Grenoble (Isère), envoyé spécial.
À l’en croire, la Villeneuve c’est avant tout une histoire de disparitions. D’un idéal, d’opportunités, de personnes. Sur la place des Géants, où sommeillent d’imposantes statues qui lui ont donné ce nom, Alain Manac’h, 77 ans, retrace de drôles de vies entremêlées. La sienne, celle d’un homme de théâtre longtemps baroudeur et engagé auprès des luttes ouvrières. Et celle de son quartier du sud de Grenoble (Isère), rejoint par amour un beau jour de 1983. « Vivre ici, c’était rejoindre une utopie. Mais une utopie qui a bien vécu. »
Ici, il a tout connu. Le meilleur et son délitement. L’idéalisme des premiers temps, entre mixité sociale et autogestion soutenue par les pouvoirs publics. Une période qu’il aime raconter à travers les « repas de coursives » qui animaient les étages plusieurs fois par an. Mais aussi le lent désinvestissement de l’État et son lot de départs, de personnes comme de lieux de vie. « Il y avait neuf commerces ici au début des années 1990, fulmine-t-il. Une boulangerie, un café, une boucherie, un coiffeur, une pharmacie… Même un toiletteur pour chiens ! Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une seule boulangerie pour 12 000 habitants. »
Sans oublier les drames. Les meurtres de Kévin Noubissi et Sofiane Tadbirt, en 2012, pour une histoire d’amourettes et de mauvais regards. « Des jeunes du quartier lynchés par d’autres jeunes du quartier », souffle-t-il, encore ému. Mais aussi les violences urbaines, deux ans plus tôt, à la suite de la mort de Karim…