L’expression « faire le mort » n’a jamais eu autant de sens que dans cette histoire. Quand Samuel Zeitoun, avocat au barreau de Paris, la raconte au Figaro Immobilier, il ne peut s’empêcher d’avoir le sourire. Tout commence en 2014, lorsqu’un marchand de biens achète un appartement loué dans le 16e arrondissement de la capitale. Après la signature de l’acte authentique, le nouvel acquéreur prend contact avec la locataire pour se présenter et lui indiquer que c’est à lui que les loyers devront désormais être versés.

Quelques années plus tard, fin 2021, le propriétaire se rend, dérouté, chez Maître Zeitoun. « Je pense que ma locataire est décédée pendant le Covid », lui annonce-t-il. Le marchand de biens en arrive à cette conclusion après avoir tenté en vain de contacter la locataire pour organiser les visites en vue de la revente du bien. « Sur place, sa locataire ne lui ouvrait pas, se souvient l’avocat. Même les voisins et la gardienne confirmaient ne pas l’avoir vue depuis presque deux ans. » Sans réponse de sa part, il ne peut pas entamer les visites, car un propriétaire a l’interdiction formelle d’entrer chez son locataire sans son accord. Même par téléphone ou par mail, aucune réponse. Son hypothèse semble de plus en plus plausible. À un détail près : le propriétaire continue de recevoir, tous les mois, les loyers par virements automatiques.

Face au mutisme de sa locataire, le propriétaire est dans l’impasse : il a mandaté une agence immobilière pour vendre le bien et des acquéreurs potentiels sont prêts à le visiter, mais personne n’ouvre la porte. Il décide alors de saisir le juge, afin de demander la résiliation du bail et l’expulsion. « On a envoyé un commissaire de justice une dizaine de fois à des jours et heures différentes, mais personne n’ouvrait la porte », raconte Samuel Zeitoun. Pour entraîner la résiliation judiciaire d’un bail, il faut prouver un manquement suffisamment grave. Le contrat de bail stipule que la locataire doit laisser visiter les locaux deux heures par jour les jours ouvrables en cas de mise en vente. Le juge constate alors que la locataire n’a apporté aucune réponse aux nombreuses sollicitations du propriétaire et que cette absence totale de réponse aux demandes de visite justifie la résiliation du bail.

Le bail résilié par le juge, la locataire est considérée comme occupant les lieux sans droit ni titre, et l’expulsion peut être ordonnée. La locataire a ensuite deux mois pour contester la décision. « Le délai commence à courir dès que le commissaire de justice se présente à la dernière adresse connue pour faire signifier la décision, même si elle ne répond pas », explique Sylvain Ollagnon, commissaire de justice dans l’Oise et administrateur d’immeubles. Le client de Maître Zeitoun a donc attendu deux mois avant de demander à la banque de rejeter les versements de loyer, de changer les serrures puis de vendre l’appartement.

L’avocat ne sait pas ce qu’il est advenu des meubles de la locataire. Mais, selon la loi, ils sont laissés sur place ou entreposés dans un garde meuble. Si le locataire ne vient pas les chercher dans un délai imparti, ils sont soit détruits, soit vendus aux enchères.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! « En 2023, soit un an après la procédure, une avocate m’appelle, poursuit Samuel Zeitoun. Elle m’explique qu’elle représente l’ancienne locataire de mon client. Cette dernière aurait essayé de retourner chez elle et, à son retour, constaté que les serrures avaient été changées et que le logement était désormais occupé. » L’avocat parisien explique à sa consœur les fondements de la procédure. « Sa cliente était partie vivre à Nantes pendant trois ans pour profiter du grand air pendant le Covid. Elle était 100% en télétravail. Et elle voulait garder son appartement à Paris comme pied-à-terre en cas de retour. » Malheureusement pour elle, cela ne s’est pas passé comme prévu.