Cela fait plusieurs minutes que l’on l’entend taper sur les arbres. Sans prévenir, la robe colorée d’un pivert surprend l’ornithologue du mercredi, tapi dans son observatoire. Sommes-nous dans quelque marécage de la Brière ? Pas vraiment. Le ronronnement de la rocade et les verrières de Grand Quartier, en arrière-plan, rappellent la proximité de la ville.

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Inauguré en 2023, le parc de Quincé, 12 ha, constitue le quasi aboutissement de la Zac de Beauregard. Avec son aspect champêtre, ses zones humides et ses prairies, il incarne les dernières tendances de l’intégration de la nature en ville. Il tranche avec le classicisme du parc de Beauregard… dont il est pourtant la prolongation. Comme les espaces verts, le bâti de ce que l’on appelait jadis « écoquartier » a évolué en presque 30 ans. Du haut de la récente tour Chromosome (50 m), trois décennies de politique urbaine contemplent Beauregard, créé ex nihilo sur l’ancienne trame bocagère : des blocs grisâtres et vieillissants aux constructions fantaisistes et biosourcées, en passant par des bâtiments bioclimatiques considérés comme dernier cri il y a 25 ans.

Environ 10 000 habitants

« Beauregard est composé de trois strates, résume Marc Hervé, adjoint à l’urbanisme. La Zac historique près de la place Aulnette, le secteur de la rue Aurélie-Nemours, et Quincé porte de Saint-Malo. » Chaque nouvelle couche voit l’apparition de bâtiments toujours plus hauts -loin des 4 à 5 étages des débuts. Pourtant, cela ne pose pas de réelles oppositions. Au début de Beauregard, le mot densification ne sonne pas encore à Rennes comme le nom de Voldemort à Poudlard. « Beauregard incarne une densification douce », admet Henri-Noël Ruiz, conseiller municipal d’opposition (Révéler Rennes) et ancien directeur de l’Agence d’urbanisme de la Métropole, l’Audiar.

Presque trente ans après l’érection des premiers immeubles, le quartier compte environ 10 000 habitants concentrés sur 108 ha. Un véritable laboratoire de la densification qui a essaimé dans toute la ville. Avec ses espoirs. Et ses déboires.

Faible délinquance

Comme lors de cette nuit du 31 octobre 2016. Feux de voitures, de poubelles, jets de projectiles… Pour certains habitants, le carrosse Beauregard est devenu citrouille ce soir d’Halloween. Au banc des accusés ? Le modèle urbain. « Les ados sont rejetés dans l’espace public et les parents ne peuvent plus voir ce que font leurs enfants à cause de la densification », analysait alors François Valegeas, professeur d’urbanisme.

À l’époque, certains observateurs prédisaient au quartier un avenir à la Villejean. Presque dix ans plus tard, l’épisode Halloween ressemble à un épiphénomène. « Il suffit de trois individus et tout fout le camp, constate Yannick Grimault, président de l’association de quartier 3 Regards. Aujourd’hui, au contraire, on a des jeunes engagés qui portent le quartier vers le haut. » Les faits de délinquance à Beauregard sont, de fait, cinq fois moins nombreux que dans le quartier voisin de Villejean (208 contre 1 210 en 2024 selon les chiffres officiels).

Panne de l’ascenseur social

Reste que cette comparaison avec le quartier prioritaire colle comme un chewing-gum à l’image de Beauregard. Les deux quartiers s’inscrivent dans le même ensemble administratif, séparés par l’avenue Charles-Tillon. Depuis quelques années, la comparaison est aussi nourrie par la dégradation du bâti. « Avec le vieillissement de certains îlots très denses, on a parfois l’impression d’être dans une cité », déplore une habitante de la rue Dulac. Hasard ou coïncidence, les prix de l’immobilier sont, à Beauregard, les moins élevés des nouveaux quartiers.

La conséquence d’une panne de l’ascenseur social ? « Il y a une réelle paupérisation depuis quelques années, constate Yannick Grimault. La sociologie change. » Quid d’une potentielle porosité avec Villejean ? « Les deux quartiers ne sont pas comparables, défend Marc Hervé. Beauregard compte 30 % de locatif social, Villejean plus de 90 %. »

S’il fallait trouver un point commun entre les deux quartiers, c’est que Beauregard n’est plus la cité-dortoir décrite à ses débuts. Entre-temps, le Frac, la Rennes business school, les commerces et la ferme urbaine de Quincé sont arrivés.

« Il a fallu du temps, mais désormais, la vie associative et les événements de quartiers sont nombreux », se félicite Yannick Grimault dont l’association revendique plus de 1 000 adhérents. Sans parler des espaces verts qui ont poussé en même temps que les activités. « Les arbres ont grandi, à certains endroits on se croirait en forêt », apprécie Yvonne, une résidente du quartier depuis 25 ans. De quoi faire le bonheur des habitants. Et des piverts.