Par
Thomas Martin
Publié le
26 oct. 2025 à 7h16
Où sont les femmes ? Lyna Abbaoui, 14 ans, observe les agrès à bonne distance. A quelques dizaines de mètres, un homme torse nu enchaîne les pompes tandis qu’un autre fait des tractions. « Voilà, comme d’habitude, il n’y a pas une seule fille », lâche la collégienne. L‘absence de filles et de femmes dans les espaces sportifs en plein air, c’est ce qui a poussé cette adolescente à proposer à la mairie de Pantin (Seine-Saint-Denis) une structure qui leur serait dédiée, dans le cadre du budget participatif 2025 de la ville.
La crainte du regard des autres
« En fait, j’ai pensé à ma mère. Elle aimerait bien faire du sport dans des endroits comme des parcs mais elle n’ose pas. Parce que c’est pas trop adapté pour des femmes et parce qu’elle n’aime pas qu’on la regarde », explique Lyna, qui a obtenu gain de cause: 50 000 euros pour l’installation d’un espace sportif réservé aux femmes.
Cette crainte du regard des autres, Corinne Luxembourg l’a constatée chez la plupart des Françaises qu’elle a interrogées dans le cadre de ses recherches.
« Même s’il n’y a pas d’agressions, même s’il n’y a pas de harcèlement ou de propos pas très sympathiques, l’idée que son propre corps est regardé et scruté des pieds à la tête, ce n’est pas très confortable pour les femmes », analyse la professeure de géographie à l’Université Sorbonne Paris Nord.
« Négocier tout le temps »
D’après une étude de 2024 du Centre francilien Hubertine Auclert, les espaces de sport en libre accès, comme les équipements de musculation ou les skateparks, sont majoritairement fréquentés par des garçons. Les « city stades » le sont à 95%.
Ces chiffres n’étonnent pas Anne-Sophie Hagi Suleiman et Véronique Valenzuela. Assises sur la banquette d’un café d’Aubervilliers, les deux amies se remémorent la fugace existence des Hyènes, leur équipe de football féminine qui s’est un temps entraînée au city stade de la ville.
« On devait négocier tout le temps avec les gars qui étaient là », se souvient Véronique Valenzuela. « Parfois t’avais pas envie de jouer mais tu disais : bon il faut quand même que je sois là pour qu’on soit représentées. C’était presque politique comme présence en fait », poursuit cette femme de 43 ans.
Anne-Sophie Hagi Suleiman renchérit: « Pour pouvoir jouer, il a fallu qu’on accepte d’intégrer les gamins dans le groupe, des petits caïds ». Les deux femmes précisent qu’il n’y avait pas d’agressivité contre elles, mais une pression qui a pris le dessus et qui a condamné les Hyènes.
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Elles sont membres du collectif « Place aux Femmes », qui se bat pour rétablir la mixité dans l’espace public. Tout comme Maguy Ly, 76 ans, qui a fait partie du comité de consultation lors de la rénovation du stade. « J’ai demandé que les appareils muraux soient moins hauts et pas visibles de la rue, mais ils n’ont pas écouté », se souvient-elle, amère.
Pour Edith Maruéjouls, géographe du genre, les municipalités portent une responsabilité.
« Quand elles construisent une structure sportive, ce n’est pas neutre », explique la fondatrice de l’Atelier Recherche Observatoire Égalité. « On ne peut pas dire: j’ai fait un city stade et il est ouvert à tout le monde, ce n’est pas de notre faute si les femmes ne viennent pas ».
Convention d’occupation annuelle
Allongée sur un terrain de basket en plein air, Carole Cicciu s’échauffe en musique sous le regard de la star des Lakers, LeBron James, tagué sur le mur d’enceinte. Ce soir-là, Aïda, Felha, Amélie et 14 autres femmes, toutes membres du Comète Club, une équipe de basket féminine, la rejoignent et enchainent passes et paniers.
Il y a quatre ans, elles auraient peut-être été gentiment raccompagnées vers la sortie par les hommes qui squattaient ce city stade de Saint-Ouen. Aujourd’hui, les mêmes les saluent ou passent leur chemin sans leur prêter attention. Car Carole Cicciu a obtenu de la mairie une convention d’occupation annuelle. Le contrat est clair : l’accès au terrain de plein air est réservé aux femmes pendant une heure et demie toutes les semaines, que cela plaise ou non. « Finalement ça s’est bien passé. On a eu seulement trois accrochages depuis », relativise-t-elle.
Et le Comète Club a remporté un autre combat : l’installation d’un éclairage sur le city stade et ses accès, pour la sécurité des joueuses en quittant les lieux mais aussi tout simplement « parce qu’on ne pouvait pas jouer en hiver dès que la nuit tombait », explique Carole Cicciu.
« Ces projecteurs profitent à tous, y compris aux hommes », relève la jeune femme.
AFP
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