Depuis 120 ans, les Champions de France endossent un maillot tricolore le jour de leur victoire. Mais une fois déshabillé par un adversaire plus rapide comment en garder le souvenir ? Depuis 1925, la fédération française, alors appelée Union vélocipédique de France, autorise « les anciens champions de France professionnels, lorsqu’ils ne possèdent plus le titre, [à] porter durant toute leur carrière sportive, soit sur route, soit sur piste, les demi-manches tricolores, ces demi-manches tricolores étant complètement interdites à tous autres coureurs ainsi que tout liseré tricolore ou complétant les trois couleurs avec celle du maillot. Idem pour les anciens Champions de France amateurs, s’ils sont restés dans cette classe ».

Pour la première année, seuls sept coureurs dont Henri Pélissier sont autorisés à décorer leur maillot ainsi. Il n’y a aucun coureur encore amateur qui remplit ce critère. Gabriel Poulain, le premier porteur du maillot en 1905, n’est pas dans la liste. Ce n’est pas parce qu’il a raccroché mais parce qu’il est redevenu Champion de France, 19 ans après, en 1924. Et jusqu’à la fin de sa carrière, il ne portera jamais les manches tricolores. En effet, ces liserés sont une possibilité et pas une obligation, et ils vont le rester très longtemps dans la tête des coureurs et, surtout, de leurs équipes.

DE LA POITRINE AUX MANCHES

Cette idée d' »inscrire sur leurs manches leur glorieux passé », comme le dira L’Auto en 1941, ne tombe pas du ciel. Avant de passer aux manches, cette bande tricolore se coud sur le maillot. A partir de 1921, « tous les anciens champions de France seniors devront, lorsqu’ils seront dépossédés de leur maillot tricolore, porter, durant toute leur carrière sportive, une ceinture tricolore, tissée ou non dans le maillot, mesurant 21 cm de hauteur », précise la Commission sportive de l’UVF. Cet organe de la fédération voit là une « juste récompense, bien due à ceux qui auront eu l’honneur de porter le maillot aux trois couleurs ». Dès 1921, Jean Alavoine porte cette bande et c’est bien pour cela qu’Henri Pélissier porte une bande tricolore sur son maillot violet d’Automoto en 1923 quand il gagne le Tour de France.

C’est aussi au début des années 20 que le maillot bleu-blanc-rouge est réservé aux professionnels. Les Champions amateurs portent un maillot blanc à liseré tricolore et les indépendants un maillot noir-bleu-blanc-rouge. Avec les années, les Juniors, les Dames et les Cadets auront aussi leurs couleurs. Ce n’est qu’en 1991 que tous les Champions de France porteront un unique maillot bleu-blanc-rouge.

Les demi-manches comme on les appelle à l’époque (on dira quarts de manche ensuite) ont des fortunes diverses puisqu’ils n’ont rien d’obligatoire. Mais ils vont être déclinés sous plusieurs couleurs. Le règlement du Tour de France 1928 prévoit le cas d’un Champion de France qui devient Maillot Jaune. « Le cas s’est déjà présenté et le maillot jaune primant tous les autres, l’intéressé s’en est sorti en gardant sur ses manches un petit liseré tricolore ». En 1955, Louison Bobet a eu la coquetterie de demander des liserés arc-en-ciel aux manches de son maillot jaune. Car c’est avec les Champions du Monde que les liserés vont avoir le plus de succès.

L’ARC-EN-CIEL GAGNE LA DEUXIÈME MANCHE

En 1927, Alfredo Binda est Champion du Monde. Il va porter son maillot arc-en-ciel avec des liserés vert-blanc-rouge pour rappeler qu’il est aussi Champion d’Italie. Et quand il va retrouver son maillot vert-blanc-rouge, il portera des quarts de manche arc-en-ciel. Dans le même genre, les quarts de manche de Jeff Scherens, Champion du Monde, rappellent qu’il est aussi Champion de Belgique de vitesse. En 1932, il succède au danois Willy Falck Hansen. Et le Danois, au centre de la photo, ne va pas porter des quarts de manche mais bien des liserés au dessin moderne. Sur route, les ex-Champions du Monde prennent vite le pli de ces décorations. Et les liserés passent plus facilement la frontière amateurs-pros que les Jeux olympiques de l’époque. Ainsi, Louis Gérardin, une fois passé pro, affiche sur ses manches l’arc-en-ciel de son titre de Champion du Monde de vitesse amateurs, sauf quand il porte le maillot tricolore.

Les quarts de manche tricolore s’affichent dans les années 30 et 40 chez les anciens Champions de France. Après-guerre, la mode des quarts de manche disparaît mais les liserés font de la résistance. Pierre Jodet, une seule fois titré en cyclo-cross en 1950, à une époque où la France monopolise le Championnat du Monde, arbore son liseré au col.

