Il s’inspire de l’approche hybride conçue aux bassins nantais pour simuler les effets du vent et de la mer sur les éoliennes. À terme, il sera possible d’émuler numériquement différents types de systèmes de propulsion par le vent, pour tester facilement en bassin des navires dotés de ces équipements.
Un nouveau moyen d’essais pour la propulsion vélique a été conçu par l’équipe des bassins de génie océanique du LHEEA (Centrale Nantes, CNRS). Il a été réalisé dans le cadre d’un projet dénommé PropVelBA (PROPulsion VELique en Bassin, 2023-2025), financé à hauteur de 80.000 euros par l’Institut Carnot MERS (Marine Engineering Research for Sustainable, Safe and Smart Seas) et l’Agence Nationale de la Recherche (ANR).
Il a abouti à une campagne d’essais en bassin du 1er au 12 septembre. Pendant près de deux semaines, les essais ont consisté à expérimenter sur un navire à propulsion vélique des manœuvres simples et standardisées, et à comparer des scénarios répétés pour évaluer, par exemple, l’influence de la position du système propulsif. Si ces essais ont fourni de premiers résultats scientifiques, ils visaient avant tout à obtenir une « preuve de concept », en développant un logiciel performant, en s’assurant que le bateau réagissait correctement et en vérifiant que les capteurs étaient bien fonctionnels.
Une boucle en temps réel
PropVelBa a été lancé dans la continuité de l’approche hybride SOFTWIND pour simuler les effets du vent et de la mer sur une éolienne en mer. Une configuration problématique, car il n’est pas possible de rester en similitude pour les forces hydrodynamiques et aérodynamiques simultanément. Pour contourner cette difficulté, les équipes de Centrale Nantes ont adopté une approche hybride, avec une boucle en temps réel, dite « software in the loop ». On y calcule les efforts du vent en temps réel et on les applique au moyen d’hélices de drone sur une maquette d’éolienne placée dans le bassin. Cette approche permet donc de coupler l’essai hydrodynamique en bassin océanique avec une simulation numérique du comportement aérodynamique de l’éolienne.
Louis Jouenne, ingénieur d’études à Centrale Nantes, a adapté le dispositif à des essais de propulsion vélique, où l’on rencontre également cette problématique. L’idée était d’avoir recours à cette méthode hybride en simulant en temps réel l’effort des voiles pour ne pas utiliser de « vraies voiles » sur une maquette en bassin.
La maquette utilisée.
La maquette utilisée est un design SOBC-1 open source de 3 mètres de longueur conçue à des fins de benchmark par Sintef (Fondation pour la recherche scientifique et industrielle), en Norvège. Il s’agit du modèle réduit (à échelle 1/65e) de la coque d’un vraquier de 200 mètres, avec un fond plat. Ce n’est pas un design conçu en première intention pour de la propulsion vélique, mais il pourrait faire l’objet d’un retrofit. La carène a été fabriquée chez Formes et volumes, à Aytré, près de La Rochelle. Si la propulsion, par la voile et par l’hélice était entièrement simulée, la maquette était équipée d’un safran. Il a ensuite fallu intégrer le dispositif à bord : bloc batterie, micro-ordinateur embarqué, actionneurs et leurs supports, balles de trajectographie… Un système de capture de mouvement composé de 12 caméras infrarouges a également été placé autour du bassin pour alimenter les modèles numériques afin de calculer les forces à appliquer en tenant compte de la position et des mouvements de la maquette. L’ensemble a été pensé pour être aussi modulaire que possible, afin de modifier des briques logicielles indépendamment, si besoin.
Adaptations de SOFTWIND
Ce projet a nécessité plusieurs modifications du projet SOFTWIND, explique Louis Jouenne à Mer et Marine. D’abord, alors que six petites hélices de drones fixes étaient montées sur la maquette d’éolienne, pour PropVelBa, il a été choisi d’utiliser trois hélices et trois moteurs qui orientent ces hélices. Là où l’éolienne présente des efforts assez constants en direction, le jeu des voiles induit, lui, des orientations différentes. Pour gagner en efficacité et limiter la poussée à exercer sur la maquette pour reproduire les efforts, le dispositif a donc été modifié. « Ce qui varie beaucoup c’est le point d’application et la direction des forces pour les voiles. Avec ses moteurs orientables et à différentes hauteurs, on peut vraiment faire varier ces deux paramètres », complète Bertrand Malas, ingénieur exploitation et développement des moyens d’essais et responsable adjoint des bassins de Centrale Nantes. Une évolution, qui a nécessité d’adapter le logiciel développé pour SOFTWIND.
Ensuite, le nouveau système est désormais entièrement embarqué. L’éolienne, immobile dans le bassin, restait raccordée de manière filaire au poste de pilotage. Cette configuration n’était pas propice pour la maquette de navire se déplaçant dans le grand bassin. Elle aurait eu besoin d’un encombrant cordon auxiliaire qui aurait modifié son comportement. L’usage du Wi-Fi n’étant pas adapté, pour des questions de délai de réponse (de l’ordre de plusieurs dizaines de millisecondes), il a fallu concevoir un système embarqué avec un micro-ordinateur et un code logiciel pour faire tous les calculs d’efforts en temps réel à bord. Le système est alimenté par batterie. Le Wi-Fi permet surtout de communiquer ponctuellement des ordres, comme de changer de comportement ou de lancer une manœuvre.
Montage photo d’une manœuvre de giration.
Courbes montrant l’influence d’un système de propulsion vélique sur une manœuvre de giration.
Enfin, « il y avait tout un background théorique et de mise en équation des formules propres au bateau et aux voiles, qui n’avaient forcément rien à voir avec les modèles numériques d ‘une éolienne », décrit Louis Jouenne. Pour la campagne d’essais, il s’est attaché à simuler des rotors Flettner, dont les polaires étaient disponibles. À terme, d’autres systèmes de propulsion vélique pourront être ajoutés. En effet, il sera prochainement possible de profiter du travail réalisé par d’autres chercheurs de Centrale Nantes sur des codes numériques d’écoulement de voile (CN-AeroModels). Ainsi, « une des retombées possibles serait de rejouer le même scénario de vent et de vagues, avec un kite, des rotors Flettner, ou une voile rigide, par exemple, pour comparer ce qui se passe », présente Bertrand Malas. « C’est l’un des intérêts du software in the loop : sans changer physiquement la maquette, on peut changer les efforts des voiles et émuler différentes voiles très facilement », rebondit Louis Jouenne. « Pour l’instant, le système n’est pas du tout prêt pour des projets de recherche en partenariat avec des industriels, voire pour des prestations commerciales, mais, à terme, on espère bien que ce sera le cas », reprend Bertrand Malas.
Nouveau projet
Car, dans la continuité, un nouveau projet de trois ans est déjà programmé, avec deux autres campagnes d’essais. Il s’appelle NExT SoftWasp (SOFTware for Wind Assisted Propulsion System) et sera mené par Louis Jouenne, dans le cadre d’une thèse. Il aura pour objectif d’ajouter une hélice réelle, d’affiner les modèles, d’intégrer de nouvelles voiles, et de tester l’impact de la propulsion vélique sur la sécurité des manœuvres, indique une communication de Centrale Nantes.
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