Le tribunal correctionnel de Paris rendra sa décision le 29 janvier prochain concernant l’ex-PDG de Casino, Jean-Charles Naouri, prévenu de corruption et de manipulation de cours, aux côtés de trois anciens cadres, et de l’éditeur de journaux financiers Nicolas Miguet. Au terme de ce procès, le parquet national financier a requis de la prison ferme contre les prévenus, mais aussi 75 millions d’euros d’amende contre Casino en tant que personne morale…

C’est un autre procès dans lequel il est, là aussi, question d’« opération de barbouzes », selon les mots du ministère public. Au terme de huit journées de débats, les réquisitions ont duré plus de cinq heures. Le ministère public a requis une peine de quatre ans de prison dont un ferme aménageable à domicile, une amende de 2 millions d’euros contre l’ex-PGD du groupe Casino, Jean-Charles Naouri, ainsi qu’une interdiction de gérer avec sursis, et une obligation de diffuser la décision dans la presse.

Contre le patron de presse financière Nicolas Miguet, déjà condamné à dix-neuf reprises par la justice, il a demandé quatre ans de prison fermes avec exécution provisoire, ainsi que des amendes de 850 000 euros à titre personnel et de 1,5 million d’euros pour ses sociétés, et une interdiction définitive de gérer une société avec exécution provisoire. Puis, le parquet a réclamé des peines de deux à trois ans d’emprisonnement avec sursis et des amendes de 300 000 à 500 000 euros à l’encontre de trois anciens cadres de Casino. Enfin, il a également réclamé 75 millions d’euros d’amende contre Casino en tant que personne morale, ainsi qu’une interdiction de faire appel public à l’épargne pendant trois ans avec sursis simple, et mise en conformité obligatoire.

Poulies bretonnes

Pour comprendre l’affaire, il faut remonter à la fin des années 90, période à laquelle Jean-Charles Naouri a réussi à bâtir un empire via une série de holdings imbriquées, comme le relatent nos confrères des Echos dans cette vidéo. C’est ce système de sociétés à étages, aussi appelé « poulies bretonnes » dans le jargon financier, qui lui a permis de mettre la main sur Casino avec un apport en capital limité, en finançant le tout par l’endettement. Le principe étant que pour racheter une entreprise A, on crée une holding B. Cette dernière demande un emprunt important à des banques pour acheter A, et ensuite A reverse d’importants dividendes à B pour la désendetter, et ainsi de suite avec de la dette à chaque niveau. Tant que le groupe affiche de bons résultats, la stratégie est rentable.

Mais à partir de 2015, les signaux d’alerte se multiplient. A l’époque, des fonds activistes, comme Muddy Waters dénoncent la fragilité financière du groupe et la complexité de ses montages, dans un rapport qui pointe le surendettement des holdings qui détiennent les sociétés du groupe. Le cours de l’action s’effondre, et les créanciers s’inquiètent. Les fonds spéculatifs pariant à la baisse sur Casino, cela a amplifié la chute du cours. C’est pourquoi en septembre 2018, alors que l’action est au plus bas, la direction aurait cherché à redorer l’image du groupe auprès des investisseurs individuels.

Rien ne va plus

Ainsi, d’après le parquet national financier, Jean-Charles Naouri aurait mandaté l’éditeur Nicolas Miguet pour diffuser, via ses publications et lettres boursières, des analyses favorables à l’action Casino. C’est l’ex-directeur de la communication du groupe, Nicolas Boudot, qui organise une rencontre entre les deux hommes. Rencontre à l’issue de laquelle un contrat aux contours flous de prestation de services est établi, entre les dirigeants et le journaliste condamné à 18 reprises, pour la modique somme de 823 000 euros. Pour l’accusation, il s’agit de redorer le blason de Casino. Le parquet y voit une manipulation de cours et un acte de corruption, visant à faire remonter artificiellement le prix du titre, car jamais le public de l’éditeur n’a été informé de ses liens financiers avec le groupe. Un « pacte entre un émetteur de premier plan [Casino] et un journaliste de seconde zone », dira le procureur.

Une version niée farouchement par les prévenus qui dénoncent une enquête à charge, et pour qui ce contrat regroupe des abonnements aux publications du journaliste, au profit des 1 800 directeurs de magasins du groupe. « À aucun moment la convention ne mentionne d’abonnements », répond le procureur.

©JT/ If Saint-Etienne

Une vraie fausse OPA ?

Selon la défense, les initiatives de communication n’étaient qu’une réponse à ces attaques, destinées à rassurer les marchés et à défendre les salariés comme les actionnaires. Xavier Kemlin, l’un des arrière-petits-fils du fondateur du groupe Casino Geoffroy Guichard, est partie civile dans ce dossier. Interrogé par le tribunal, il a expliqué : « L’objectif de monsieur Naouri, acculé, était triple : gagner du temps en entretenant l’illusion d’un plan crédible auprès du marché, de ses bailleurs de fonds et des petits porteurs, détourner l’attention en instrumentalisant certains acteurs, dont monsieur Miguet, monsieur Minc et monsieur Bompard, et enfin faire croire à une OPA de Carrefour ».

Ainsi, l’idée aurait été de faire temporairement remonter le cours de l’action Casino, et d’éventuellement profiter d’une Offre publique d’achat (OPA), qui consiste à prendre le contrôle d’une société cotée en achetant ses titres à ses actionnaires. Pour les inciter à vendre leurs titres, le prix offert est généralement supérieur au cours coté. « Ce qui m’a choqué à l’audience, c’est que personne n’a compris que Casino n’était pas OPAble, détaille Xavier Kemlin en revenant sur son intervention. Là où monsieur Miguet s’est trompé, c’est qu’il n’a pas compris la nature véritable de Monsieur Naouri qui n’a jamais eu l’intention de céder quoi que ce soit. Il a préféré, jusqu’au bout, écraser l’avion plutôt que de lâcher le manche, de peur aussi d’un audit géant du repreneur ou de son futur associé ».

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Alors si les réquisitions étaient suivies, ces 75 millions d’euros représenteraient-ils un danger pour le groupe ? Non, si l’on en croit Xavier Kemlin. « Le procureur a dit qu’au regard du préjudice, il aurait dû demander plus d’1 milliard d’euros, mais il a réclamé 75 millions d’euros d’amende au regard de la situation actuelle d’entreprise ». Et probablement parce que la direction a changé depuis l’époque des faits. Un argument pointé par la nouvelle équipe.

Contactée par nos soins sur ces réquisitions, la direction de la communication nous a transmis quelques éléments de réponses. « Pour le Nouveau Casino, les réquisitions ne constituent pas une décision de justice et ces demandes n’engagent pas le tribunal. Par ailleurs, elles ne prennent pas en considération le fait que le Nouveau Casino n’a plus rien à voir, ni par sa taille, ni par sa situation financière ou sa gouvernance, avec celui qu’il était à l’époque des faits examinés. Nos avocats ont eu l’occasion de s’exprimer pour expliquer que nous considérons que la personne morale Casino Guichard Perrachon ne peut se voir personnellement reprocher aucun délit et qu’elle n’a, en aucune manière, tiré bénéfice des faits qui sont évoqués dans ce procès ».

Une question subsiste alors. Comment un groupe aussi solide a-t-il pu se retrouver au bord du gouffre ? La Justice doit déterminer si la chute de Casino est en partie le fruit de la spéculation, ou d’une manipulation orchestrée au sommet. Elle rendra sa décision le 29 janvier prochain. L’ensemble des prévenus ont demandé leur relaxe.