Jacques Anquetil maintient la tradition par éclipse. Champion de France Amateurs en 1952, il porte, parfois, l’année suivante chez les Indépendants, un liseré bleu-blanc-rouge sur les manches de son maillot rouge La Perle. Chez les pros, ses seuls titres nationaux sont conquis sur la piste en poursuite. Le Normand affiche des liserés chez Helyett entre 1959 et 1961. Chez Saint-Raphaël, ils disparaissent pour revenir chez Ford à partir de 1965 puis chez Bic jusqu’à la fin de sa carrière. Dans son équipe, Jean Stablinski, quand il n’est pas Champion de France, porte lui aussi les liserés mais arc-en-ciel, de son titre mondial de 1962. Leur directeur sportif Raphaël Géminiani portait lui aussi les liserés tricolores à partir de 1955 sur les maillots de sa marque. Et Roger Rivière, son coureur en 1959 et 1960, porte des liserés arc-en-ciel dans le peloton. Il a été triple Champion du Monde de poursuite, les parements passent aussi la frontière des disciplines.

LES LISERÉS PRENNENT DU GALON

Une équipe belge va mettre le paquet. Le vélo aime les rubans. Dès qu’un Champion du Monde a touché une de leurs machines, les marques de cycles enroulent les tubes de leurs vélos de liserés arc-en-ciel. Flandria a équipé Rik Van Looy et les parements sont déjà sur les vélos rouge. Mais à partir de 1971, c’est toute l’équipe qui aura le droit aux liserés au col puis aux manches, jusqu’en 1979, dernière saison de l’équipe. En début de saison 1971, son coureur Eric De Vlaeminck renouvelle son titre de Champion du Monde de cyclo-cross et pour couronner le tout, l’été suivant, Jean-Pierre Monséré endosse le maillot arc-en-ciel sur route. L’année suivante, en 1972, Roger, le frère d’Eric, part chez Dreher, avec ses liserés irisés. Il a été Champion du Monde de cyclo-cross, mais chez les amateurs, pas encore chez les pros. 

Les liserés stimulent aussi l’imagination. Pour symboliser la victoire de Joop Zoetemelk dans le Tour 1980, Peter Post, son directeur sportif de Ti-Raleigh, a une idée pour l’année suivante. Il lui fait porter des liserés jaunes en 1981.

Dans les années 80, les liserés bleu-blanc-rouge vont reprendre du galon. Grâce au cyclo-cross encore. En 1981, Jean Chassang, Champion de France en titre, affiche les trois couleurs au bout des manches de son maillot de l’équipe Puch. En 1982, Marcel Tinazzi, Champion de France 1977 sur route, porte pour la première fois ses parements. L’année suivante, c’est Marc Madiot qui porte le souvenir de son maillot tricolore de cyclo-cross en 1982. Il porte donc déjà les liserés quand il devient Champion de France sur route en 1987. La piste n’est pas en reste. Gilbert Duclos-Lassalle valorise son titre national de la poursuite 1984 avec ses parements à partir de 1986. 

L’UCI S’OCCUPE DE SON MATRICULE

La bonne volonté de l’équipe, et aussi l’équipementier, joue aussi beaucoup dans la confection d’une bonneterie spéciale. Régis Clère doit attendre cinq ans après son titre pour trouver une équipe qui lui fournisse un maillot avec du bleu-blanc-rouge. Chez La Vie Claire, Marc Gomez, puis Jean-Claude Leclercq, portent des maillots avec leurs liserés d’anciens Champions de France dès la première année. La Vie Claire, c’est l’équipe de Bernard Tapie, avant l’Olympique de Marseille dans le foot. Et là aussi, il y a un lien avec les liserés bleu-blanc-rouge. Le football a trouvé que c’était une bonne idée de donner un signe distinctif au club Champions de France en titre. Dans les années 60-70, il porte les liserés bleu-blanc-rouge la saison suivante comme sur le maillot vert de l’AS Saint-Etienne. L’OM de Bernard Tapie est le dernier à faire vivre cette tradition.

Dans les années 90-2000, les liserés ont le vent en poupe et pas seulement dans les équipes françaises, notamment au Gan et à la Française des Jeux. Les Champions du Monde sur piste comme Francis Moreau, Stuart O’Grady, Bradley McGee mais aussi Ekimov à l’US Postal. Thor Hushovd, Champion du Monde Espoirs contre-la-montre porte ses liserés à son arrivée chez les pros au Crédit Agricole. Chez les équipes féminines aussi, on suit le mouvement.

L’UCI n’a rien dit jusqu’en 2004. Les liserés montent en grade mais en 2005, la fédération internationale s’occupe de son matricule sous le numéro 1.3.064. C’est l’article qui autorise et limite le port des liserés arc-en-ciel. Un ancien Champion du Monde « ne peut porter un tel maillot que dans les épreuves de la discipline, de la spécialité et de la catégorie dans laquelle il a obtenu le titre et dans aucune autre épreuve ». Les fédérations nationales appliquent le même règlement. Mais ça n’empêchera pas un Champion de France d’exclamer après son titre « j’aurai les liserés à vie ».