AMAURY CORNU / Hans Lucas via AFP
Mathilde Panot, Manuel Bompard et Olivier Faure en juin 2024 à la Maison de la Chimie à Paris.
POLITIQUE – La taxe Zucman a été la goutte de trop. Jusque-là fermement attaché à cette imposition sur les hauts patrimoines, le Parti socialiste a lâché du lest et accepté le principe d’une taxe au rabais. Édulcorer une mesure phare de justice fiscale pour la rendre plus acceptable par la droite et le centre ? L’initiative a braqué le reste de la gauche et contribué à creuser le fossé chaque jour un peu plus grand entre les groupes de l’ex-NFP.
Mathilde Panot a fustigé une « taxe Zucman homéopathique », quand Manuel Bompard a martelé l’idée que « le dispositif proposé par les socialistes induit une exonération des biens professionnels » et passe donc « complètement à côté de l’objectif » de taxer davantage les grandes fortunes.
Ces derniers jours, les discussions budgétaires à l’Assemblée nationale ont largement été animées par le bras de fer entre le Parti socialiste et La France insoumise. Incarnant chacune un pôle de la gauche, les deux formations ont non seulement exprimé des désaccords sur le fond mais surtout dévoilé des stratégies différentes. La première cherchant à tout prix à négocier avec le gouvernement dans l’objectif d’aboutir à « un budget de compromis », la deuxième étant arc-boutée sur sa volonté d’incarner la rupture avec la macronie et d’en venir le plus vite possible à la démission du président.
Deux amendements ont particulièrement révélé les fractures entre socialistes et insoumis. Le premier, défendu par le président LFI de la commission des Finances Éric Coquerel, proposait d’instaurer un impôt universel afin de lutter contre les paradis fiscaux. Ainsi, les contribuables disposant d’un revenu supérieur à 230 000 euros annuels et ayant résidé au moins trois ans en France sur les dix dernières années seraient quoi qu’il arrive contraints de payer leurs impôts ici, même s’ils décidaient de s’exiler vers un pays plus arrangeant. Une seule voix a manqué pour l’adoption de cet amendement. LFI a aussitôt pointé du doigt le PS. « L’impôt universel contre l’exil fiscal a été rejeté à l’Assemblée à cause de l’abstention socialiste ! », a attaqué tout de go Aurélien Le Coq. « L’impôt universel ne doit pas attaquer nos binationaux », a répliqué le PS, Olivier Faure ayant demandé « d’en finir avec les fake news » au sujet de la position de son groupe.
« Ils n’ont pas le même objectif »
Autre amendement, même montée de tension. Cette fois déposé par la droite, il proposait d’annuler la désindexation du barème de l’impôt sur le revenu et d’indexer tous les Français sur l’inflation en 2026. LFI a voté avec LR, provoquant la colère du PS. « Aveuglée par sa haine des socialistes, La France insoumise s’est précipitée pour voter l’amendement de Wauquiez, protégeant les plus riches », a regretté la députée socialiste Ayda Hadizadeh. Réponse de Manuel Bompard : « Vous devriez arrêter de croire que le monde tourne autour de vous. Nous avons protégé 200 000 Français aux revenus modestes en empêchant qu’ils entrent dans le barème de l’impôt sur le revenu ».
Bref, les sujets propices à la dispute n’ont pas manqué et cette multiplication de désaccords a pour effet immédiat de rendre plus difficile encore le dialogue entre les deux formations. Au milieu, écologistes et communistes assistent un peu médusés à ce spectacle. « Insoumis et socialistes n’ont pas le même objectif : les premiers veulent une élection nationale quand les seconds veulent à tout prix trouver un chemin qui me paraît plus que tortueux et qui, pour moi, est une impasse », constate le député PCF Nicolas Sansu dans Libération.
D’autres voix appellent à mettre fin à ces divisions. « La gauche est forte lorsqu’elle est unie, défend la présidente du groupe écolo Cyrielle Chatelain dans Reporterre. Cette unité va être d’autant plus importante dans les combats à venir. Face au bloc radical de droite et d’extrême droite qui se dessine, nous avons besoin d’un bloc écologiste de gauche, progressiste, humaniste qui arrive à faire contrepoids, et cela ne fonctionne que si nous sommes ensemble ». « Les communistes n’ont pas vocation à être des casques bleus », renchérit Nicolas Sansu, connu pour être favorable à l’union de la gauche.
« Les socialistes s’isolent de la gauche », déplore Autain
Mais l’attitude soliste du Parti socialiste, qui n’a pas censuré Sébastien Lecornu (contrairement au reste de la gauche), qui a présenté sa propre feuille de route budgétaire et qui a finalement revu à la baisse ses exigences, commence à irriter au-delà des rangs de La France insoumise. « J’ai beau être très unitaire, le choix des socialistes me met à l’épreuve ! C’est le PS qui divise. C’est terrible et ça me met en colère », s’insurge la députée communiste Elsa Faucillon dans Mediapart.
« Ces choix isolent les socialistes du reste de la gauche. Le désaccord n’est-il que tactique ? Là est la question », acquiesce Clémentine Autain. Figure de proue de l’unité, la députée de l’Après met en garde ses alliés. « Ces négociations avec Lecornu se font au prix de la fracturation à gauche. L’impression de petits arrangements avec la macronie pour éviter la dissolution place les socialistes à nouveau devant la suspicion de trahison. Qu’il n’y ait rien sur l’écologie dans leur liste de demandes, qui fond au fil des semaines, est également un motif d’inquiétude », alerte-t-elle auprès du média d’investigation.
Quelques jours plus tôt, Cyrielle Chatelain avait elle aussi rompu l’apparente neutralité à laquelle elle s’astreint pour critiquer la taxe Zucman édulcorée défendue par le PS. « Ce n’est pas une taxe “light”, c’est une raquette à trous. Le PS a proposé une version amoindrie de la taxe Zucman, alors qu’une proposition de loi avait déjà été adoptée en 2024 ».
Une division mortifère
Au fond, beaucoup à gauche estiment que la divergence de vues accentuée ces derniers jours entre le Parti socialiste et La France insoumise s’explique par un rapprochement du premier avec le bloc central. À force de s’accrocher à l’idée qu’il faut un budget, bon ou mauvais, et que les concessions et les compromis sont nécessaires, les socialistes finissent-ils par trahir l’esprit du Nouveau Front populaire, qui leur a permis de se faire élire il y a un an et demi ? « Le PS doit se rappeler que les Français ont de la mémoire et que la tache du quinquennat Hollande est toujours présente », exprime le président du groupe communiste Stéphane Peu dans L’Humanité.
Beaucoup craignent en tout cas que ces bisbilles finissent par se payer dans les urnes. « Emmanuel Macron a toujours cherché à fracturer la gauche. Est-ce qu’on lui donne le point ? C’est la question que je pose », dit Sandrine Rousseau. À l’approche d’une potentielle dissolution, et à cinq mois d’élections municipales qui auront valeur de test pour l’ensemble de la gauche, l’accentuation des divergences n’augure en tout cas rien de bon.