La file est longue, les anecdotes encore plus. À l’entrée des Galeries Lafayette Bourse et Prado, qui vont fermer pour de bon ce samedi 15 novembre, soit 15 jours avant la date prévue, il suffit de tendre la perche pour s’émouvoir. Par dizaines, les clients racontent, en couple, en famille ou entre copains, ce qu’ils ont pu partager et porter grâce aux « Galeries ».
« Je me souviens, c’était en 1979… »
Marc a pris son premier poste à 17 ans aux Galeries Lafayette. /PHOTO T.Be.
Parmi les clients qui repartent plus ému par leur passage dans les rayons qu’en caisse pour acheter un article de plus, Marc Morino « fait partie des meubles » du centre Bourse. « J’ai pris mon premier job ici en 1979, j’avais 17 ans et je ramassais les’Caddies’. À l’époque, les jetons en plastique n’existaient pas », se rappelle l’ado devenu grand-père, 63 ans au compteur mais le sourire toujours aussi ravageur. « Derrière tous les souvenirs, il y a de la tristesse. On regarde dans le rétroviseur, on se demande ce qui a pu se passer pour qu’à Marseille, ça décroche, alors qu’à Paris, ça cartonne », dit l’ex salarié en référence aux 10 millions d’euros de perte accumulés par l’enseigne chaque année dans la cité phocéenne.
À quelques rayons de là, Paulette Gompel ne fait pas partie des meubles, mais de l’histoire des Galeries, littéralement. « Je suis la descendante d’un des deux frères Gompel, fondateurs des Dames de France », lâche-t-elle, un sac en cuir griffé sous le bras. Cette entreprise est rachetée par les Galeries en 1985. En mai de cette année, le magasin Dames de France à Marseille passe sous le pavillon des Galeries, pierre fondatrice d’une histoire de fidélités, de coquetteries, et d’émancipation, aussi (plus de 70% des cadres des Galeries sont des femmes, un score envié par les entreprises du CAC 40). D’une formule, la « doyenne » des Galeries qui « a grandi parmi les vendeuses apprêtées », résume ce qu’elle entendait dans les rayons : « Si vous voulez bien le vendre, mesdames, vous n’avez qu’à le porter ! »
Opération de liquidation des stocks aux Galeries Lafayette à Marseille. LP – VALLAURI Nicolas
Les salariés méritent un « merci »
Daniel, 77 ans et habitant de l’Estaque, se souvient de l’achat de son premier « pardessus » aux Galeries Lafayette du centre Bourse. /PHOTO T.Be.
Daniel, 77 ans, se rappelle « sa chance », être passé à Bourse il y a trente ans pour trouver « son premier pardessus, un De Fursac, à l’époque. Le vendeur me dit : ‘vous faites une taille standard, n’attendez pas les soldes’. Je n’ai pas craqué, on est devenus amis et j’ai trouvé le seul modèle qui restait dans le rayon 15 jours plus tard, à moins 50% ». Pour Yam, 40 ans, une salariée d’Aldi qui fait son dernier shopping aux Galeries Prado, « c’est une institution qui part. J’ai grandi avec le centre Bourse, c’étaient nos Terrasses du Port à nous ! ». « Son top », « sa base », c’est ce bonnet en (fausse) fourrure de la marque Galeries Lafayette qu’elle garde précieusement et ressort à chaque hiver.
Opération de liquidation des stocks aux Galeries Lafayette à Marseille. /PHOTO Nicolas Vallauri
« Tout le monde me demande où je l’ai trouvé, les gens kifent », se marre-t-elle. Pour Paola et sa fille de 16 ans, Lana, qui font, elles aussi, du lèche-vitrine au Prado, « c’est un endroit où voir de la beauté », les Galeries, « avec les grandes marques, on a une vision de la mode à instant’T’et on se dit que c’est l’art de s’habiller et se maquiller à la française ».
Alors, pour Samira, « citoyenne engagée pour Marseille » qui occupe un poste au syndicat des patrons, le Medef, « impossible de bâtir un futur désirable sur des blessures non reconnues. Derrière la fermeture des Galeries, il y a des salariés qui ont consacré des années à faire vivre ces enseignes, avec loyauté et fierté. Ils méritent un’merci’collectif avant de clôturer ce chapitre avec dignité. »