En danger la société d’aménagement publique de Saint-Etienne Métropole ? C’est ce que semblait indiquer un échange aux rares conclusions communes entre opposition et majorité au dernier conseil municipal de Saint-Etienne. La Ville devait en effet prendre acte du rapport de la Chambre régionale des comptes sur cet outil métropolitain ayant connu une activité exponentielle depuis 2019 mais annoncé en déficit en 2025 et 2026. Rapport qui, pour ses aspects négatifs, pointe surtout ce danger financier. Contactée, la direction de Cap Métropole se veut rassurante sans nier que le virage entre deux mandats politiques est délicat à prendre.

Lors de l’inauguration des nouveaux locaux de Cap Métropole il y a plusieurs années déjà.

Elle est fondatrice, c’est la genèse même de Cap Métropole. Ce qui n’est plus un projet en 2025 – hormis quelques-uns de ses éléments -, la reconversion de l’ex Zac Giat en site Novaciéries, ces 45 ha partant du centre de Saint-Chamond croisant désormais parc urbain, activités commerciales, de loisirs, tertiaires, artisanales, culturelles et, bien sûr, industrielles (aspect qui n’y avait cependant jamais été éradiqué), quelques logements aussi, le tout couvrant 1 500 emplois contre moins de 500 il y a 20 ans, n’a pas été initiée par Cap Métropole. Mais par Epora en « partenariat » déjà avec la Ville de Saint-Chamond et surtout Saint-Etienne Métropole, le site étant reconnu d’intérêt intercommunal. A partir de 2012, le devenir des bâtiments vacants et la concrétisation des transformations ont cependant été confiés à Cap Métropole, SPL (Société publique locale) alors naissante.

C’est donc elle qui vient d’obtenir un prix à propos de Novaciéries, reconnaissance d’une œuvre de requalification de grande ampleur et de long cours lancée il y a donc 20 ans, avant même qu’elle n’existe. Le fait de parvenir à croiser une telle variété d’activités en milieu urbain, en jouxtant un centre-ville et non pas en périphérie, bref reconstruire la ville sur la ville, n’y est sans pas étranger. Ce prix est le « Trophée national des EPL » (entreprises publiques locales) dans la catégorie « attractivité des territoires ». Prix remis le 15 octobre à Montpellier à l’occasion du Congrès organisé par la Fédération des élus des Entreprises publiques locales (FedEpl). La veille même, la Chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne Rhône-Alpes publiait un rapport de contrôle sur la structure, sorte de service externalisé d’aménagement urbain pour ses actionnaires publics – la Métropole directement et 16 de ses communes en 2024* – sous forme d’une entreprise publique locale donc.

Forte montée en puissance depuis 2019

« L’intervention de la CRC sur l’activité 2019-2024 de Cap Métropole a été réalisée dans un cadre « normal » émanant du plan pluriannuel de la CRC qui sélectionne certaines collectivités, organismes publics ou Entreprises Publiques Locales, par rotation ou ciblage sectoriel afin de contrôler leur activité », tient à contextualiser « l’enquêtée ». Si une enquête de la CRC peut parfois être déclenchée à la suite de signalements et de soupçons d’irrégularités, ce n’est pas le cas ici. De manière classique, le rapport pointe à la fois des éléments de gestion négatifs, mais aussi positifs qu’il s’agisse de gouvernance ou de réalisations comme, d’ailleurs, son acte fondateur qu’est la reconversion du site Novaciéries. Pour contextualiser encore, il convient de rappeler que Cap Métropole a été créée en 2012 en étant intimement liée à la société d’équipement de la Loire (SEDL), société d’économie mixte devenue Novim, à laquelle elle était adossée.

Aménagement gigantesque et fondateur, Novaciéries à Saint-Chamond, n’est plus la seule raison d’être de Cap Métropole, depuis longtemps. (Plan aérien datant du milieu des années 2010)

Cela avant de devenir autonome par décision politique en 2018. A partir de là, Cap Métropole a vécu une « phase de montée en puissance et de structuration intense de 2019 à 2024 » correspondant, parallèlement, à la montée en compétences de Saint-Etienne Métropole. Aussi, Novaciéries n’est plus, depuis longtemps, sa seule raison d’être. Le chiffre d’affaires – constitué donc des commandes métropolitaines mais aussi communales – est ainsi passé de 0,85 M€ à 2,59 M€ en 2024. Ses effectifs sont passés de dix personnes à une trentaine de salariés. Tandis que champs d’activités – habitat en tête, zones d’activités, expertise, mobilité, espaces publics… – et projets se sont multipliés. « Nous totalisons 70 projets différents depuis nos débuts dont 40 actifs actuellement (dont Novaciéries, en « finition », Ndlr) », indique à If Saint-Etienne Joseph Perreton, son directeur. « Cette évolution du chiffre d’affaires a concouru à une adéquation positive entre les besoins exprimés et les réponses apportées, entre les produits et les charges : un résultat net de + 238 283 € (cumulé, Ndlr) sur cette période », observe aussi Cap Métropole.

