« J’ai une espèce de sentiment d’urgence à être heureux, encore plus depuis ce qui s’est passé récemment dans ma vie. Quand on est jeune, on ne se rend pas compte du temps qu’on a devant soi, enclin à se mettre la rate au court-bouillon pour rien. Mais les années passant, devenir serein, supprimer le superflu et accomplir ce qui nous plaît nous fait gagner en profondeur. Le fait d’avoir franchi la cinquantaine et le départ de ma mère m’ont fait changer. Par exemple, je n’écoute plus les infos qu’une fois par semaine. »

Leçons de bonheur. Quand Thomas Dutronc décide de vivre ici et maintenant intensément.Leçons de bonheur. Quand Thomas Dutronc décide de vivre ici et maintenant intensément. ©Yann Orhan

Mais n’avez-vous pas toujours posé les jalons nécessaires pour bien vous entourer et mener votre carrière comme vous l’entendez ?

« C’est marrant mais j’ai l’impression d’avoir toujours été mieux compris par le public belge, très friand de second degré. Du coup, je peux déconner et surtout ne pas me prendre au sérieux. Le contraire serait un comble au vu de tous les génies ayant marqué la musique. L’humilité prévaut dans notre groupe, et pourtant je peux m’appuyer sur des musiciens qui sont de véritables sommités à l’international. J’ai le bonheur d’évoluer dans une bande où chacun a son caractère et peut s’exprimer, sans afficher une fausse admiration à mon égard. On s’aime tous vraiment. »

Vous dites l’importance d’entretenir la surprise.

« J’ai commencé ma carrière avec trois chansons. Il a fallu pallier mon manque de répertoire sur scène par des sketches, des trucs sympas inattendus. Les gens viennent pour se distraire et rêver. Je me compare aux deux petits vieux du Muppet Show, toujours à dire des horreurs en rigolant. Quand on a baigné comme moi dans la musique depuis l’enfance, on devient exigeant, surtout en chanson française. Evidemment, si vous prenez Souchon, vous touchez au sublime ! J’ai fait récemment un duo avec la jeune Emma Peters et ça m’a fait du bien de collaborer avec la jeune génération. Mais elle est aussi guitariste et je suis définitivement porté vers les musiciens. J’ai vraiment de la chance car, pour ma part, nous sommes huit sur scène. Dont le Belge Eric Legnini. »

Yann Orhan ©Yann Orhan

Vous donnez le sentiment de vivre une aventure commune avec le public, de l’album à la scène, en passant par vos vidéos. Il fait partie de votre voyage artistique ?

« En concert, j’essaye en effet de l’emmener dans cette expérience qui vous donne des ailes, avec mes modestes moyens et mes amis. Le nouveau spectacle comporte trois phases : le début est très pop et met en avant le nouvel album, vient ensuite notre « guinguette manouche » plus acoustique et enfin un moment plus rock et électrique pour faire lever les gens. Et je mesure encore plus le travail accompli par les techniciens qui se donnent sans compter avec le sourire. C’est tellement beau de partager cette énergie dans une même chaîne, un même projet. Rien n’a vraiment d’importance dans la vie si ce n’est ça, la gentillesse, la courtoisie, le sourire. D’autant plus dans notre société qui fait peur. »

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Lors de notre dernière rencontre, pour l’album « Frenchy », vous parliez déjà de maturité. Que dire aujourd’hui ?

« Vous abordez une maturité augmentée ? Il est évidemment plus difficile de composer un album original et très personnel que des reprises de chansons superbes qui ont fait le tour du monde trois fois. J’apprends encore, il y a parfois des petits miracles et des choses moins bien. Et la prochaine fois que je composerai un disque, je le ferai encore différemment. Mais je ne suis pas resté neuf ans sans rien faire puisqu’il y a eu justement « Live is Love », « Frenchy », l’album et la tournée avec mon père, des concerts de musique manouche… »

Désir et déconne

Vous vous êtes autorisé de vraies chansons d’amour avec « Dans tes yeux », ou encore « Où étais-tu ? ». Un autre cap de franchi ?

« Je me suis mis davantage à nu sans pour autant y réfléchir. Du coup ces moments intimes ne sont pas faciles à recréer sur scène. Comme pour contrebalancer cette façon de me livrer, j’ai balancé des chansons comme « Marie-Lou » et « Katmandou » pour déconner et repartir dans le délire. De quoi seront faites mes prochaines chansons ? Irai-je plus loin encore dans le sentimentalisme et l’amour ? Je vais vous dire : à mes yeux, le texte de « Où étais-tu ? » n’est pas fini, on a cherché durant des mois pour garder finalement la première version avec la force des guitares. »

Goûter l'instant. En dépassant la cinquantaine, l'artiste a appris à privilégier l'essentiel.Goûter l’instant. En dépassant la cinquantaine, l’artiste a appris à privilégier l’essentiel. ©Yann Orhan

Fabriquer des chansons, est-ce un métier d’artisan ?

« Je le pense, cette idée de soigner les finitions, parfois tout démolir pour tout reconstruire. La chanson est-elle un art majeur ? Difficile de le dire, à part quand j’écoute Brassens. Tel l’artisan, il faut parfois laisser reposer son ouvrage, comme un luthier qui laisse reposer son bois. »

Votre retour à l’essentiel se situe aussi dans votre rapport à votre environnement en Corse, dans la nature. Est-ce là que vous créez et réfléchissez le mieux ?

« Quand j’ai commencé la guitare à 19 ans, j’ai rencontré un mec qui faisait la manche dans un square près de chez moi à Paris, on a discuté et joué ensemble. Il venait du Canada et se baladait en Europe. Il était choqué que le prix d’un café soit différent au comptoir et en terrasse. Il faut payer sa place, son espace. Je ne reconnais plus le Paris de mon enfance, tous les petits métiers disparaissent et les Parisiens quittent la ville. Sans compter ce rythme de fou, la pauvreté qui empire et cette agressivité des grandes villes. A la campagne, je rencontre des gens qui bossent comme des fous mais qui me semblent plus sereins. »

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Comment vous situez-vous ? Nostalgique de votre enfance, très ancré dans le présent ou focalisé sur un futur pas très réjouissant ?

« Je suis définitivement dans l’urgence du présent. Je veux vivre ici et maintenant intensément. Le truc qui m’embête est de m’éloigner de mon papa en Corse du fait de ma tournée. Il y a aussi cette urgence-là, passer du temps avec lui. Quant à la nostalgie, elle me prend par vagues, alors j’écoute Charles Trenet qui en parle si bien. Comment font les gens pour ne pas être nostalgiques ? Je réécoutais récemment la chanson « The Love Inside » de Barbara Streisand que ma mère me passait enfant, une émotion de folie. »

Qu’est-ce qui vous ressource quand vous arrivez à lâcher votre guitare ?

« Une vie saine : du sport, une bonne nourriture et me coucher tôt. Je fais un métier où on tire pas mal sur la corde, j’arrive à un âge où je dois doser les fêtes. J’ai appris à apprécier le calme, la tranquillité et pas trop d’êtres humains dans le paysage. J’adore marcher, lire, faire du vélo, cuisiner des plats simples. Et surtout avoir un frigo rempli de bons produits mais un agenda vide ! Pour mieux repartir ensuite. Vous m’avez appris qu’on avait rajouté le Cirque Royal à Bruxelles dans mes dates, je m’inquiétais, vous me voyez ravi. »

Thomas Dutronc en concert le 7 mai au Théâtre Royal à Mons, le 8 mai au Forum à Liège, le 1er août au Ronquières Festival et le 23 janvier 2026 au Cirque Royal à Bruxelles.