C’est la petite friandise que l’on n’attendait pas, le petit moment d’improvisation glissé entre deux tubes conçus comme des machines de guerre. La « surprise song » : l’expression qui, depuis quelques années, fait vibrer les stades et les réseaux sociaux comme une promesse de chaos organisé. Taylor Swift en a fait sa signature pendant ses 152 dates de l’Eras Tour, terminée en décembre 2024, avec plus de 200 chansons surprises au compteur.

Et depuis ? Cette sortie de la setlist s’est répandue. Ed Sheeran, lors de sa tournée + – = ÷× Tour, a intégré des acoustiques imprévus, comme des mashups avec des guests locaux et Dua Lipa a repris des titres dans les langues originales des pays où elle se produit. Même Coldplay, Katy Perry et Lady Gaga qui arrive bientôt à Lyon et à Paris, s’amusent à surprendre leurs publics tous les soirs. glisse des demandes du public ou des hommages improvisés.

« C’est comme une chasse au trésor pour les fans »

Aujourd’hui, avant même d’avoir mis les pieds dans une salle des concerts, les fans connaissent chaque enchaînement de chanson et chorégraphie des danseurs. Comme l’explique la journaliste musique Angèle Chatelier : « L’intégralité des gros concerts se retrouve sur les réseaux sociaux. Taylor Swift a même son Eras Tour disponible sur Disney+. Donc, qu’est-ce qu’on va chercher en concert ? On veut voir son artiste mais peut-être que pour certains ça ne vaut pas le coup de se déplacer. » C’est donc à ce moment que les « surprise songs » trouvent leur utilité, elles vont permettre aux artistes de réinjecter du mystère dans leurs shows.

« C’est comme une chasse au trésor pour les fans », explique Marie, une fan de Lady Gaga, bien contente que sa star préférée a aussi succombé à la tendance pour sa tournée. Sur les réseaux, les hashtags pour les chansons surprises de Taylor Swift au moment de sa tournée cumulent des milliards de vues, avec des lives streamés et des théories folles sur les choix des artistes. Pour les stars, c’est du pain béni : chaque concert devient viral, prolongeant le buzz bien après la dernière note. Mais attention à ne pas tomber dans la facilité, créer du buzz sur un évènement n’est pas une fin en soi. « Les réseaux sociaux permettent cette connexion mais je pense qu’ils ne constituent pas le seul et unique moyen pour surprendre. Sur la forme, le retour de Rosalía est un bon exemple : elle surprend tout le monde avec un morceau de musique classique dans lequel elle chante en allemand, en espagnol et en anglais. Ce n’est pas qu’une question de marketing ou de spectacle. Parfois, un choix fort en matière de direction artistique peut suffire. C’est rassurant. » tempère Azzedine Fall, directeur de la musique chez Deezer.

Varier les plaisirs sans lasser

Atout non négligeable, les « surprise songs » permettent de fouiller dans les archives. Lady Gaga s’est replongée dans ses premiers tubes, ravivant l’intérêt pour ses anciens albums. Dua Lipa permet de faire connaître des titres oubliés, en chantant « Be my Baby » de Vanessa Paradis en France, beaucoup de Gen Z ont découvert le titre. Ces chansons oubliées ou réinterprétées sont jouées dans des salles bondées de 80.000 personnes mais les « surprise songs » recréent de l’intimité. « L’artiste veut montrer que même dans une grande salle de concert, il y a une certaine authenticité et que ce n’est pas ce que vous allez voir sur les réseaux sociaux » explique Angèle Chatelier. Assis au piano ou à la guitare, le musicien se livre sans filet, partageant des anecdotes personnelles. « C’est thérapeutique pour nous aussi », avoue Marine, fan de Taylor Swift, « Quand Taylor a chanté Long Live pour clore sa tournée, c’était comme un adieu partagé ». Ce lien émotionnel fidélise, transforme les spectateurs en communauté.

Avec les tournées qui s’allongent et les billets qui coûtent de plus en plus chers, c’est une façon maline de varier les plaisirs sans lasser. D’après une autre étude Pollstar pour le Wall Street Journal, le tarif moyen d’une place sur une grosse tournée était d’environ 90 dollars en 2020, à peine plus de 60 dollars en 2021, pour grimper à près de 110 dollars l’année d’après et atteindre 120 dollars en 2023. Cette augmentation motive donc les stars à faire leur maximum pour capter l’attention : « Les artistes doivent surprendre pour que les fans viennent les voir, paient le prix et se démarquent aussi face à toute l’offre qui existe » pense la journaliste culture. Mais comme le dit Azzedine Fall, chaque concert et tournée doivent être différents selon les espaces, « c’est avant tout une question de typologie de concerts. Dans un contexte comme l’Accor Arena de Bercy ou Paris La Défense Arena, je ne m’attends pas à vivre les mêmes émotions qu’un lundi soir pluvieux à La Maroquinerie. Une expérience unique, ce n’est pas forcément un live monstrueux soutenu par un light show exceptionnel et des écrans qui clignotent dans tous les sens. » En concert à Paris Bercy et à la LDLC Arena de Lyon, Lady Gaga a prévu un énorme show avec plusieurs chansons surprises que les little monsters ont déjà révisé.