«La mort ne sera jamais un marché comme les autres […] On ne pousse pas la porte d’une agence de pompes funèbres parce qu’on le veut mais parce qu’on le doit ». Brianne Huguerre-Cousin et Matthieu Slisse, auteurs des Charognards (Seuil), lèvent le voile sur un secteur méconnu : le business des obsèques en France. Dans cette « industrie du chagrin », un marché de trois milliards d’euros dominé par deux groupes privés, OGF et Funécap, pour lesquels la tristesse des familles sert de levier commercial.
Brianne Huguerre-Cousin a enquête pendant plus d’un an avec Matthieu Slisse sur le business des pompes funèbres. - M. Slisse
Techniques commerciales « immorales » pour du faire du « superprofit », dysfonctionnements graves durant des funérailles… « Les familles endeuillées sont devenues des clientes captives », résume Brianne Huguerre-Cousin, auprès de 20 Minutes.
Pourquoi parler de « clientes captives » pour parler des familles endeuillées ?
Au moment d’un décès, les familles sont en état de choc : elles ignorent les démarches, les prix, les règles à suivre pour gérer cet événement. Et c’est normal, avant d’être confronté à la mort, personne ne sait comment faire. En France, on ne peut pas enterrer quelqu’un dans son jardin, on est donc obligé de passer par des professionnels. Résultat : on devient complètement dépendant.
Les familles sont complètement captives dans le sens où, puisqu’on ne sait rien de ce milieu et qu’on est très chamboulé, on se remet corps et âme dans les mains des personnes en face de nous… Sans savoir, que derrière, on va nous pousser à l’achat de prestations qui ne sont pas obligatoires.
Ce sont des pratiques surtout pratiquées par deux groupes, OGF et Funécap…
Oui, on s’est intéressé à ces deux groupes parce que ce sont eux qui contrôlent tout. Même s’ils n’organisent qu’un tiers des obsèques, ils possèdent la délégation de la quasi-totalité des crématoriums – un « filon lucratif » avec 46 % de personnes qui font ce choix aujourd’hui contre 20 % il y a vingt-cinq ans –, des chambres funéraires, des usines de cercueil et forment les agents du secteur. Ce sont eux (OGF) qui ont « eu » la panthéonisation de Simone Veil ou Joséphine Baker. Ils rachètent également des enseignes, en gardant leur nom, pour faire croire que c’est toujours une société familiale. Ils sont omniprésents en France. Et c’est chez eux que les principales dérives apparaissent : forcer la vente, inversion de corps, retards de convois, soins de thanatopraxie bâclés…
Les salariés aussi sont victimes de cette logique de profit. Ils font un métier déjà pénible à plusieurs égards et subissent une pression énorme de la part des directeurs territoriaux. Objectifs de vente, pour lesquels on va jusqu’à compter le nombre de sonneries avant lesquelles ils peuvent répondre au téléphone, mails quotidiens avec des tableurs qui comparent les employés ou des concours internes pour obtenir des primes… Tout est fait pour vendre plus et « gonfler » leur rémunération qui s’élève à environ 1.400 euros nets par mois. Et ils doivent signer des accords pour ne pas parler à la presse.
Pourquoi l’une des seules lois concernant ce sujet, qui a ouvert le marché à la concurrence en 1993, n’a pas eu l’effet escompté ?
La loi de 1993 n’a effectivement pas eu l’effet escompté. La Cour des comptes l’a bien mis en avant dans son rapport de 2019, quand on pousse la porte d’une agence, on ne va pas comparer les prix. On va prendre la première qu’on voit au coin de la rue. Ce même rapport révèle que, depuis la libéralisation du secteur – alors même que l’objectif était d’offrir plus de choix et de comparer –, les prix ont augmenté deux fois plus vite que celui de l’ensemble des prix à la consommation. Cette même loi impose d’afficher des devis en mairies, mais ce n’est pas respecté, les préfectures ne contrôlent pas et il y a très peu de retraits d’habilitation.
La couverture du livre-enquête de Brianne Huguerre-Cousin et Matthieu Slisse sur le business de la mort. - Seuil
Politiquement, le sujet n’intéresse personne. Les collectivités choisissent donc souvent de déléguer la gestion de ce service public « industriel et commercial », comme les Ehpad et les crèches. Le seul à s’y être vraiment penché, c’est Jean-Pierre Sueur, il y a donc plus de trente ans. Aujourd’hui, quelques députés se saisissent de cette question, comme Hadrien Clouet, qui a déposé une proposition de loi récemment pour que l’Etat prenne en charge les frais liés aux obsèques.
Pourquoi c’était important pour vous de faire cette enquête ?
On voulait dresser un portrait de ce qu’il se passe aujourd’hui en France dans le funéraire. En faisant ce constat, on s’est aperçu des problématiques du système en place, où la rentabilité prime sur tout. Il était important pour nous que la population ouvre les yeux sur ce sujet tabou dans la société française, notamment parce que ce business fait des victimes. Il n’est pas normal que des familles endeuillées deviennent des clientes « comme les autres » alors qu’elles ne sont clairement pas en état de faire un « achat ». Pourtant, ce sont des personnes qui dépensent en moyenne 4.000 euros pour honorer au mieux la mémoire d’un défunt. Et cet argent enrichit deux grands groupes, qui ne se soucient pas des dérives et de leurs conséquences. Deux géants qui profitent de la tristesse pour faire de l’argent. Et en voyant les réactions à la suite de la publication du livre, on se rend compte que notre travail a été utile.
Quelles sont les techniques pour éviter de se faire piéger ?
C’est triste de se dire que c’est encore aux familles endeuillées d’avoir cette charge ; mais plus elles sont alertées, mieux c’est. Selon moi, il faut bien distinguer ce qui est obligatoire, – le cercueil, le transport, de quoi porter le cercueil et la plaque d’identité –, de ce qui ne l’est pas : tissu intérieur, oreiller, essence du bois, etc.
Notre dossier sur les obsèques
Autre point méconnu : il est possible de débloquer jusqu’à 6.000 euros sur le compte courant du défunt pour financer les obsèques, ce qui remet en cause l’utilité des contrats obsèques, souvent proposés par ces mêmes groupes. Plus de 500.000 personnes par an font ce choix croyant « soulager leurs proches » de ce poids.