Nous sommes à environ 110 kilomètres de Phoenix, la capitale de l’Arizona. D’étranges structures en demi-cercles émergent du sable, tels des vaisseaux spatiaux abandonnés là par leurs passagers. Un touriste égaré s’attendrait à voir débarquer des acteurs munis de sabres lasers, ou un réalisateur ayant choisi ce décor pour tourner son film de science-fiction.

En réalité, les habitants d’ici n’ont rien à voir avec l’industrie du cinéma. La plupart sont agriculteurs ou artisans, travaillant la terre, le bronze ou la céramique. Bienvenue à Arcosanti, une ville-utopie qui semble avoir poussé tel un cactus sur le sol aride du désert de Sonora. Et pour cause : son architecte, l’Italo-américain Paolo Soleri, l’a façonnée à partir de boue, ou plus exactement de limon.

Leilani Marie Labong, une journaliste basée à San Francisco, s’y est rendue pour Bloomberg (23 octobre 2025). D’après notre consœur, cette cité n’a peut-être pas connu le succès escompté – conçue pour 5 000 âmes, elle n’en compte aujourd’hui que 38 –, mais elle n’en reste pas moins une illustration précieuse des tentatives humaines pour vivre en communauté malgré la chaleur extrême.

Canaliser l’ombre en été, absorber la chaleur en hiver

Dômes, arches, absides… La forme géométrique de prédilection semble être le cercle, présent sous toutes ses déclinaisons. Mais le véritable point commun de ces structures réside dans leur orientation : à l’image des habitations troglodytes du peuple amérindien Pueblo, l’architecture « passive » du site canalise ainsi l’ombre en été et absorbe la chaleur du soleil en hiver, décrit la reporter.

Arcosanti correspond à la matérialisation, dans le monde réel, d’un concept appelé « arcologie » – des communautés compactes et autosuffisantes alliant architecture et écologie, présentées par Paolo Soleri dans son ouvrage « La Ville à l’image de l’Homme » (version française parue aux éditions Parenthèses, 1992).

Les huit hectares "praticables" d'Arcosanti sont entourés de 1 600 hectares de désert protégé.

Les huit hectares « praticables » d’Arcosanti sont entourés de 1 600 hectares de désert protégé.

© Beyond My Ken, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Ce prototype urbain illustre ainsi comment les « principes fondamentaux » de l’arcologie peuvent s’appliquer dans le désert. À savoir : des systèmes intégrés pour l’alimentation, l’énergie et l’eau ; la « frugalité élégante », c’est-à-dire faire plus avec moins, à l’instar de la sobriété heureuse chère à Pierre Rabhi ; et surtout la « densité limitée ».

Les huit hectares « praticables » d’Arcosanti sont ainsi entourés de 1 600 hectares de désert protégé. « Dans le désert, si l’on s’étend trop, on ne fait que paver, installer des canalisations et pomper toujours plus loin ; ce n’est pas durable », explique en effet Emily Yetman, directrice exécutive de l’association Living Streets Alliance, spécialisée dans la mobilité piétonne à Tucson, citée par Bloomberg :

L’étalement urbain consomme des terres et de l’eau sans rien donner en retour. C’est l’inverse de ce qui fonctionne pour un lieu comme celui-ci.

Si des accusations d’inceste ont terni l’image de l’architecte après sa mort en 2013, le modèle qu’il a élaboré lui a néanmoins survécu. Les habitants d’Arcosanti continuent d’entretenir les structures existantes et, très progressivement, en construisent de nouvelles, en contrepartie de « modestes allocations » versées par une fondation à but non lucratif, ainsi que d’un hébergement et des repas.

Malgré sa « dépendance » aux allées et venues des bénévoles et des résidents, sans parler de ses difficultés financières « chroniques », la ville a su maintenir son autosuffisance grâce à un petit verger, à des potagers et à un champ de maïs – même si la plupart des habitants se rendent encore en voiture jusqu’à la vallée voisine de Prescott pour faire leurs courses, nuance la journaliste.

Les héritiers d’Arcosanti dans le monde

Le mythe d’Arcosanti « résonne » en tout cas aujourd’hui à travers des projets architecturaux du monde entier, depuis le quartier piétonnier de « Culdesac » situé dans la ville voisine de Tempe jusqu’aux vastes programmes urbains développés au Moyen-Orient, lesquels empruntent souvent à des techniques ancestrales de refroidissement.

Ainsi, The Line, la ville phare (mais contestée) du projet Neom en Arabie saoudite, prévoit par exemple des murs en forme de canyons – plus hauts que l’Empire State Building (381 m) – pour rafraîchir les rues, tandis que Masdar City, inaugurée en 2007 par les Émirats arabes unis, s’inspire respectivement des « moucharabiehs » et du « barjeel » pour filtrer le soleil et canaliser la brise jusqu’au niveau de la rue.