Des déficits à combler

Toujours sur cette période 2019 / 2024, celle étudiée par la CRC, la « qualité du pilotage » par les actionnaires, leur information, le bilan du contrôle exprime de la satisfaction. Idem quant aux procédures internes et de commandes publiques . Elle identifie en revanche plusieurs problématiques de gouvernance, en particulier sur la répartition plus claire des rôles entre Luc François, son président en tant qu’élu de la Métropole (le maire de La Grand-Croix est aussi vice-président de l’intercommunalité) et son directeur Joseph Perreton. C’est sa recommandation n°2 : « Se conformer aux règles de répartition des rôles entre président du conseil d’administration et directeur général de la société » (sur les décisions RH notamment revenant au directeur) dans la foulée de la n°1 : « Faire adopter par le conseil d’administration des objectifs opérationnels et financiers pour le directeur général.»

Déficits annoncés au moment de l’enquête de la CRC. Ils sont depuis rectifiés fortement à la baisse.

LA CRC demande, en outre, de « renforcer le contrôle exercé par les actionnaires de la SPL pour garantir la sécurité juridique des contrats conclus avec ceux-ci » et, enfin, de « procéder à la formalisation des procédures internes ». Pas d’autres recommandations. Ce qui ne doit pas occulter cet élément majeur pointé par la chambre : « Après des années de développement très rapide, qui ont amené à rigidifier ses charges, en particulier de personnel et immobilières, la SPL fait face aujourd’hui à des anticipations de chiffre d’affaires défavorables pour les années 2025 et 2026 (0,18 M€ et près d’1 M€ Ndlr), qui amèneraient, à défaut d’actions correctives, à des résultats très largement déficitaires. Elle ne dispose pas des réserves financières adéquates pour encaisser ce choc et ses marges de manœuvres internes sont limitées (83 % de ses charges courantes sont des charges de personnel). » Le conseil d’administration de la SPL a donc décidé début 2024 de mener une réflexion sur un plan stratégique de moyen terme visant à faire face à ces difficultés.

Craintes « partagées »

Les travaux du prestataire missionné – Semaphores Expertise – pour accompagner cette réflexion sont attendus pour la fin d’année 2025. « C’est la première fois que le conseil d’administration sera associé activement à la stratégie de développement de la SPL, ce qui est bienvenu mais particulièrement tardif », note la CRC. Le mandat des collectivités actionnaires s’achevant en 2026 avec les Municipales, il semble que les commandes se soient taries dans cette perspective. Baisse de volume sans doute pas aidée par le climat de prudence généralisé sur les investissements en raison du contexte des finances publiques à l’échelle du pays… Le déficit prévisionnel – au moment de l’enquête – était de 182 699 € pour 2025 ; 986 918 € pour 2026.

Les écologistes considèrent l’ampleur du travail réalisé, mais se questionnent sur l’origine du manque d’anticipation sur lequel vient buter l’avenir de la SPL.

Jean Duverger, élu stéphanois d’opposition écologiste

De quoi faire exprimer de l’inquiétude à Jean Duverger, élu d’opposition écologiste lors du dernier conseil municipal de Saint-Etienne, amené à prendre acte du rapport de la CRC :  

« L’enjeu social concerne une trentaine de salariés. Il est de taille pour eux, bien évidemment, mais aussi pour la métropole et les collectivités locales qui la composent. sachant que l’expertise accumulée risque de se voir anéantie au cas où l’avenir de la structure ne serait pas assuré. Les écologistes demandent à ce que les recommandations de la Chambre soient entendues et retenues. Ils considèrent l’ampleur du travail réalisé, mais se questionnent sur l’origine du manque d’anticipation sur lequel vient buter l’avenir de la SPL. La fin des projets de restructuration des grandes friches industrielles et d’espaces urbains à restructurer étaient pour la plupart d’entre eux largement prévisibles. » Craintes « partagées » par le maire Gaël Perdriau, son 1er adjoint Jean-Pierre Berger qui, sans les nier non plus, souligne qu’elles le sont aussi par la plupart des structures analogues en cette période de fin de mandat.

