Tout juste nommé à la tête du Festival d’Aix-en-Provence, Ted Huffman étrenne son premier Verdi à l’Opéra national du Rhin. Sans parvenir, dans l’espace (presque) vide qu’il a conçu pour “Otello”, à renouer avec l’intensité shakespearienne de sa mise en scène du “Couronnement de Poppée” de Monteverdi. Adriana Gonzalez domine une distribution inégale, menée par la baguette rigoureuse de Speranza Scappucci.

© Klara Beck
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
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“Otello” de Verdi à Strasbourg
Trois murs formant une boîte immaculée, percée de portes suffisamment larges pour permettre à la foule d’entrer et de sortir avec fluidité d’un plateau recouvert de laiton, tel un vaste miroir. Quelques tables éparses, des chaises à proportion. Et rien de plus, sinon des costumes dont la contemporanéité vague inscrit l’action plus au moins au mitan, peut-être, du siècle dernier. Ted Huffman demeure fidèle à l’esthétique minimaliste qui avait si bien réussi, au Théâtre du Jeu de Paume d’Aix-en-Provence, voici trois ans, puis aux quatre coins de l’Hexagone, à sa mise en scène du Couronnement de Poppée, portant au paroxysme l’expressivité si immédiatement palpable des visages et des corps. Mais cette nudité censément élisabéthaine du théâtre n’insuffle à aucun moment à cette nouvelle coproduction de l’Opéra national du Rhin avec l’Opéra national de Nancy-Lorraine et les Théâtres de la Ville de Luxembourg l’intensité shakespearienne que se sont appropriée Boito, par les mots, et Verdi, par leur alliage avec la musique pour en faire jaillir un drame concis, sans fioritures.
Ombres et lumières
L’angoisse de la tempête initiale ne se lit pas dans les mouvements, encore moins les regards des chœurs, tandis que le jeu sur les ombres esquissé dans le dialogue entre Iago et Roderigo tourne court. Le couple d’amoureux passe quant à lui trop de temps assis, à distance, dans un duo absolument dépourvu de poésie et de sensualité. Nulle tension ne tire le deuxième acte de la torpeur d’une épure pas si distinguée. Ni n’émane du labyrinthe des tables dressées, au III, pour le banquet en l’honneur des dignitaires de la République de Venise. Fuyant l’angoisse solitaire de sa chambre, Desdemona cherchera refuge dans cet espace public déserté, sans pour autant échapper à la jalousie d’Otello, qui l’abattra d’un coup de feu plutôt que de l’étouffer – pourquoi pas mais à quoi bon, a fortiori quand l’effet achoppe sur la une synchronisation approximative de l’image et du son, trop lointain pour être crédible ? –, avant de retourner son revolver contre lui-même.
Sans doute a-t-il aussi et plus que tout manqué à Ted Huffman cette adéquation physique entre les principaux interprètes et les personnages qu’ils sont censés incarner, sur laquelle reposait en grande partie la saisissante vérité de son Couronnement de Poppée. Mais Verdi – est-il utile de le préciser ? – a des exigences purement vocales qui interdisent de tricher. Le rôle-titre, en particulier, où avait d’abord été annoncé le ténor afro-américain Issachah Savage, auquel a été substitué, sans recours au maquillage – évacuant donc la question raciale à laquelle le metteur en scène souhaitait se confronter –, Mikheil Sheshaberidze. Les moyens sont assurément conséquents, et déployés avec assez d’attention aux nuances et au texte pour ne pas les couler dans un bloc uniforme. Mais le chant est en dents de scie, d’un grave qui se dérobe à un aigu tantôt fulgurant d’élan comme d’impact, tantôt poussé, tendu, sans assise ni éclat. Et le jeu terriblement pataud.
En Daniel Miroslaw lui fait face un Iago jeune et élancé, dont la relative clarté serait intéressante, mieux, insinuante, si l’émission de sa basse devenue baryton n’était pas si exécrablement engorgée. La première Desdemona d’Adriana Gonzalez plane dès lors seule, et très au-dessus, grâce au miracle propre à son soprano doté d’une discipline à l’ancienne, mêlant à la lumière profuse du timbre l’extase d’une ligne à la fois plantureuse et éthérée.
Geste concentré
Reléguant dans l’ombre des comprimari anecdotiques, Cassio compris, les chœurs, cumulant les forces de la maison et celles de l’Opéra national de Nancy-Lorraine, brillent d’une vigueur certes générique, mais supérieurement efficace. Par contraste, l’Orchestre philharmonique de Strasbourg paraît souvent en mal de plénitude, victime d’une acoustique décidément problématique, qui circonscrit le son à la fosse – au profit des voix, jusqu’à un frustrant déséquilibre. Le geste concentré, rigoureux de Speranza Scappucci ne laisse cependant jamais fléchir le flux dramatique. Au contraire, la cheffe italienne l’intensifie avec un sens infaillible de l’anticipation, et toujours au plus près de ce rapport essentiel, organique entre texte et musique, qui est la marque du Verdi de la dernière maturité.
Otello de Verdi. Strasbourg, Opéra, le 29 octobre 2025. Représentations à Strasbourg jusqu’au 9 novembre, et à La Filature de Mulhouse les 16 et 18 novembre.