Il suffirait que d’une étincelle pour que la situation s’embrase. Après avoir envoyé huit navires de guerre dans les Caraïbes et pulvérisé plusieurs embarcations de présumés narcotrafiquants, les États-Unis ont déployé leur plus grand porte-avions près du Venezuela cette semaine pour hausser la pression sur le régime de Nicolás Maduro. Une guerre ouverte est-elle à nos portes ?

Selon Jorge Lazo-Cividanes, professeur de science politique à l’Université d’Ottawa ayant grandi au Venezuela, « le scénario d’une invasion militaire à grande échelle est, à ce moment-ci, invraisemblable ». Pour tenter de provoquer un changement politique à la tête du pays pétrolier, les États-Unis maintiennent une « ambiguïté stratégique », dit-il.

Depuis août, huit navires de guerre états-uniens — dont des destroyers et un sous-marin — ont été déployés dans la mer des Caraïbes avec à leur bord 10 000 soldats. Parallèlement, des frappes ont été menées sur au moins six navires présumément liés au trafic de drogue au large du Venezuela, faisant une trentaine de morts.

À la mi-octobre, on apprenait que la CIA, l’Agence centrale de renseignement, avait obtenu l’autorisation de mener des opérations clandestines au Venezuela. Dimanche, le plus grand porte-avions du monde arrivait à Trinité-et-Tobago, pays voisin du Venezuela, avant de repartir jeudi. Et lundi, des bombardiers états-uniens survolaient une nouvelle fois l’espace aérien au large des côtes vénézuéliennes.

« Si on regarde la suite des événements, je pense qu’une action militaire va se produire, avance le professeur Lazo-Cividanes. Laquelle ? Avec quel objectif précis ? On ne le sait pas encore. »

Plusieurs scénarios sont évoqués. Des commandos pourraient tenter de capturer, voire d’assassiner, des têtes dirigeantes vénézuéliennes. Les États-Unis promettent d’ailleurs une récompense de 50 millions $US — la plus importante jamais promise — pour toute information menant à l’arrestation du président Nicolás Maduro, accusé de narcotrafic. Des récompenses de plusieurs millions sont également offertes pour mettre le grappin sur le ministre de l’Intérieur, Diosdado Cabello, et celui de la Défense, Vladimir Padrino.

La clé de voûte : l’armée

Des pressions pourraient aussi être faites sur des officiers de l’armée vénézuélienne pour qu’ils se retournent contre le régime et provoquent un coup d’État. Mais jusqu’à maintenant, Maduro, au pouvoir depuis 2013, a réussi à s’assurer la fidélité de l’armée — et ce, malgré son faible taux d’approbation populaire (entre 20 % et 30 %).

Depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chávez en 1999 — régime duquel Maduro se réclame —, des mesures de surveillance couplées à un endoctrinement des officiers militaires ont été mises en place pour s’assurer que le pouvoir militaire ne soit pas une menace, explique le professeur Lazo-Cividanes. Ces mesures coercitives ont mené à l’arrestation de nombreux militaires, désormais enfermés dans les geôles vénézuéliennes.

« Il y a une sorte de terreur à l’interne, où on va donner des bénéfices à ceux qui nous sont loyaux, et on va être brutal et répressif contre ceux qui ne montrent pas de signes de loyauté. Le régime sait qu’il ne tient que par l’appui de l’armée », souligne Ricardo Ricardo Peñafiel, professeur de science politique à l’UQAM et directeur du Groupe de recherche sur les imaginaires politiques en Amérique latine.

Médiation

Un autre scénario de sortie de crise pourrait être une médiation dirigée par Lula, le président brésilien, qui déboucherait sur la tenue de nouvelles élections surveillées par des observateurs internationaux, accompagnée d’une loi d’amnistie pour convaincre les dirigeants vénézuéliens de plier bagage sans être embêtés par la justice, avance le professeur Peñafiel.

Rappelons que plusieurs gouvernements occidentaux voient en Maduro un dictateur ayant volé les élections présidentielles de 2024, qui auraient plutôt été remportées par l’opposition. Le virage autoritaire du Venezuela — pays où sévit une virulente crise économique — a conduit à son isolement diplomatique et à son rapprochement de régimes dictatoriaux, comme la Chine et la Russie.

Visées géopolitiques

Selon les deux experts, la lutte contre le trafic de drogue invoquée par le gouvernement Trump ne sert que de prétexte pour légitimer les actions posées contre le Venezuela — d’abord et avant tout guidées par des visées géopolitiques, disent-ils. « Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis ont connu un retrait progressif de l’Amérique latine et, maintenant, je pense que l’administration Trump a l’intention de rétablir sa sphère d’influence », analyse Jorge Lazo-Cividanes.

D’autant plus que la Chine a accru sa présence dans la région, note Ricardo Peñafiel. Les États-Unis cherchent aussi à court-circuiter la montée en puissance de l’Empire du Milieu, faite à coups de prêts consentis à des taux avantageux. Depuis son retour au pouvoir, le gouvernement Trump a raffermi ses liens avec l’Argentine, l’Équateur, le Mexique, le Panama et le Costa Rica, entre autres.

Au bout du compte, en déployant leur puissant arsenal militaire près du Venezuela, les États-Unis ont une stratégie de « diplomatie de la canonnière », analyse M. Peñafiel, qui « consiste à mobiliser des troupes proches du pays [adverse] pour exercer une pression et, à partir de là, négocier ». Une pression plus grande que celle déployée par Trump durant son premier mandat, et qui lui permettra peut-être, cette fois-ci, de venir à bout du régime socialiste radical et autoritaire de Maduro.

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