En 1970, Luchino Visconti parcourt l’Europe avec une mission plutôt assez plaisante : il recherche le plus bel homme du monde, à même de jouer Tadzio, dans l’adaptation de la nouvelle de Thomas Mann, Mort à Venise. Il se prend vite de fascination pour Björn Andrésen, jeune suédois de quinze ans, beauté androgyne, longs cheveux à la blondeur angélique. Il va en faire une star mondiale.
Björn Adrésen est mort ce samedi à Stockholm. Âgé de 70 ans, il vivait en anonyme, n’ayant jamais retourné de film depuis son expérience destructrice avec le réalisateur italien. L’histoire de l’acteur suédois était celle tristement banale d’un adolescent arrivé au sommet, pour qui la chute a été brutale.
Déjà parce que le tournage de la Mort à Venise avait été pénible. L’adolescent, inexpérimenté, était perdu, impuissant face au regard du grand maître italien. Björn Andrésen a 15 ans. Il est orphelin et habite chez sa grand-mère. C’est pour elle qu’il a accepté ce rôle, sans savoir vraiment de quoi il en retourne. Les propos du film, sur le désir, les amours interdites, lui passent par-dessus de la tête, il ne parle pas la langue, et Visconti lui donne des indications telles qu’« avance », « recule », « souris », « éloigne-toi ». Et il est payé 4 000 euros. C’est tout.
Boucles blondes
À la sortie du film, présenté au Festival de Cannes, Björn Andrésen est devenu une star soudaine, un rôle bien trop lourd pour ses frêles épaules. « J’avais tout juste 16 ans, Visconti et l’équipe m’ont emmené dans une boîte gay. Presque toute l’équipe était gay. Le serveur du club m’a mis très mal à l’aise. Ils me regardaient tous, impitoyables, comme un morceau de viande. » Si Andrésen précise que le réalisateur avait explicitement interdit à l’équipe de s’approcher de lui, cette scène n’est malheureusement que le début de ce à quoi ressemblera sa vie. Il est désormais un fantasme ambulant, un « objet sexuel », coincé à tout jamais dans le rôle de « plus beau garçon du monde ».
Andrésen est embarqué dans un tourbillon. À Londres, la reine Élizabeth II et la princesse Anne viennent le voir. Puis le voilà parti au Japon, où il tourne des publicités sans trop comprendre de quoi il doit faire la promotion. Son visage est repris par des créateurs de mangas. Il vit même avec la peur qu’on lui coupe les cheveux pour lui voler ses boucles blondes.
C’en est trop pour ce gamin jeté en pâture dans le monde des adultes. Il disparaît, se retranche dans son coin, tombe en dépression, boit, fait un peu de musique, et puis quelques apparitions par-ci, par-là.
Appartement délabré
Dans le documentaire The Most Beautiful Boy in the World, les réalisateurs suédois Kristina Lindström et Kristian Petri revenaient sur le destin du « plus beau garçon du monde », dont la vie a changé du jour au lendemain. On le voyait chez lui, filmé en 2020 à 65 ans, seul, perdu, dans son petit appartement délabré.
Il avait aussi fait l’objet d’un roman de Guillaume Perilhou, La Couronne de serpent (L’Observatoire, 2024). Un grand récit tout en pudeur sur les ressorts de la création, de la beauté et du désir. Quand nous l’avions interrogé à la sortie du livre, l’auteur évoquait un passage de la Mort à Venise. « Quand Thomas Mann reprend des vers d’August von Platen : “Celui dont les yeux ont vu la beauté / À la mort dès lors est prédestiné », citait Guillaume Perilhou. Je pense que Visconti était très sensible à cette idée selon laquelle la beauté d’un jeune éphèbe figure le paroxysme de l’esthétisme. Au-delà de ce qu’il y a de plus beau il n’y a plus rien. Donc il y a la mort. »