Comment faire face à la maladie ? En la regardant en face, répond Jo Spence. À la lumière crue du vertige face à l’éventualité de la mort, grâce à des images et des mots qui documentent à défaut d’exorciser, l’artiste a mis en récit le chaos mental et physique qui l’a saisi depuis le diagnostic de son cancer en 1982. Une œuvre comme un petit feu entre les doigts, faite de scrapbooks et de photos à l’image de l’urgence des questions qui la traverse, et qui, disons-le, ne s’embarrasse pas de chichis. Déjà Audre Lorde le soulignait dans un discours écrit à la suite de son cancer du sein en 1977 : la maladie purge des fausses questions.

“De quelle manière apprendre à voir au-delà de notre individualité ?”, “Par quel moyen commencer à prendre soin de mon corps ?” ou encore “Qui suis-je bordel ?” sont quelques-unes des interrogations qui jalonnent les compositions photo de l’exposition qui, sans tomber dans le traumatique pur, plante son épine invisible pour titiller le nerf d’un certain nombre de tabous : la santé psychique des femmes, l’épreuve de la maladie et, bien sûr, le refoulement de la mort dans les sociétés occidentales.

Jo Spence

Jo Spence, A Picture of Health: How Do I Begin?’, 1982–83.Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Jo Spence.

Jo Spence

Jo Spence, Final Project, 1991-1992Photo : Julie Ackermann

Née en 1934 de parents ouvriers, Jo Spence a grandi à Londres. Elle n’a pas étudié à la Saint Martins School of Art ni dans quelque autre école d’art. Elle a suivi une formation de secrétariat et a été dactylo dans un studio photo avant de monter le sien, de tirer le portrait de ses pairs et d’immortaliser leurs mariages. Elle en est venue à l’art par la photographie et le militantisme avec une envie de déconstruire la posture contrôlante, dominante du portraitiste au profit d’une approche collaborative.

Dans les années 1970, elle multiplie les autoportraits, réalise des travaux de recherche sur les représentations de Cendrillon et milite, au sein du collectif Hackney Flashers, pour la reconnaissance du travail des femmes. À partir de 1982, à la suite du diagnostic de son cancer, puis de la leucémie qui lui sera fatale en 1992, elle développe alors un corpus unique en son genre, à la croisée de la thérapie, du militantisme et de l’art. C’est sur cette période que se concentre l’exposition à treize, c’est-à-dire que cette pratique de “photo-thérapie” théorisée par l’artiste en collaboration avec sa psy de l’époque. Le résultat ? Des séries sur le mode du journal intime, qui entremêlent des images crues d’un corps meurtri, éclats d’humour, interrogations existentielles et conseils pratiques.

Jo Spence

Jo Spence, Scrapbook [« Love me whatever I do »], 1984?, SPE9.Centre Pompidou/MNAM-CCI/Bibliothèque Kandinsky, Fonds Jo Spence