Le Mensuel : vous sortez votre premier disque solo le 11 avril. Ce projet est-il à l’origine de la pause de votre groupe Tryo ?

Guiz : « On avait un besoin réel de breaker, après 30 ans. Tryo n’est pas fini, il est en pause et reviendra sûrement un jour. On n‘est pas fâché. On avait envie de faire des musiques différentes. Christophe (Mali) a jeté un pavé en nous annonçant qu’il voulait faire un album solo. Il y a aussi eu le départ de Manu (Eveno) en 2019. Il voulait changer de mode de vie, tourner moins… On n’a pas fait énormément d’albums parce qu’on tournait beaucoup. C’était intense ! Aujourd’hui, quand j’enregistre un morceau en studio, je ne peux pas m’empêcher de visualiser tout de suite à quoi il ressemblera sur scène. »

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DécouvrezVous vouliez parler de choses plus intimes, comme dans votre chanson « Mon petit monde » qui aborde la paternité ?

« Oui, elle est adressée à mon dernier petit garçon. Avec Tryo, les chansons devaient parler à tout le monde, ne pas être trop personnelles. Trente ans de groupe, c’est énormément de concessions, de réécritures… Mon disque contient le morceau « Lover », qu’on n’a pas pu jouer en quinze ans. Trop personnel. J’ai aussi voulu parler des valeurs que j’ai toujours défendues, comme l’écologie et le vivre ensemble. Cette peur croissante de la montée des extrêmes qu’on vit en ce moment, entre le trumpisme et l’Europe qui se droitise à l’extrême.

Et puis je dis à la jeunesse qu’elle a le droit de rêver. L’album s’appelle « Utopia », il est optimiste et joyeux. Ça s‘adresse aussi à des gens comme moi qui, après des décennies à chanter l’écologie, se demandent comment il est possible que ce sujet recule encore. En fait, ce n’est pas vrai. Ça nous a portés, ça nous a amenés à maintenir nos valeurs, notre envie de vivre comme ça et pas autrement. »

On sort de notre zone de confort, on ne fait pas du Tryo, on ne reprend pas la facilité du « poum-tchak, poum-tchak »

Pourquoi passer de Guizmo à Guiz ?

« Il y a un rappeur qui s‘appelle Guizmo. Ça prête à confusion pour les plateformes de streaming. Et puis, imagine le festivalier qui croit aller voir son rappeur préféré et qui tombe sur moi… De toute façon, tout le monde m’appelle Guiz. »

Vous changez de style pour glisser vers l‘électro rock…

« J‘ai toujours aimé ça. J’ai eu la chance d’être invité sur des albums par les Tagada Jones. Manu, quand je l’ai rencontré, il jouait dans Nicotine, un groupe de hardcore. La musique électro aussi m’a toujours attiré. On sort de notre zone de confort, on ne fait pas du Tryo, on ne reprend pas la facilité du « poum-tchak, poum-tchak ». Et en même temps, ce sont des musiques dans lesquelles je me sens clairement à l’aise. Quand je fais une belle balade avec un violoncelle, je me sens à ma place. Tout ça me rend plutôt enthousiaste. »

La présence de Martin Laumond et de Manu Eveno fait qu’il y a quand même encore un peu de Tryo dans votre disque ?

« L’dée, c’était de ne pas faire du Tryo. Du moins, qu’on retrouve autre chose de moi… Mais de toute façon, je fais la moitié des compositions de Tryo et ma voix sera toujours la même. Pour cet album, je me suis entouré de gens avec qui j‘avais envie de travailler. Comme Manu avec qui j’ai commencé la musique, mon binôme de toujours. La plupart des morceaux sont du reggae au départ. Je les ai confiés aux artistes associés sur ce disque. Mais ce sont mes textes et j’ai le final cut. J’ai fait appel à DJ Ordoeuvre car on avait travaillé ensemble sur deux albums et deux tournées. Martin Laumond, qui remplaçait Manu dans Tryo, a une expérience de quatre ans avec Éric Serra. Quand il a su que Tryo s’arrêtait, c’est lui qui m’a dit « Vas-y, fais ton truc ». Il a fait beaucoup de prod, c’était la bonne personne pour allier l’organique et les machines dans ce projet. Je ne conçois pas de faire de la musique seul. Je veux rencontrer des gens et partager. »

Il y a aussi des influences africaines chez Guiz, par exemple avec la chanteuse sénégalaise Mariaa Siga…

« J‘ai eu la chance de partir jouer au Niger dans le cadre du projet Desert Rebel il y a plusieurs années avec Abdallah ag Oumbadougou, Amazigh Kateb, Daniel Jamet de la Mano Negra… Cette rencontre avec l’Afrique a été une aventure folle qui est restée en moi. Quand j’ai eu la proposition de TeKeMat, un groupe rennais, pour travailler » Comme il est « sur des bases africaines, ça m’a tout de suite parlé. »

Là, je sors un nouvel album, ça m’oblige à me réinventer. C’est à la fois joyeux et très stressant.

Vous demandez-vous si le public va aussi bien vous recevoir qu’avec Tryo ?

« Je ne me pose pas trop cette question. Je concentre tout sur le plaisir, donc il n‘y a aucune raison que les gens ne le ressentent pas. Je pars en mode commando, je veux pouvoir aller jouer partout. Même une prison, ou un festival de 5 000 personnes. Arrêtons de nous mettre la pression, je n’ai plus rien à prouver ! Ma carrière est faite, là c’est purement récréatif. Même si Tryo disparaissait définitivement aujourd’hui, le public saurait qu’on a bien bossé et qu’on a été réglo avec lui. »

L’état du monde ne vous déprime pas ?

