Dans les années 70 et 80, la République Fédérale d’Allemagne (RFA) s’est dotée d’une impressionnante flotte de patrouilleurs rapides équipés de missiles Exocet. Leur vocation était de repousser une éventuelle force d’invasion soviétique en mer Baltique.
Le départ cet été de sept anciens patrouilleurs lance-missiles allemands du type 143A vers les chantiers de démolition turcs est l’occasion de revenir sur cette classe de bâtiments née durant la Guerre froide.
Après la fin de la seconde guerre mondiale, l’Europe est scindée en deux. La marine de l’Allemagne de l’ouest a pour mission principale de défendre la Baltique contre les forces navales du Pacte de Varsovie. A l’époque, la situation dans la région est en effet bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Alors que la Suède et la Finlande sont neutres, l’OTAN ne compte que deux pays riverains de la Baltique : le Danemark et la République Fédérale d’Allemagne (RFA), dont la seule région donnant sur la Baltique est le Schleswig-Holstein, où se trouvent en particulier le port de Kiel et son canal offrant un accès direct à la mer du Nord. Toutes les autres nations au bord de la Baltique font partie de l’URSS : la République Démocratique Allemande (RDA) avec la région de Mecklembourg-Poméranie occidentale, comprenant les ports de Wismar, Rostock, Stralsund ou encore Wolgast, la Pologne avec les grands ports de Gdansk et Gdynia, mais aussi Świnoujście, les Pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie), ainsi que la Russie, disposant de deux accès à la mer via l’enclave de Kaliningrad (ancienne ville allemande de Königsberg annexée par l’Union soviétique en 1945) et la région de Saint-Pétersbourg.
Ce ne sont donc pas les Alliés qui dominent la Baltique, pour l’essentiel sous contrôle soviétique. Les Occidentaux sont cantonnés à l’extrême ouest de la zone, mais tiennent les détroits danois qui relient la Baltique à la mer du Nord. Un point de passage stratégique qui sera évidemment une cible prioritaire en cas de conflit, alors que l’armée Rouge pourrait, en plus d’une offensive terrestre, attaquer les ports d’Allemagne de l’ouest et du Danemark depuis la mer, tout en conduisant des opérations de débarquement à partir des nombreux ports soviétiques situés au centre et à l’est de la Baltique.
Dans cette perspective, les stratèges otaniens imaginent pour la Baltique des forces légères capables de contrer l’armada soviétique et d’assurer la liberté de navigation dans les détroits. La flotte de la RFA, qui prend le nom de Bundesmarine, est dotée de nombreux dragueurs de mines, mais aussi des mouilleurs de mines pour, le cas échéant, dresser un rideau défensif. Les unités hauturières sont rares. Après avoir reçu des États-Unis, à la fin des années 50, six destroyers de la classe Fletcher datant de 1942, la RFA construit dans les années 60 quatre frégates légères du type Köln et quatre destroyers du type Hamburg, avant de mettre en chantier trois destroyers lance-missiles du type américain Charles F. Adams. S’y ajoutent, toujours dans les années 60, la construction de 11 sous-marins du type 205 puis dans les années 70, de 18 unités du type 206. Et puis il y a les flottilles de vedettes lance-torpilles, héritières des « schnellboote » de la Kriegsmarine durant la seconde guerre mondiale. Une quarantaine d’unités des types 55 et 60/142, bateaux de 42 mètres pouvant naviguer à plus de 40 nœuds et emporter quatre à six torpilles de 533 mm sont construites dans les années 50 et 60.
Au début des années 70, ces modèles deviennent néanmoins obsolètes, à l’heure où apparaissent les missiles antinavires, qui augmentent considérablement la portée par rapport aux torpilles. Ces dernières, dont certains modèles sont filoguidés, contraignent les vedettes à s’approcher au maximum de leurs cibles et donc à prendre de gros risques.
