Dans cette immense cage à écureuil en métal, agencée à plus de 11 mètres du sol, on se situe quelque part entre un immense jeu de Lego®, un titanesque modèle de Meccano® et un fabuleux casse-tête chinois. Voilà à quoi, depuis quelques jours, s’attelle l’équipe des ateliers Jurine (sis à Lyon) et Chevron-Cattiaux (de Corrèze), chargés de reconstituer le grand orgue de la cathédrale d’où il avait disparu depuis près de 4 ans.
Et en effet, ce n’est pas mince affaire. L’instrument, monté dans les années 1760 par Nicolas Dupont, relève du patrimoine culturel nancéien à haute valeur ajoutée. D’autant qu’en 1861, il a été substantiellement modifié par le plus grand facteur d’orgue de son temps, le dénommé Cavaillé Coll. Jusqu’à en faire un monument à 4 000 tuyaux !
Mais de cette jungle de plomb et étain, il ne restait plus guère qu’une coquille vide en bois. Pour cause de restauration. Une intervention à 1,4 M€, nécessaire à deux titres : d’abord le temps qui passe et ses kilos de poussière qui s’incrustent dans meubles et tuyaux ; mais aussi une malheureuse tentative de « modernisation » en 1965 qui, selon les spécialistes d’aujourd’hui, a dénaturé l’instrument.
« Des tuyaux de cuivre avaient été ajoutés par exemple, soi-disant pour des raisons esthétiques, regrette Johann Vexo, titulaire de l’orgue. Avec pour résultat d’altérer le son. »
Poussières indésirables
Démantibulé dès janvier 2022, le grand orgue a alors été dispersé non seulement chez les facteurs d’orgue lyonnais et corréziens. Mais également chez les Alsaciens de l’atelier Guerrier.
Depuis, à Nancy, rien. Ou pas grand-chose. Il aura fallu qu’avance entre-temps un autre chantier : la restauration des voûtes de la cathédrale. Potentiellement génératrice de poussières indésirables.
Or, la phase 1 de cette intervention, qui concernait l’environnement immédiat de l’orgue, est achevée à présent. On en craint désormais moins les désagréments. D’autant qu’une bulle de protection isole l’orgue et ses échafaudages.
Très lourd, très fragile
Ainsi le puzzle instrumental peut-il désormais être recomposé à l’abri des dangers. Entreprise tout à la fois vertigineuse, spectaculaire, et infiniment délicate.
« C’est qu’il s’agit d’un gros instrument très complexe, comme le sont la plupart des orgues romantiques à partir de 1830, explique Mathieu Delmas, l’un des patrons des ateliers Jurine. Il faut manœuvrer des pièces très fragiles qui pèsent parfois jusqu’à 200 kilos, tout en faisant en sorte qu’elles tombent parfaitement en place. »
Première étape : reconstituer la mécanique interne logée dans le meuble de chêne, insoupçonnée du profane. Une machinerie sophistiquée qui intègre notamment les « sommiers », pièces imposantes (192 kilos pour le plus lourd) sur lesquelles reposent les tuyaux. Un ajustement au millimètre y est requis. Sans quoi, il y aura des couacs à la messe…
« Comme on commence par les très grosses pièces, ça semble prendre tournure très vite, se réjouit Johann Vexo. Mais ensuite, ce sont des kilomètres de tringles (ou vergettes) qu’il va falloir recomposer, ces tiges qui font la connexion entre sommiers et clavier. Un enchevêtrement très élaboré. »
Inauguration en 2027
Quant aux tuyaux à proprement parler (pour l’instant à l’abri en Alsace), il ne faut pas espérer leur retour avant l’été prochain. Car d’abord doit s’achever la restauration des voûtes, de sorte d’évacuer les échafaudages. Ainsi le son pourra-t-il donner sa pleine mesure dans l’édifice.
Alors interviendront les harmonistes, associés à la réinstallation de chacun des 4 000 tuyaux, mais surtout chargés de leur réglage, un à un. Des mois de travail de haute précision !
Et si l’État débloque en temps et en heure les fonds promis pour toutes les phases du chantier (ce qui n’est pas toujours son fort), on peut espérer qu’à l’aube de l’été 2027, l’orgue et son écrin soient rendus à leur public. Et aux paroissiens.