Des déficits finalement bien moindres

Cependant, depuis l’enquête de la CRC, le déficit cumulé par 2025 et 2026 devrait s’avérer finalement bien moindre, indique à If Joseph Perreton, conscient des incertitudes et de l’impact « fin de cycle » puisque dit-il, le CA en a été alerté début 2024. « Cela n’a rien de très surprenant étant donné que nos ressources dépendent totalement de la commande publique. Mais il n’y aura finalement pas de déficit en 2025, grâce à des contrats renouvelés sur l’accompagnement d’amélioration énergétique de l’habitat privé. Nous devrions aussi faire tomber le déficit à 0,5 M€ pour 2026 si les tendances optimistes à nous voir confier des opérations Opah-RU via la Métropole se confirment. On attend cela pour décembre. Enfin, les efforts internes d’économie déjà enclenchés – modération salariale, optimisation, etc. – vont se poursuivre. On peut donc envisager un déficit réduit à 0,3 / 0,4 M€ en 2026. »

Il faudra donc solliciter les actionnaires et / ou des organismes bancaires en 2026 pour passer le cap. Mais donc sous forme d’emprunts redevables et non d’une perfusion « perdue » pour toujours. Reste que, dans un climat appelant à la chasse aux gaspis croisée avec la crainte du mille feuilles trop crémeux, trop gras de l’action publique, se pose la question du doublon avec les autres sociétés publiques aux statuts différents mais aux activités analogues que sont Epora, l’Epase, Novim, voire Epures sur l’aspect non opérationnel. Le directeur estime qu’il n’y a cependant pratiquement aucun doublon entre sa structure et celles citées plus haut. « Nous sommes complémentaires, sur les thématiques et / ou les zones géographiques.»

Pas de problèmes de doublon pour la direction

« Epora a le « rôle du « proto » aménageur (avec l’Etat derrière et pas que dans la Loire mais depuis longtemps à échelle régionale, Ndlr) qui récupère et dépollue, rend propre le foncier pour nos actionnaires qui, ensuite, nous confie d’y mener à bien un aménagement. Sa directrice est arrivée en même temps que moi, la coordination est très bonne et nos rôles ne s’empiètent absolument pas. Epures travaille sur la prospection, le diagnostic, l’aide à la décision (urbanistique, économique, environnementale, sociale) des élus à différentes échelles mais dans tout le département. Leurs études ont une valeur stratégique, les nôtres technique autour d’une commande. Novim n’intervient pas sur les mêmes zones que nous. Idem pour l’Epase (opérateur d’Etat, entre autres mais aussi) qui se concentre sur un quart de Saint-Etienne (la zone Châteaucreux peut en témoigner, Ndlr) et un bout de Saint-Jean-Bonnefonds. »

L’outil a répondu aux besoins et aux attentes des actionnaires : ni eux, ni la CRC ne disent le contraire.

Joseph Perreton, directeur de Cap Métropole

Et si récemment, Cap Métropole a été « mêlée » à des projets de l’Epase, cela tient à des raisons techniques, sinon de typologie de projets. Ainsi pour une écohameau de l’ilot Beaunier dans le quartier du Soleil plus propres à être conçu via Cap Métropole. Ou encore de projet de requalification de l’habitat dans le quartier stéphanois là de Beaubrun Tarentaize en raison d’une problématique de compatibilité avec les financements de l’Anru dans ce secteur.

Bref à l’idée que Cap Métropole aurait peut-être grandie trop vite au risque de s’affamer et d’empiéter, sa direction répond : « L’outil a répondu aux besoins et aux attentes des actionnaires : ni eux, ni la CRC ne disent le contraire. On a bien bossé en complément d’autre acteurs mais oui, il y a un trou d’air – et il était attendu – entre le mandat finissant et le prochain. Vous savez, dans l’agglomération de Montpellier, une structure comme la nôtre n’a pas 30 collaborateurs mais plus de 600. Même si elle a en plus, le rôle qu’a ici Habitat Métropole et Epures, en ajoutant ces derniers à nous, cela fait toujours deux fois plus de monde à Montpellier que chez nous.»

* La Métropole à 29,75 % ; Saint-Etienne à 24,58 % puis Saint-Chamond à 6,28 %, Le Chambon-Feugerolles, Rive-de-Gier, Firminy ; Villars, Andrézieux-Bouthéon (5,59 % chacune) et enfin, à hauteur de 11,45 % une « assemblée spéciale » formée par L’Horme, La Talaudière, Genilac, La Ricamarie, Saint-Jean-Bonnefonds, Saint-Martin-la-Plaine, Sorbiers, Châteauneuf et Roche-la-Molière.