Il y a des gens qui fuient les cimetières. Trop de souvenirs pénibles.
Pour ma part, j’ai de l’affection pour ces îlots de calme. Ça doit remonter à l’enfance. Petit garçon, j’aimais bien y accompagner ma grand-mère, veuve depuis peu. Le rituel était rodé. Il fallait monter la côte. Passé le portail, chercher un arrosoir pour changer l’eau des fleurs. Un signe de croix en silence. Et avant de partir, enlever de la tombe les feuilles mortes et les herbes folles. Sur le chemin du retour, un regard sur le monument aux morts de 14-18 où, parmi des dizaines de noms, figurait celui du père du défunt, tué près d’Arras en 1915.
Ce n’était pas triste. C’était paisible. C’était une manière de relier ceux d’aujourd’hui à ceux d’hier, la petite histoire à la grande. Et pour ma grand-mère, très croyante, l’espoir de retrouver son Henri, un jour, ailleurs… L’en deçà et l’au-delà réunis, en somme.
Depuis quelques années, on entend volontiers dire que la fête des morts – fête des « fidèles défunts » pour les catholiques —, est en perte de vitesse. Positionnée depuis le Moyen Âge au lendemain de Toussaint, ce dimanche 2 novembre, elle n’attirerait plus la foule. En cause : baisse du sentiment religieux, dispersion géographique des familles…
Au vrai, cette hypothèse doit être relativisée. D’une part, parce qu’il n’existe aucun comptage fiable de la fréquentation des 43 700 cimetières du pays. D’autre part, parce que 70 % des Français entrent dans un cimetière chaque année (dont 40 % plusieurs fois par an) (1), tandis qu’une étude récente révèle qu’à la faveur de la Toussaint, les Français ont dépensé 125 millions en 2023 pour fleurir les tombes : la plus forte dépense de l’année en végétaux, deux fois plus que pour la fête des Mères, quatre fois plus que pour la Saint-Valentin (2). Pour l’hiver des cimetières, on repassera.
Il y a probablement des disparités régionales, mais partout, les horaires d’ouverture sont aménagés pour accueillir davantage de visiteurs à la Toussaint. À Rennes, les cimetières attendent 50 000 visiteurs cette semaine marquée par un hommage aux morts de la rue, une commémoration militaire, trois processions religieuses et deux concerts de musique bretonne…
La force des habitudes n’explique pas tout. En nous rendant sur la tombe de nos proches, il y a sans doute une aspiration profonde, croissante avec l’âge, à la paix et au recueillement. On s’extrait du tohu-bohu de l’actualité et du quotidien. Qui pour prier, qui pour méditer, qui pour pleurer, qui pour espérer. Ou simplement pour déposer quelques fleurs en silence. Une manière de dépasser l’effroi devant le mystère de la mort sur lequel nous savons que nous butterons tous. En se disant que nos défunts sont encore un peu vivants tant que nous sommes là pour nous souvenir d’eux. Et pour les raconter à la génération qui vient après nous.
(1) « Les Français et leurs représentations et usages des cimetières », CSNAF, CRÉDOC mars 2025. (2) Panel Kantar pour France AgriMer et Valhor.