D’où l’intérêt allemand pour les plateformes lance-missiles qui apparaissent. Dans ce domaine, la France est à l’époque en avance, bien que la Marine nationale ne retienne finalement pas ce concept, probablement par peur de voir l’intérêt pour les gros bâtiments de combat remis en cause. Comme cela avait été le cas à la fin du XIXème siècle avec la « Jeune École » dont les théories plombèrent le corps de bataille de la flotte française avant la première guerre mondiale. L’État-major de la marine consent cependant à tester un modèle de patrouilleur rapide lance-missiles conçu par les Constructions Mécaniques de Normandie (CMN). Il s’agit de La Combattante, lancée à Cherbourg en 1963 et qui entre en service l’année suivante. Le bâtiment de 45 mètres à coque en bois sert à tester de nouveaux armements, dont l’Exocet MM38 développé par l’Aérospatiale (aujourd’hui MBDA).
La Combattante, ici en 1971.
Alors que la marine française ne donne pas suite, sur cette base, le chantier cherbourgeois développe un nouveau modèle plus abouti, La Combattante II, qui est retenu par différents pays, dont la RFA pour succéder à ses vedettes lance-torpilles. Un contrat pour 20 unités est signé en décembre 1970, la construction des bateaux étant assurée entre CMN à Cherbourg et le chantier Lürssen de Vegesak, près de Brême. Formant le type 148 (classe Tiger), ces 20 patrouilleurs de 47 mètres et 265 tonnes à pleine charge ont une coque en bois (pour se protéger des mines magnétiques) et peuvent dépasser les 35 nœuds. Ils sont dotés de quatre missiles MM38, une tourelle de 76 mm et un canon de 40 mm, avec également la possibilité d’embarquer huit mines (quatre sur chaque bord à l’arrière). Les 20 unités du type 148 sont construites très rapidement et mises en service entre 1972 et 1974.
Le patrouilleur allemand Weihe, du type 148, en 1986.
Le patrouilleur allemand Reiher, du type 148, en 1986.
Le patrouilleur allemand Elster, du type 148, en 1995.
Le patrouilleur allemand Luchs, du type 148, en 1997.
Le patrouilleur allemand Fuchs, du type 148, en 1997.
Le patrouilleur allemand Fuchs, du type 148, en 2000.
L’Allemagne décide ensuite de produire une version dérivée de ces PLM, qui va donner naissance au type 143 (classe Albatros), dont 10 exemplaires sont livrés par Lürssen entre 1976 et 1977. Plus grands, ces patrouilleurs de 57.5 mètres et 390 tpc à coque acier recouverte d’un plaquage en bois donnent plus de 32 nœuds à pleine charge. Leur armement comprend quatre Exocet MM38, deux tourelles de 76 mm et deux tubes lance-torpilles de 533 mm.
Le patrouilleur allemand Sperber, du type 143, en 1986.
Le patrouilleur allemand Greif, du type 143, en 2000.
Puis viennent les 10 patrouilleurs lance-missiles du type 143A (classe Gepard) qui sont commandés en 1978 en remplacement d’un projet d’hydroptères finalement abandonné. Les nouveaux PLM, mis en service entre 1982 et 1984, sont très voisins de leurs aînés, avec un appareil propulsif comprenant quatre moteurs diesels MTU 16V et autant d’hélices, pour une puissance propulsive de 16.000 cv. Offrant une autonomie de 2600 nautiques à 16 nœuds (600 à 30 nœuds), les 143A sont armés par 34 marins. Ces patrouilleurs disposent d’un radar de surveillance et se distinguent des leurs prédécesseurs en embarquant le nouveau système de guerre électronique FL-1800. L’autre principale nouveauté réside au niveau de l’armement, la tourelle arrière de 76 mm étant remplacée par un système surface-air à courte portée RAM, avec 21 missiles RIM-116A.
Le patrouilleur allemand Frettchen, du type 143A, en 2006.
Le patrouilleur allemand Dachs, du type 143A, en 2007.
Diaporama
Le patrouilleur allemand Dachs, du type 143A, en 2007.
