Ce matin, un nouveau film de boxe. En réalité c’est un film sur le MMA dont je voulais parler ce matin, mais ce qui est intéressant c’est comment il s’inscrit dans une tradition cinématographique, celle du film de boxe, qui existe depuis que le cinéma existe – la boxe, moule commode pour des histoires d’ascension, de chute, et de rédemption. Smashing Machine est sorti mercredi dernier au cinéma, – littéralement “machine à briser”, et c’est le portrait de Mark Kerr, un champion de MMA qui a vraiment existé, dans l’œil du cinéaste new-yorkais Benny Safdie. Moi j’aime beaucoup les films de boxeurs, et par ailleurs Safdie est sans doute avec son frère un des cinéastes les plus intéressants dans l’actuel cinéma indépendant américain ; pour autant je me suis beaucoup ennuyée devant ce film, qui prend le parti poncé et usé consistant à traquer dans l’apparente grosse brute le petit coeur tendre.

Nous sommes dans les années 90 dans le milieu encore relativement méconnu du MMA ; depuis cette discipline qui mélange des techniques venues de différents arts martiaux, réputée extrêmement brutale et de fait très spectaculaire, a été largement réglementée, elle est devenue beaucoup plus populaire aussi, et pourrait prochainement devenir une discipline olympique. Mais lorsque commence notre histoire, c’est un circuit fermé, avec quelques combattants qui se connaissent tous, et s’affrontent dans des tournois aux réglementations aléatoires et aux rétributions faibles, organisés principalement au Japon. Parmi eux, Mark Kerr est une légende, c’est lui la “smashing machine”, qui terrasse ses adversaires au sol, et discute ensuite très calmement et avec une voix douce de sa performance au micro des journalistes spécialisés. Mark est américain, il vit avec sa petite amie et soutien Dawn, mais il se bat avec une addiction, celle qu’il a développée pour les antalgiques. Le film de Benny Safdie raconte quelques années d’une ascension etd’une chute faite de combats frustrants et de pétages de plomb conjugaux, avec au cœur, un acteur : Dwayne Johnson, dit “The Rock”, sans doute la plus grande armoire à glace du cinéma hollywoodien.

Mou mou

Il y avait certainement de quoi trouver là un grand film, et Dwayne Johnson dans le rôle titre n’en est qu’un seul des nombreux arguments. Le MMA est un sport alors en pleine mutation, à un moment où se définissent les règles – on le voit par exemple dans une scène du film qui représente une conférence préparatoire au tournoi où il est décidé qu’on a plus le droit d’utiliser son genou pour “achever” un adversaire au sol. L’espèce de ratio entre la violence et le rituel, qui est ce qu’il y a de plus passionnant sans doute dans un combat, et encore plus dans un combat filmé par un réalisateur de cinéma, trouve avec la discipline encore floue du MMA un lieu paroxystique – et quand on sait par ailleurs combien Benny Safdie, qui jusque là œuvrait avec son frère dans des films comme Good Time ou Uncut Gems, est à l’aise dans le paroxystique, on ne pouvait en attendre que du bon.

Peut-être précisément pour déjouer cette attente, Benny Safdie livre un film dont le spectaculaire paraît ringard et surtout très bordé. Rien de spécial dans la manière de filmer les combats, qu’il évite d’ailleurs plutôt, et rien que de banal dans cette forme montée/descente qui a traîné partout et bien mieux avant ; rien d’étonnant non plus en 2025 à nous montrer un symbole de la brutalité masculine aux prises avec sa faiblesse – soit dit-en passant, le personnage de sa petite amie est probablement un des pires personnages féminins secondaires de ces derniers temps : figé dans une posture de bimbo smart, une sorte de bloc sans vie.

Smashing Machine est donc très étonnamment un film tout mou, dont le meilleur passage est sans aucun doute l’épilogue dans lequel on aperçoit le vrai Mark Kerr sortir d’un grand magasin avec un chariot de courses dont il remplit ensuite le coffre de son SUV, avant de saluer la caméra avec un mélange de pudeur souriante et d’autorité : il se passe dans cette petite minute arrachée au réel beaucoup plus de choses qu’au spectacle d’un acteur sur-oscarisable qui pleure sur ses seringues.

À écouter

Frederick Wiseman, comme un roman américain : « Boxing Gym », ou comment filmer le monde à travers la boxe

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