« Parfois. J‘ai un psy. J’ai aussi mes problèmes de famille, de couple, de musicien… Là, je sors un nouvel album, ça m’oblige à me réinventer. C’est à la fois joyeux et très stressant. »

Vous avez monté un éco-gîte à Québriac (35)…

«J’ai gagné de l’argent et je l’ai investi en grande partie dans cet endroit, avec des panneaux solaires et des matériaux du coin. J’y ai créé un studio (La Chouette, NDLR) où j’invite les lycéens à enregistrer de la musique, une opportunité qu’ils n’ont jamais eue dans leur vie. Sergent Garcia y est venu l’année dernière, on a même fait un album entier avec Dan Ar Braz ici… Ce lieu, c’est du concret, c’est l’incarnation de l‘Hymne de nos campagnes. »

« Je dis à la jeunesse qu’elle a le droit de rêver » : installé près de Rennes, ce membre du groupe Tryo sort un album solo (Photo David Brunet)Une chanson que la nouvelle génération s’est d’ailleurs appropriée, tant elle résonne avec l’inquiétude liée au dérèglement climatique.

« Ce morceau résonne encore plus qu‘il y a 25 ans. Les parents le font écouter à leurs enfants, qui se rendent compte qu’il est toujours d’actualité. Pareil avec « La Main verte », qui interroge la politique de notre pays complètement aux fraises sur l’usage des drogues et le discours de prévention.

« J‘ai rien prévu pour demain » est aussi très écoutée par les jeunes, parce qu’ils se rendent compte qu’ils vont devoir faire trois boulots dans leur vie et que leur avenir est incertain. Ils ont envie de vivre au jour le jour. »

On disait souvent que chez Tryo, notre grand mot d‘ordre, c’était faire la teuf et essayer de réfléchir en même temps.

« Certains pouvaient voir Tryo comme une bande de joyeux hippies fumeurs de joints, alors qu’il y a énormément de boulot derrière…

La base du d‘un bon concert, c’est quand les gens sont vrais, sincères et qu’ils travaillent dur. Et c’est aussi quand tu as l’impression qu’on n’a rien fichu et que ça file tout seul. Ça n’a pas l’air comme ça, mais Tryo bosse énormément sur les voix, l’écriture, la mise en scène… Un album, c’est un an de travail soigné. »

Comment concilier vos engagements écologiques et votre vie d‘artiste ?

« Ben, je culpabilise. Parce que je prends l‘avion, par exemple. J’ai de la famille à La Réunion, et je ne m’empêcherai pas d’aller les voir. J’y ai aussi fait des ateliers d’écriture et je monte un projet de chorale avec des enfants. Il faut rappeler qu’avec Tryo, on a fait notre bilan carbone et qu’on l’a distribué à toutes les salles de spectacles de France. On a fait rentrer les gobelets lavables dans tous les Zenith, on a été pionniers sur les Led, on a tous les plans pour faire les sweatshirts les plus équitables possible, on a incité au covoiturage…

J’en ai ras le bol de l’écologie culpabilisante. J’ai envie que ce soit Musk ou Macron qui culpabilisent de nous laisser au pied du mur, à trier nos déchets, à essayer de manger le plus correctement possible avec le peu d‘argent qu’on gagne tous les mois. »

Sans être maire, faire partie d’une équipe qui ramène du vivre ensemble, ça me plairait.

Dans le clip de Carnaval, on vous voit habillé en président de la République. Bientôt candidat ?

« On m‘avait proposé d’être sur une liste à Québriac il y a quelques années. J’ai refusé par manque de temps. Mais pourquoi pas quand je serai à la retraite ? Sans être maire, faire partie d’une équipe qui ramène du vivre ensemble, ça me plairait. En attendant, je fais de la politique avec mon micro. Je ne serai jamais candidat à la présidentielle, sauf si le système change radicalement, à commencer par une VIe République. »

Votre morceau GPT parle de l’intelligence artificielle (IA). Vous la craignez ?

« Je suis hyper curieux et je pense qu‘il ne faut pas en avoir peur. Mais il faut la surveiller. J’ai fait générer un reggae à une IA, pour jouer avec mon fils. Il a adoré et l’a enregistré dans son téléphone ! Ce n’était pas si pourri que ça. Et je préfère le voir construire et inventer avec une IA que regarder toute la journée des conneries sur Netflix. En revanche, quand on m’a proposé un clip entièrement fait par l’IA, j’ai refusé. Il y a quand même encore des bons réalisateurs avec qui on peut faire ça à la roots.

Je me souviens que quand j’ai commencé ma carrière, on montait tous les sons à la main. Ensuite, le sampling est arrivé, tout le monde a crié au secours et, finalement, on a fait avec. Ça sera pareil avec l’IA, même si je suis content d’avoir vécu une période où elle n’existait pas. Après, je vais tiquer si elle commence à pomper ma musique et ma voix… »

Que représente la Bretagne pour vous ?

« Quand j’avais deux ans, mes parents ont divorcé. Ma mère est partie vivre à Tinténiac pour faire de l‘artisanat. Je me suis fait des amis, j’ai découvert la vie à la campagne… À côté de ça, je vivais toujours chez mon père dans une bonne vieille cité HLM de banlieue parisienne. Je me suis rendu compte que la Bretagne était une terre de musique et d’accueil, avec des cafés-concerts partout. Puis j’y ai rencontré ma femme… »

Verra-t-on Guiz aux prochaines Trans Musicales ?

« J‘adorerais. On les a faites en 1998 avec Tryo, et je m’entends bien avec Jean-Louis (Brossard, programmateur du festival, NDLR). Quoiqu’il arrive, on ira jouer à Rennes, c’est sûr ! »