Le patrouilleur allemand Hyäne, du type 143A, en 2007.
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Le patrouilleur allemand Hyäne, du type 143A, en 2007.
Les 10 PLM du type 143 sont par la suite rénovés pour devenir le type 143B.
Le patrouilleur allemand Bussard, du type 143B, en 1999.
Le patrouilleur allemand Falke, du type 143B, en 1999.
Le patrouilleur allemand Seeadler, du type 143B, en 2005.
En novembre 1989, le mur de Berlin tombe, ouvrant la voie à la réunification de l’Allemagne et précipitant l’effondrement de l’URSS, née en 1922 et qui disparait officiellement en décembre 1991. A l’issue de ce grand bouleversement géostratégique, les anciennes républiques socialistes formant le glacis défensif entre la Russie et l’OTAN se tournent vers l’Occident. Le niveau de menace baisse considérablement et l’heure est à la réduction sensible des budgets militaires. En Allemagne, il n’est évidemment plus question de garder 40 patrouilleurs lance-missiles. Les 20 bâtiments du type 148 sont retirés du service entre 1992 et 2002, six étant vendus au Chili, six à la Grèce et cinq à l’Égypte, les trois dernières unités allemandes étant envoyées à la démolition en 2003.
Le patrouilleur grec Ypopliarchos Vostis, ex-Iltis (type 148) allemand.
L’ex-Weihe (type 148) sous pavillon égyptien en 2014.
L’ex-Fuchs (type 148) sous pavillon égyptien en 2014.
La Bundesmarine se sépare ensuite des PLM du type 143B (ex-143), qui affalent définitivement le pavillon allemand en 2004 et 2005. Parmi eux, six sont vendus dès 2005 à la Tunisie, deux autres étant transférés au Ghana en 2012 (sans missiles, la tourelle de 76 mm ayant été remplacée par un simple affût de 20 mm). Ces 143B tunisiens et ghanéens sont apparemment toujours en service.
Enfin, les 143A furent les derniers à naviguer au sein de la marine allemande. Bien que très spartiates car ils n’avaient pas été conçus pour de longues croisières (la cabine du commandant servant par exemple en même temps de carré pour les officiers), la Bundesmarine les fit sortir de la Baltique, où la menace était devenue négligeable, pour des missions plus ou moins lointaines. Accompagnées par les petits ravitailleurs polyvalents du type 404, construits au début des années 90, des flottilles de six à huit PLM furent ainsi déployées le long des côtes européennes. On en vit souvent dans les ports français de la Manche et de l’Atlantique, ces bâtiments venant régulièrement réaliser des campagnes de tirs d’Exocet au centre d’essais des Landes. Certaines missions emmenèrent même ces patrouilleurs jusqu’en Méditerranée, des PLM allemands participant dans les années 2000 au volet naval de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Finalement, les 143A furent désarmés entre 2012 et 2016. Les Nerz et Dachs ont été transférés au Ghana, alors que le Gepard est devenu un musée à Wilhelmshaven. Les sept autres (Puma, Hermelin, Zobel, Frettchen, Ozelot, Wiesel et Hyäne) ont quitté en août dernier le port de Kiel, où ils étaient désarmés, pour rejoindre à bord d’un cargo les chantiers de démolition d’Aliaga, en Turquie.
Le cargo Happy Sun transportant les derniers 143A vers les chantiers de démolition turcs.
Le cargo Happy Sun transportant les derniers 143A vers les chantiers de démolition turcs.
Tous ces patrouilleurs ne furent que très partiellement remplacés par les corvettes du type 130, nettement plus grandes (89 mètres, 1840 tpc) mais dont seulement cinq exemplaires rejoignirent la flotte allemande entre 2008 et 2013. Face au regain de menace en Europe, cinq autres corvettes de la même classe ont néanmoins été commandées en 2017. Ce programme a toutefois rencontré d’importantes difficultés et la tête de série, mise à l’eau en octobre 2020, n’est toujours pas opérationnelle.
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