Son agenda est toujours plein. À peine rentrée de Tokyo où elle présentait Mary Said What She Said, monologue vertigineux de la reine d’Écosse Marie Stuart imaginé par Bob Wilson, Isabelle Huppert s’apprête à jouer à Taïwan Bérénice, revisité par Romeo Castellucci à l’affiche du théâtre de la Ville, l’an dernier. Pas de temps mort chez cette travailleuse infatigable qui a un appétit insatiable pour le théâtre et le cinéma.
La newsletter culture
Tous les mercredis à 16h
Recevez l’actualité culturelle de la semaine à ne pas manquer ainsi que les Enquêtes, décryptages, portraits, tendances…
Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l’adresse email :
Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte
En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.
La voici de passage à Paris où elle achève le tournage du nouveau film du cinéaste iranien Asghar Farhadi, Histoires parallèles en compagnie de Catherine Deneuve, Vincent Cassel, Virginie Efira et Pierre Niney. Ce qui ne l’empêche pas d’assurer la promotion de La Femme la plus riche du monde, comédie caustique de Thierry Klifa dont elle est la tête d’affiche aux côtés de Laurent Lafitte, Marina Foïs, André Marcon, Raphaël Personnaz. Comme il se doit, le cinéaste et ses scénaristes, Jacques Fieschi et Cédric Anger, prennent les précautions d’usage pour présenter « une œuvre de création très librement inspirée de faits réels ». Soit l’affaire Banier-Bettencourt qui avait fait grand bruit il y a déjà dix-huit ans.
À l’époque, Liliane Bettencourt (1922-2017), propriétaire du groupe L’Oréal, se retrouve sur la sellette après la plainte déposée en décembre 2007 par sa fille, Françoise Bettencourt Meyers, contre le photographe François-Marie Banier, accusé d’abuser des largesses de sa mère, laquelle sera mise sous tutelle.
Dans La Femme la plus riche du monde, on retrouve donc Isabelle Huppert sous les traits de Marianne Farrère, sexagénaire milliardaire qui gère sans faiblir son empire de la beauté mais s’ennuie dans son hôtel particulier de Neuilly. À ses côtés, il y a son mari Guy (André Marcon) dont le passé trouble pendant l’Occupation lui revient comme un boomerang, sa fille, la fragile Frédérique (Marina Foïs), qui souffre du manque d’amour de sa mère, le fantasque photographe Pierre-Alain Fantin (Laurent Lafitte) qui sème la zizanie dans la maison, De Veray, chargé d’affaires peu scrupuleux (Micha Lescot), et Jérôme, majordome silencieux (Raphaël Personnaz) qui observe tout et pose des micros sous les tables… Le puzzle est en place pour un vaudeville chez les riches.
Tranquillement installée sur le canapé d’un petit hôtel parisien, Isabelle Huppert, visage sans fard et silhouette menue, évoque son personnage, ses rapports avec le théâtre et le cinéma, les secrets de sa longue carrière.
Le Point : Cette histoire de famille vous intéressait-elle particulièrement ?
Isabelle Huppert : Particulièrement non, je la connaissais, c’est tout. Au départ, j’étais sceptique. C’est la lecture du scénario qui m’a convaincue : une proposition de ton, de théâtralité, d’exagération qui fait échapper au réalisme.
Quels pièges faut-il éviter pour se glisser dans la peau de cette sexagénaire milliardaire inspirée d’une femme célèbre ?
Eh bien, il faut éviter de se contraindre à imiter une figure existante. Le ton du film plus proche de la farce, mélange d’humour féroce, de cruauté et de cynisme m’invitait, nous invitait tous, à une interprétation des faits. Le film s’éloigne du réalisme, tout comme les personnages, ce qui m’a plu. Ce personnage, je l’ai inventé. Je n’avais pas le choix. Et puis Thierry Klifa a choisi de raconter cette histoire par le début, la fin tout le monde la connaît, le début beaucoup moins.
D’où naît cette liberté de ton qui s’accorde à la fantaisie du personnage pris dans une sorte de tourbillon ?
La liberté du personnage naît de sa rencontre avec le photographe : elle découvre une part d’elle-même, une autre vision de la vie, de l’humour, de l’imprévu. Ce n’est pas un personnage sous emprise : c’est une femme de pouvoir, forte, qui sait ce qu’elle fait. Ce qui dérange, c’est l’échelle des valeurs, différente pour elle, y compris au sein de sa famille.
Son rapport à l’argent est très libre. De quoi déranger sa famille…
L’argent ne signifie pas pour elle la même chose que pour les autres. En contribuant financièrement à l’accomplissement artistique de son ami photographe, elle devient un peu mécène. Pour elle aussi, c’est un accomplissement.
L’irruption de ce photographe est comme un coup de théâtre dans cette famille. Et une nouvelle vie pour elle ?
Oui, ça balaie tout et révèle chez elle une disposition déjà présente : humour, joie possible, liberté. Elle entrevoit un « monde parallèle » , une vie qui s’exprime autrement que diriger un empire financier.
Y a-t-il une histoire d’amour entre eux ?
Disons un sentiment, un amour au sens très large du mot qui va jusqu’à tolérer ses débordements les plus inacceptables : des révélations embarrassantes du passé de la famille.
Le film ménage un nœud dramatique, sans sentimentalisme, avec une relation mère-fille parfois cruelle et des personnages qui ont chacun leur point de vue sur cette histoire. Difficile de ne pas se rapprocher d’eux, non ?
Oui, après avoir gardé une certaine distance vis-à-vis de ces personnages, on finit par les trouver attachants, quand l’affectif prend le pas sur les enjeux politiques et financiers.
Être riche aujourd’hui n’est pas bien vu. Qu’en pensez-vous ?
Les Américains ont un autre rapport à l’argent. En France, il existe une méfiance. L’argent, c’est un pouvoir, mais aussi une nécessité : on ne fait pas de films ni de théâtre sans argent, et, en ce moment, les subventions baissent.
Peut-on imaginer Marianne Farrère, votre personnage, heureuse ?
Oui, elle est passée du bien-être à la joie. À la fin, elle dit : « Je suis increvable », mais on la laisse seule sur son île. Le prix qu’elle paye, c’est la solitude : de loin le plus élevé que tout ce qu’elle a payé durant le film.
Vous vous partagez entre le théâtre et le cinéma. Comment les différencier en tant que comédienne ?
Robert Bresson disait : « Le théâtre, c’est l’art du faux ; le cinéma, c’est l’art du vrai. » Le cinéma, c’est une pensée qui infuse ; on arrive et on tourne. Le théâtre, c’est autre chose, ça échappe à l’instantané.
Aujourd’hui, il y a beaucoup de films, parfois trop, de quinze à vingt par semaine dans les salles de cinéma. Les exploitants en souffrent et la fréquentation du public est en baisse de 15 % depuis le début de l’année. Que faire ?
Une industrie vivante a besoin d’une offre et d’une diversité. Le cinéma va de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Ça peut aller de Paul Thomas Anderson à Hong Sang-soo.
À Découvrir
Le Kangourou du jour
Répondre
Quel est le secret de votre énergie et de votre longévité dans le métier ?
Être heureuse de ce qui m’arrive.
Toute l’actualité à 1€ le premier mois
ou