Le parvis de la cathédrale de Toulon affiche complet en ce vendredi après-midi. Plus de 500 personnes sont venues rendre un dernier hommage à André Herrero, disparu une semaine plus tôt à 87 ans. Lui, le joueur de rugby de légende, l’entraîneur adulé, le président champion de France en 1992. Ce meneur d’hommes qui n’aura pas seulement marqué sa génération mais tous ceux qui ont croisé son regard bleu acier et subi l’étreinte de ses mains puissantes comme un pressoir à olives.

(FILES) RC Toulon rugby player Andre Herrero holds the trophy and celebrates with supporters their victory over SU Agen at the Challenge Yves du Manoir, on May 24, 1970 in Colombes. André Herrero, "the great one," former French national rugby union team player but above all an emblematic figure of RC Toulon, where he served as a player, coach, and president, passed away during overnight on October 24, 2025 at the age of 87, the club from the Var region announced in a statement. (Photo by AFP)

À l’approche de son cercueil, toutes les générations de joueurs forment une haie d’honneur. Ses frères d’arme des finales 1968 et 1971, la fière génération de la Horde sauvage cornaquée par son frère Daniel au cœur des années 1980, les minots du titre de 1992 et quelques-uns des époques plus récentes. Ses amis boulistes de la place Pasteur sont là eux aussi. Tous applaudissent le passage de leur ami et guide. Les solides Bruno Motteroz et Thierry Louvet soulèvent maintenant le cercueil avec Bernard Herrero, Christian Cauvy et les petits-fils d’André.

« On le rend au peuple »

Entré au Hall of fame du RCT il y a deux ans, André Herrero est entré hier dans la cathédrale transformée en « vestiaire pour entrer dans le stade de l’éternité », comme l’a joliment dit le diacre Gilles Rebêche.

André Herrero (à droite) a marqué de nombreuses personnalités varoises, comme l’autre légende du RCT Éric Champ (ici à gauche). Photo doc. Frank Muller

Un comble pour ce fils d’ouvrier communiste, laïc patenté. Mais un choix assumé par la famille et les joueurs pour lui offrir un écrin à la hauteur de ce qu’il a été. « C’est un homme public qui appartient au peuple, on le rend au peuple », glisse sa sœur Claudine avant la cérémonie. « Qui aurait dit un jour que nous t’accompagnerions vers les étoiles, ici, dans une cathédrale ?, s’est interrogé son frère Daniel à la tribune. Et franchement, il y fait chaud, il y fait bon, il y fait haut. »

« Tu ne connaissais ni la plainte ni le renoncement »

D’un verbe alerte mais tenu, l’homme au bandeau rouge brosse un portrait aux frontières de l’art antique et de la généalogie. « Le corps puissant, le visage sculpté d’Apollon, tu avais une beauté d’un autre temps. Allure grecque, racines paysannes et ouvrières, toi tu as tout pris dans ce que ça avait de grand, de beau et de ce que ça pouvait avoir de moteur pour vivre. »

Avant que le corps ne soit encensé, il se permet d’encenser son aîné : « La bravoure était pour toi une manière d’être au monde, tu ne connaissais ni la plainte ni le renoncement, c’était ta signature. On n’aimait pas les pleutres dans cette famille, toi encore moins, les cupides nous irritaient, les boursouflés du melon, encore plus. Tu étais bon, bonhomme, parfois un peu bourrin mais tu ne manquais jamais d’élégance. On ne t’a jamais vu méchant et vulgaire, mais souvent rude et passionné. »

À leur tour, ses petits enfants évoquent leurs souvenirs au cabanon de Pignans : la cueillette des champignons, les pique-niques, les bâtons que leur grand-père sculptait pour leur en faire des cannes, « ses plongeons dans la rivière quand personne n’osait y aller ».

« Un papa à toute épreuve »

Ses filles Florence et Valérie, tenant la main de leur maman Roseline, s’amusent des repas gargantuesques, « ses mains de tortionnaire » qui esquichaient les genoux des enfants. Et saluent sa simplicité, « une qualité si rare qui donnait l’impression aux gens qu’il était l’un des leurs ». « Tu étais un roc dans nos vies, une force tranquille, un papa à toute épreuve, protecteur, courageux et fiable, un exemple pour l’éternité. Tu avais une parole rare mais juste. Tu ne disais pas “je t’aime”, tu le vivais. »

« Même dans la maladie, en maison de repos, tu avais recréé un petit club. Tu rassemblais encore et toujours », a évoqué Patrice Blachère, le co-président du RCT association qui a coordonné la cérémonie.

Invité à son tour au pupitre, l’ancien maire Hubert Falco a délivré un discours teinté d’émotion à l’adresse de son « grand frère ». À cette « idole » qu’il admirait quand il était lycéen, à cette « force de la nature qui nous entraînait avec lui ». « Le rugby perd un géant, Toulon une légende et moi un ami. Il me laisse un vide immense mais une fierté infinie d’avoir partagé un bout de vie avec lui. »

Et de citer Jean-Pierre Rives lui faisant face : « L’amitié, c’est un ballon de rugby. Ça ne roule pas droit mais quand on le suit, il nous emmène loin. »

« C’était un immense joueur. Je l’ai croisé sur les terrains quand j’étais jeune, il était vraiment impressionnant. Il avait une telle aura, une telle présence. On sentait qu’il avait quelque chose de plus grand que nous », nous dira quelques instants plus tard « Casque d’or », le capitaine emblématique du XV de France à la fin des années 1970.

Après un vibrant hommage à l’italienne, le corps d’André Herrero est ressorti de la cathédrale sous d’autres applaudissements égayés par les notes de la Coupo santo entonnée depuis le chœur. Il a ensuite été incinéré au crématorium de La Seyne-sur-Mer dans l’intimité familiale.

« Notre maître à tous »

Sur le parvis, les mots en sa mémoire sont bien choisis. « Cet hommage est au niveau de ce qu’il a apporté à Toulon : une trace indélébile », salue l’ancien pilier international Manu Diaz. « Il était la figure tutélaire du RCT, il incarnait la passion et la rigueur et il avait un charisme fou. Le RCT ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui s’il n’y avait pas eu André », estime l’ancien président du club, Jean-Louis Lagadec.

Jo Maso (25 sélections) qui a démarré en première division à Toulon à ses côtés, a la voix tremblotante : « Je suis bouleversé car c’était mon ami. Il veillait sur moi quand je jouais à Toulon, il était immense, notre maître à tous. Il avait ce que les autres n’avaient pas : une force terrible. C’était un joueur magnifique. »

« Nous ne garderons pas le poids de ton départ mais sa clarté », ont dit ses filles dans la solennité de la cathédrale. Un message universel pour tous ceux qui ont côtoyé et admiré ce phare de lumière. Ou plutôt ce Faron à lui tout seul. Celui qui incarnait à la perfection le surnom de « Grand ».