Jusqu’ici, l’approche européenne pour réglementer les plateformes comme Facebook, Google ou TikTok s’est révélée être un échec. La Suisse s’en inspire à sa manière, elle ne va donc pas aussi loin. Le Conseil fédéral vient d’ailleurs de mettre en consultation son projet avec dix-huit mois de retard par rapport au calendrier initial. Ces règles, souvent complexes, cherchent par tous les moyens à protéger les utilisateurs, à imposer des devoirs aux entreprises et à enrayer la déliquescence du débat public en ligne. Sans succès.
Les exploitants de ces plateformes n’ont jamais été aussi puissants. Leur expansion s’accélère même, avec l’essor de l’intelligence artificielle générative, qui bouleverse encore plus l’environnement informationnel. On l’a encore vu ces jours avec le lancement de Grokipedia par Elon Musk, une encyclopédie générée entièrement par le modèle de langage Grok pour détruire Wikipédia, seule démarche collaborative qui a résisté à l’avènement du web 2.0. Si la Suisse et l’Europe ont jusqu’ici échoué, c’est parce que leurs réglementations évitent soigneusement de s’attaquer à la racine du problème: le modèle d’affaires de ces empires numériques.
Tracer un autre chemin
Comme l’explique au Temps l’historien français David Colon, le fait que la rentabilité de Google, YouTube, Facebook ou encore TikTok repose essentiellement sur la publicité en ligne incite ces entreprises à influencer le marché des idées: plus il y a d’outrance, plus il y a d’interactions sur les réseaux. Et plus ces entreprises s’enrichissent. Ce spécialiste de la propagande estime qu’il faut proposer d’autres modèles pour reconquérir le débat en ligne et faire d’internet un espace de discussion qui ne soit pas faussé par des choix commerciaux. Le fait que les principaux acteurs du numérique se soient structurés autour de la publicité algorithmique n’est pas une fatalité.
Le CERN a montré la voie, il y a près de 40 ans, en faisant don du web au monde entier. A Genève, les sociétés Infomaniak et Proton proposent des services numériques sans générer de revenus à travers la monétisation publicitaire. Il est donc possible de faire autrement. Encore faut-il le vouloir. Les rapports qui soulignent à quel point l’évolution du débat en ligne a des effets délétères sur les démocraties occidentales ne manquent pas. Même le Conseil fédéral l’admet. Pourtant, l’Europe continue sur la voie de l’impasse réglementaire. Il est peut-être temps de changer de stratégie et de se mettre autour de la table pour tracer un autre chemin.
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