musculaire dans certaines positions. Un quart de mon corps est un corps de vieillard. »
Aujourd’hui, une « horrible cicatrice de 25 cm » remplace son sein droit.
J’ai encore du mal à jeter un regard sur ma cicatrice. Il m’a fallu des semaines avant de pouvoir mettre mon doigt dans ce trou béant.
Nicolas
Depuis, Nicolas a appris à prendre soin de son corps. « Les aides-soignantes ont été extraordinaires ! »
« Beaucoup d’hommes ne le font pas… »
Car après une deuxième opération en avril, pour son cancer de la thyroïde, il a entamé les séances de chimiothérapie en mai.
Des injections toutes les deux semaines, avec les conséquences physiques qu’engendrent le traitement et les effets secondaires de nombreux médicaments. Des brûlures d’estomac, des nausées, des vertiges, des ongles qui cassent, une peau qui devient très fragile… « Personne ne réagit de la même manière au traitement, mais moi je crois que j’ai eu tous les symptômes », se rappelle-t-il.
Pour affronter la dégradation « terrible » de son corps et combattre un moral en berne, Nicolas a été suivi par une psychologue – « je crois qu’elle était un peu déstabilisée par le fait que je suis un homme » – et par une socioesthéticienne. « Physiquement, je me faisais peur. J’avais l’impression de voir une momie. Elle m’a appris à me servir des baumes hydratants, des crèmes réparatrices, des différents produits de soins pour la peau et le cuir chevelu », explique-t-il. « Je suis sûr que beaucoup d’hommes ne le font pas… »
Des sous de côté pour les pompes funèbres
Nicolas vient de finir son deuxième cycle de chimiothérapie de douze séances hebdomadaires. Il continue de s’efforcer de faire des exercices, participe à des séances de sport adapté. « On est un ou deux hommes. Le reste, ce ne sont que des femmes. Mais je ne suis pas mal à l’aise. Après tout, j’ai vécu avec trois femmes à la maison ! »
Il retrouve peu à peu le moral. Et surtout de l’espoir. « Quand j’ai appris que j’étais atteint de deux cancers, j’ai commencé à me débarrasser de meubles et de matériel pour éviter à mes filles d’avoir à le faire quand je ne serais plus là. J’ai mis des sous de côté pour payer les pompes funèbres… »
Après l’annonce de ma maladie, la mort était, pour moi, une certitude. Aujourd’hui, j’ai 75 % de chance d’être encore en vie dans 10 ans.
Nicolas
Alors Nicolas continue de combattre, « comme Sisyphe qui doit remonter la colline », dans cette « guerre » que son chirurgien lui avait promise, et qu’il sait « loin d’être terminée ». « C’est un exercice aussi physique que mental, sans aucun doute. Mais j’ai eu la chance que mes cancers aient été détectés suffisamment tôt. L’autopalpation peut sauver des vies de femmes… et d’hommes aussi. Mais avant cela, il faut le savoir. »
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