• Vladimir Poutine a annoncé avoir testé avec succès son nouveau missile balistique expérimental.
  • Propulsé par un réacteur nucléaire, il a été baptisé Bourevestnik.
  • À ce stade, son utilité reste limitée.

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L’info passée au crible des Vérificateurs

Révolution de l’armement ou coup de bluff ? C’est la question cruciale que pose l’annonce venue du Kremlin ce dimanche 26 octobre. Face caméra, en treillis, posé derrière un large bureau, Vladimir Poutine a déclaré lors d’une prise de parole au milieu de ses généraux qu’un missile à propulsion nucléaire avait effectué un vol avec succès. Baptisé Bourevestnik, il s’agirait d’un « produit unique, dont personne d’autre ne dispose dans le monde », s’est félicité le président russe, assurant que les « essais décisifs sont terminés » et les « objectifs clés atteints ». 

Il n’en fallait pas plus pour que les relais traditionnels du récit du Kremlin s’emparent du sujet, saluant une « réussite » de Moscou. Certains décrivent même (nouvelle fenêtre)un missile « quasi invulnérable », « capable de frapper tout lieu sur Terre et déjouer presque tous les systèmes d’interception actuels ». Une description que démentent plusieurs comptes affiliés au soutien à l’Ukraine, regrettant le manque de « preuves ». « Il s’agit d’une tactique d’intimidation désespérée de la part de Poutine », a par exemple rétorqué Maria Drutska (nouvelle fenêtre), ex-diplomate au ministère des Affaires étrangères ukrainien. Nous avons démêlé le vrai du faux. 

Des tests ont eu lieu depuis l’été

Surnommé SSC-X-9 Skyfall par l’OTAN, ce missile utilise la chaleur nucléaire pour remplacer le carburant conventionnel. En théorie, ce moteur possède des mois d’autonomie et une portée quasi mondiale, tout en rasant la surface du globe. Ce qui en fait l’une des six « armes stratégiques russes ». Étudiée depuis le début des années 2000, elle a été révélée au grand public en 2018. Mais depuis, les treize vols d’essais organisés sur le territoire se sont tous soldés par des échecs ou des semi-échecs, d’après les renseignements américains. 

Jusqu’à ce 21 octobre ? Selon les précisions de Valéry Guérassimov, chef d’État-major général des forces armées du pays, le test aurait eu lieu à cette date. Vol au cours duquel le missile aurait parcouru environ 14.000 km en une quinzaine d’heures. En l’absence de vidéos et d’images pour authentifier ce vol ou encore de données de traçage en ligne, il nous est impossible de confirmer de manière indépendante l’existence de ces essais. Toutefois, tout laisse penser que des expérimentations ont bien eu lieu depuis cet été. Début août, trois avions spéciaux (nouvelle fenêtre)ont en effet été aperçus sur l’archipel de Nouvelle-Zemble, où se trouvent les terrains d’entraînement du ministère russe de la Défense, et un message a été envoyé aux navigants aériens pour interdire le survol d’une zone de 40.000 km². Sans compter le déploiement en mer Baltique (nouvelle fenêtre)d’un Boeing WC-135R Constant Phoenix, cet avion « renifleur » d’armes nucléaires de l’US Air Force. Autant d’indices qui corroborent l’existence d’essais (nouvelle fenêtre) dans la région.

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C’est pourquoi les spécialistes s’accordent à dire que « les recherches sur ce missile semblent exister », comme l’a relevé Bruno Comby. Sur LCI (nouvelle fenêtre), ce polytechnicien ingénieur en génie nucléaire a décrit les « difficultés » que représente ce type de projet, tant d’un point de vue scientifique que technique. Idem du côté d’Etienne Marcuz. Spécialiste des armements stratégiques, il reconnaît auprès de TF1info la « prouesse technologique » de ce type de système… Avant de nuancer son propos. À ce stade, les recherches ne sont « pas totalement abouties ». « Le missile n’est pas du tout opérationnel, eux-mêmes le disent », souligne notre interlocuteur, confirmant l’analyse de Bruno Comby selon laquelle il « reste encore beaucoup de travail à faire pour déployer ce missile ». 

Et de fait, si le chef du Kremlin a bien déclaré qu’il s’agissait du « dernier test réussi » pour le Bourevestnik, la lecture des échanges (nouvelle fenêtre)avec son chef d’état-major montre une réalité bien plus subtile. Pour Vladimir Poutine, il convient désormais de « commencer à préparer l’infrastructure nécessaire au déploiement de cette arme ».  « Ils expliquent eux-mêmes que rien n’est prêt pour un éventuel déploiement », résume Héloïse Fayet, responsable du programme de recherche Dissuasion et prolifération au sein de l’Ifri. 

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Non seulement la Russie ne possède pas « les infrastructures pour son déploiement dans les forces », comme le relève la spécialiste, mais Moscou doit encore « déterminer les utilisations possibles », du propre aveu du président russe. Ce qui signifie qu’à ce stade, la « doctrine d’emploi » du missile n’a pas encore vu le jour, pour reprendre l’expression de la chercheuse. Et pour cause, si ce missile peut paraître « assez révolutionnaire » sur un plan technologique, « les Russes se rendent bien compte que l’intérêt est assez limité pour un coût sûrement exorbitant », analyse Etienne Marcuz. « Je me félicite de chaque rouble que la Russie investit dans ce missile inutile et superflu », a même ironisé Fabian Hoffmann (nouvelle fenêtre), chercheur allemand spécialiste des missiles. C’est précisément la raison pour laquelle les États-Unis ont laissé tomber un tel projet. Alors qu’ils avaient développé un missile de croisière à propulsion nucléaire dans les années 50, réalisant avec succès certains tests, le projet a été abandonné en partie à cause de la pollution radioactive produite par le déploiement, après avoir coûté deux milliards de dollars. 

Des annonces en « trompe-l’œil »

Enfin, si Vladimir Poutine a raison lorsqu’il affirme que ce missile est « sans équivalent », il est faux de penser qu’il pourrait outrepasser tous les systèmes de défense antimissile. Techniquement, les annonces de Moscou démontrent l’endurance de ce missile, mais pas sa capacité à survivre aux systèmes de défense aérienne. « Il n’est pas du tout inarrêtable et est même facilement interceptable s’il reste longtemps en l’air », relève le chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). « Son seul intérêt, c’est qu’il peut arriver là où on ne l’attend pas », grâce à son endurance. Un constat similaire à celui de Jeffrey Lewis (nouvelle fenêtre), expert en non-prolifération nucléaire à l’Institut Middlebury. Pour lui, il n’y a pas de doute, « les avions de l’Otan peuvent intercepter » ce tout nouveau missile, dans lequel il ne voit « qu’une étape supplémentaire dans une course aux armements qui n’offre aucun avantage réel à aucune des deux parties ». 

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En résumé, s’il y a fort à parier que la Russie a bien réalisé ces essais avec succès, à ce stade, ce missile ne change pas la donne. « L’allongement de la portée ne modifie pas l’équilibre de la dissuasion », nous souffle une source militaire française en guise de conclusion. D’autant que cette annonce pourrait aussi être un « trompe-l’œil », pour reprendre l’expression d’Etienne Marcuz. Car les deux projets de dissuasion nucléaire de Moscou – à savoir le missile Sarmat et le Bulava – peinent tous les deux à démontrer leur efficacité. Le premier « a raté ses quatre derniers tests » et le second « n’a pas démontré ses capacités depuis longtemps ». « Or, ce sont ces armes qui sont censées envoyer aujourd’hui les têtes nucléaires russes ». 

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Felicia SIDERIS