Une sculpture de bronze intitulée An Opened Letter (Une lettre ouverte) rend hommage aux marins, soldats et aviateur·rice·s victimes de l’interdiction historique imposée aux personnes homosexuelles dans les Forces armées britanniques.

Une reconnaissance longtemps attendue
Le 27 octobre 2025, le roi Charles III a assisté à l’inauguration du premier monument national dédié aux militaires LGBTQ+ du Royaume-Uni, au National Memorial Arboretum, dans le Staffordshire.

L’œuvre, réalisée en bronze, prend la forme d’une lettre entrouverte. Elle symbolise ces correspondances personnelles — souvent interceptées ou utilisées comme preuves — qui ont servi à incriminer et expulser des militaires en raison de leur orientation sexuelle.
Entre 1967 et 2000, il était illégal d’être gai ou lesbienne au sein des Forces armées britanniques, une politique qui a mené à des milliers de congédiements, d’humiliations et de vies brisées.

Le roi Charles a déposé des fleurs au pied de la sculpture. Sur celle-ci, des mots écrits par d’anciens et d’actuels militaires LGBTQ+ retracent un parcours collectif : de la honte à la fierté, de la douleur à l’honneur retrouvé.

Pour Peter Gibson, directeur de Fighting With Pride, « les cicatrices laissées par cette injustice le sont à vie. Le retour à la maison de nombreux vétérans LGBTQ+ ne fait que commencer. Ce sera un long mains nécessaire processus. »

Une œuvre pour transformer la honte en mémoire
Le monument est signé par le collectif Abraxas Academy, formé des artistes Charlotte Howarth, Nina Bilbey, Sue Aperghis, James Spedding et Kate Homes.

Le projet a été mené par Fighting With Pride, la seule organisation militaire LGBTQ+ du Royaume-Uni. Fondée en 2020, elle soutient les vétérans expulsés sous la politique d’interdiction et a obtenu plusieurs victoires : une excuse officielle du premier ministre Rishi Sunak en 2023 ; la restauration des grades et des médailles retirés; et des indemnisations financières pour les personnes lésées.

« Ce monument, c’est une réparation morale, un rappel que ce qui s’est passé ne doit plus jamais se reproduire », explique Peter Gibson. « C’est aussi un appel à retrouver la famille militaire dont tant ont été exclus. La honte peut être déposée ici, pour de bon. »

Plus d’une centaine d’ancien·ne·s militaires ont assisté à la cérémonie, en présence de la ministre aux Anciens combattants, Louise Sandher-Jones. 

Parmi eux, Claire Ashton, de l’Armée royale d’artillerie, renvoyée en 1972 : « Je n’aurais jamais cru vivre un moment pareil. J’ai aujourd’hui plus de 70 ans et je porte encore les cicatrices psychologiques de mon renvoi. On avait inscrit “congé médical” dans mon dossier, mais la vérité, c’est que j’ai été punie pour qui j’étais. Voir cette sculpture achevée, c’est profondément émouvant. C’est comme si je pouvais enfin faire la paix avec le passé — et voir des militaires LGBTQ+ d’aujourd’hui servir ouvertement, avec fierté, me remplit d’espoir. »

Carl Austin-Behan, pilote de la Royal Air Force congédié en 1997, a ajouté : « An Opened Letter me ramène à cette époque où tout devait rester caché. J’écrivais des lettres codées, changeais de nom. Ce monument, c’est la possibilité de marcher la tête haute à nouveau, en me souvenant du soldat que j’étais et de la dignité qu’on m’a volée. J’espère que ce lieu ouvrira les yeux du public sur les ravages de la discrimination. »

Pour Sharon Pickering, de la Marine royale, expulsée en 1991 : « Ce monument, c’est plus qu’un hommage : c’est un retour à la maison. Pour moi, c’est comme être enfin accueillie à nouveau dans une famille que j’ai tant aimée. C’est un endroit où je peux me tenir droite, fière, et savoir que mon service est reconnu. »

Honorer la mémoire, réparer l’histoire
Le projet a été appuyé par la Royal British Legion, qui a souligné l’importance des contributions LGBTQ+ aux forces armées malgré les préjugés persistants.

« Le traitement réservé aux milliers de personnes LGBTQ+ qui ont servi sous l’interdiction était inexcusable, déclare Lynda Atkins, présidente nationale de la Légion. Beaucoup ont vu leur carrière et leur vie détruites. Ce monument reconnaît non seulement leurs sacrifices, mais célèbre aussi la force qu’on trouve dans la diversité et l’unité. »

Une mémoire queer gravée dans le bronze
Avec An Opened Letter, le Royaume-Uni reconnaît enfin un pan longtemps effacé de son histoire militaire : celui de celles et ceux qui ont servi avec courage, mais ont été exclus à cause de qui ils étaient. Un symbole fort, à la fois de deuil, de justice et de fierté retrouvée — et un rappel universel que la liberté de servir ouvertement ne devrait jamais être considérée comme acquise.

Des échos jusqu’au Canada et sa Purge LGBTQ
Ce geste de mémoire résonne aussi de l’autre côté de l’Atlantique, où le Canada poursuit son propre travail de reconnaissance envers les victimes de la Purge LGBTQ — cette politique systématique d’exclusion, d’enquêtes et d’humiliations qui a frappé les employé·e·s fédéraux, les militaires et les membres de la GRC entre les années 1950 et 1990. En 2017, le gouvernement canadien a présenté des excuses officielles et créé un programme d’indemnisation pour les survivant·e·s. Et à Ottawa, un Monument national LGBTQ2+ est en construction, fruit du travail du Fonds Purge LGBT. Prévue pour inauguration en 2026, cette œuvre intitulée Thunderhead (Nuage d’orage) symbolisera à la fois la colère, la résilience et la dignité retrouvée d’une communauté trop longtemps marginalisée — un écho direct à An Opened Letterdu Royaume-Uni.

Avec ces deux mémoriaux, c’est toute une mémoire queer transnationale qui se tisse, rappelant que la reconnaissance et la réparation sont des luttes partagées, et que la fierté, elle, ne connaît pas de frontières.