C’est un projet né du retour d’expérience de la guerre en Ukraine, qui a montré la nécessité de s’équiper de capacités de frappe dans la profondeur. Selon Challenges, le ministère des Armées prévoit, dans le projet de loi de finances 2026, de flécher de l’ordre d’un milliard d’euros pour développer un missile balistique terrestre (MBT), appelé aussi missile balistique tactique, dont 15,6 millions d’euros dès l’année prochaine pour entamer une étude de levée de risques.
Maquette du MBT, Missile balistique terrestre, ou tactique, sur le stand d’ArianeGroup lors du salon du Bourget de juin 2025. - Mickaël Bosredon
Porté par ArianeGroup, qui en avait montré discrètement une maquette lors du dernier salon du Bourget, le MBT serait équipé d’une charge explosive conventionnelle pour atteindre des cibles (postes de commandement, usines, bases aériennes…) derrière les lignes ennemies. Voici ce que l’on sait.
Qu’est-ce que ce projet de missile balistique terrestre français ?
ArianeGroup, qui fabrique déjà le M51, le missile balistique à tête nucléaire qui équipe les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) français, travaille depuis plusieurs mois sur ce projet de MBT. Il s’agirait d’un missile balistique à deux étages, doté d’un moteur alimenté au propergol solide (comme les fusées Vega-C et Ariane 6), et d’une tête détachable.
Après avoir été propulsé au-delà de l’atmosphère, le missile se sépare et la tête retombe à grande vitesse sur terre, en l’occurrence jusqu’à Mach 16 (20.000 km/h), avec des capacités de manœuvres, ce qui en ferait un missile dit hypersonique. Comparé à l’Orechnik russe, dont la portée est estimée à 5.000 km, le MBT serait capable de parcourir entre 1.000 et 2.000 km. Il s’agirait d’un missile « terre-terre », lancé depuis une plateforme terrestre, comme un camion.
Pourquoi la France n’est-elle pas encore équipée de missile balistique conventionnel ?
Déjà, de quoi parle-t-on ? Il existe différents types de missiles balistiques : à courte portée (SRBM, moins de 1.000 km), à moyenne portée (MRBM, entre 1.000 et 3.000 km), à portée intermédiaire (IRBM, de 3.000 à 5.500 km) et les missiles intercontinentaux (ICBM, plus de 5.500 km). Les IRBM et ICBM sont classés à part, car dédiés à l’emport de charges nucléaires, même si certains comme l’Orechnik ont un double usage, et peuvent aussi emporter des charges conventionnelles.
La France possède déjà un missile balistique intercontinental, avec le M51 qui peut atteindre Mach 16 en phase de descente, et d’une portée évaluée à environ 8.000 km. Mais il s’agit donc d’un missile à tête nucléaire, emporté par les SNLE. « Jusqu’à présent, la France refusait de se doter d’un missile balistique avec une charge conventionnelle, pour éviter tout risque de mauvaise interprétation en cas de conflit, explique à 20 Minutes l’expert en armement stratégique Etienne Marcuz. L’idée était donc de doter tous les missiles balistiques français d’une charge nucléaire ».
En réalité, la confusion entre un missile à tête nucléaire ou conventionnelle serait quasi nulle. « Il faut comprendre que c’est une énorme logistique que de sortir une arme nucléaire, et il y a forcément des signes de préparation décelables, notamment grâce à l’imagerie satellitaire, poursuit Etienne Marcuz. En Ukraine, jamais il n’y a eu d’ambiguïté sur la nature de la charge des missiles balistiques tirés par les Russes, alors que certains peuvent emporter une charge nucléaire ».
🇫🇷🚀Missile Balistique Terrestre (MBT) – la dissuasion conventionnelle qui ne dit pas son nom🚀🇫🇷
Depuis les origines du programme nucléaire militaire français, dissuasion et missile balistique riment avec nucléaire. Pourtant, en raison de sa capacité à frapper des cibles… https://t.co/A9E8W2GMa5
— Etienne Marcuz (@Etienne_Marcuz) October 26, 2025
L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement
En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.
Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies
J’accepte
Le retour d’expérience de la guerre en Ukraine a aussi montré la nécessité de s’équiper d’une arme de frappe dans la profondeur, pour toucher des cibles d’importance, notamment industrielles. « La Russie pilonne l’Ukraine avec des drones, des missiles de croisière et des missiles balistiques pour atteindre ce genre de cibles stratégiques, explique encore Etienne Marcuz. Ces frappes, si elles ont un impact économique majeur, ne remettent pas pour autant en cause les intérêts vitaux du pays. Vous pouvez donc difficilement y répondre avec des menaces de représailles nucléaires. Si la Russie se lançait dans une campagne de déstabilisation par des frappes prolongées contre des infrastructures économiques en France, il serait complexe d’y répondre par une attaque nucléaire, il nous faut donc regagner en flexibilité d’emploi pour menacer la Russie de dommages équivalents ». Ce missile pourrait jouer un rôle de dissuasion, ce qui « constituerait une révolution dans la conception de la dissuasion française, qui a toujours rimé jusqu’ici avec nucléaire. »
De quel genre de missiles la France dispose-t-elle ?
Outre le M51 et sa vocation nucléaire, la France possède différents systèmes d’attaques conventionnels, mais bien plus modestes qu’un missile balistique. « Du côté de l’armée de Terre, nous avons le LRU (lance-roquettes unitaire) qui porte à 70 km [MBDA et Safran travaillent sur un nouveau lance-roquettes, Thundart, d’une portée de 150 km] ; l’armée de l’Air est dotée du Scalp, un missile de croisière qui porte jusqu’à 500 km ; et la Marine peut tirer avec ses frégates le missile de croisière naval (MdCN), un dérivé du Scalp qui porte à plus de 1.000 km. Mais en tant que missile de croisière, il est beaucoup plus vulnérable qu’un missile balistique », liste Etienne Marcuz.
Un missile de croisière Scalp, dont la portée est de l’ordre de 500 kilomètres. - Mickaël Bosredon/20 MinutesQue permettrait un missile d’une portée de 1.000 à 2.000 km ?
Une portée à 1.250 km permettrait tout juste d’atteindre l’exclave de Kaliningrad depuis la France. Et avec 2.000 km, on pourrait toucher Saint-Pétersbourg, comme le détaille une étude très poussée intitulée : « Quel missile balistique conventionnel pour la France ? » « Mais tout l’intérêt du MBT est de pouvoir être déployé à l’étranger, assure Etienne Marcuz : en installant des batteries de missiles en Pologne, en Suède ou en Finlande, vous pouvez atteindre des cibles jusque dans l’Oural. Et là, cela deviendrait intéressant car vous menacez tout le cœur industriel russe ».
L’idée serait ainsi de « menacer de frapper des cibles stratégiques mais qui n’auraient pas nécessairement un impact direct sur le front, comme des raffineries ou des usines, sans avoir à franchir le seuil nucléaire. Ce missile, c’est donc plus un objet politique que militaire, pour permettre le « dialogue » avec son adversaire. »
Notre dossier sur les missilesCe type de missile est-il interceptable ?
« Ce n’est pas impossible mais très difficile » assure Etienne Marcuz. « Et plus la portée des missiles balistiques est grande, plus ils sont difficiles à intercepter car leur vitesse augmente. » On rappelle que si le système de défense franco-italien Aster 30 a déjà intercepté des missiles balistiques en Mer Rouge, il s’agissait de missiles de courte portée (quelques centaines de kilomètres).
Parmi les systèmes capables d’intercepter des missiles balistiques de plusieurs milliers de kilomètres, il y aurait éventuellement l’Arrow 3 israélien ou le SM-3 américain. « Ce sont des systèmes d’interception exoatmosphériques, c’est-à-dire qu’ils vont aller chercher le missile durant sa phase en dehors de l’atmosphère », avance Etienne Marcuz.