À quelques jours de l’ouverture de la COP30 à Belém (10-21 novembre), au Brésil, l’Europe joue sa crédibilité, mardi, à l’occasion du Conseil ENVI. Les ministres de l’Environnement se retrouvent pour prendre deux décisions importantes : d’une part, adopter la loi climat européenne qui fixe, pour 2040, à – 90 % la réduction des émissions carbone et, d’autre part, finaliser la « contribution déterminée au niveau national » (NDC) – le document officiel que l’UE soumettra à la COP30 pour afficher ses engagements 2035. Sans accord mardi, c’est l’humiliation diplomatique assurée au Brésil. Les deux décisions obéissent à des règles d’adoption différentes : majorité qualifiée pour la loi climat, unanimité pour l’objectif 2035.

« Tous les ingrédients pour un accord sont là », assure un haut diplomate européen, avant d’ajouter prudemment : « Il n’y a aucune garantie que nous y arriverons. » Traduction : la négociation s’annonce difficile. Elle avait pourtant été balisée par les chefs d’État et de gouvernement lors du dernier Conseil européen du 23 octobre.

Les doutes lancés par la France

C’est la France d’Emmanuel Macron qui, la première, a ouvert la boîte de Pandore. Dès l’été 2025, Paris a mis en garde sur la loi climat qui pourrait contribuer à dégrader la compétitivité européenne. « On ne peut pas demander à nos aciéristes de décarboner pendant qu’on importe massivement de l’acier chinois ultra-polluant », rappelle-t-on au cabinet de la nouvelle ministre de la Transition écologique, Monique Barbut.

Le président français obtient gain de cause au Conseil européen du 23 octobre : les « flexibilités » sont clairement énumérées dans les conclusions du Conseil. Emmanuel Macron n’était pas le seul à râler. L’Allemagne du chancelier Merz, l’Italie de Giorgia Meloni et la Pologne de Donald Tusk avaient chacun leurs revendications. Le texte de compromis défendu par la présidence danoise, truffé de « flexibilités », se heurte toutefois à la résistance des pays vigoureusement pro-climat, qu’il s’agisse des Nordiques ou des Espagnols. Et c’est là que tout se complique.

Premier explosif : les crédits carbone internationaux. Le texte de la Commission propose 3 % – c’est-à-dire que l’UE pourrait acheter des réductions d’émissions dans les pays du Sud, via des projets de reforestation ou d’énergies renouvelables, à partir de 2036. Problème : Paris et Rome exigent 5 %. Selon Paris, c’est « la ligne d’équilibre qui fait l’accord ». Sans ce chiffre, la France ne votera pas. Or, le pourcentage reste « entre crochets » dans la dernière version du texte, signe que les discussions continuent.

Deuxième bombe : le « frein d’urgence » sur les puits de carbone. Les forêts européennes, ravagées par les sécheresses et les incendies, n’absorbent plus autant de CO2 que prévu. La France a obtenu du Conseil européen que cette sous-performance ne soit pas reportée sur l’industrie. Résultat : si les forêts flanchent, on pourrait baisser l’objectif 2040. « Jusqu’à 3 % », précise Paris. Un mécanisme défendu par certains négociateurs comme « un compromis entre prévisibilité et flexibilité politique ».

Troisième charge explosive : la clause de révision. Le texte prévoit un réexamen tous les deux ans, avec possibilité théorique de réviser la cible 2040 avant… 2040. Une soupape de sécurité pour rassurer les pays récalcitrants, au prix d’une incertitude maximale pour les investisseurs. La Pologne de Tusk exigeait cette révision mais ne cache pas son intention de voter, de toute façon, contre la loi climat.

Le camp des purs et durs

Face à cette avalanche de flexibilités, l’Espagne et les pays nordiques s’inquiètent. Où est passée l’ambition ? « Les crédits internationaux devront être de haute qualité, pas du vent », assure un proche de la négociation. Et puis, rappelle-t-on, « 90 % reste 90 % » – malgré toutes les turbulences, l’objectif n’a pas bougé depuis la proposition initiale de la Commission.

Faisons les comptes : avec 5 % de crédits internationaux achetés au Sud, 3 % de marge si les forêts flanchent, et 7 % d’absorptions naturelles déjà dans le calcul, que reste-t-il comme réductions réelles et contraignantes pour l’industrie européenne ? Les pays nordiques et l’Espagne s’inquiètent : à force de flexibilités, le 90 % devient-il un chiffre en trompe-l’œil ?

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Autre sujet : la crédibilité de l’UE, leader autoproclamé de la transition climatique, à la COP de Belém. « Il est impensable que l’UE arrive les mains vides à Belém », insiste-t-on du côté des Français. Sauf qu’un pays isolé pourrait bloquer la NDC pour arracher des concessions sur la loi climat. En jouant le veto sur l’un, il peut ouvrir des marchandises sur l’autre texte. En septembre, les 27 avaient publié une « déclaration d’intention » affichant une fourchette entre 66,25 % et 72,5 % de réduction d’émissions pour 2035. L’objectif est désormais de « resserrer cette fourchette vers le haut », selon Paris.

Certains négociateurs refusent cette logique, insistant sur le fait que « l’esprit d’unanimité ne doit pas contaminer le vote à majorité qualifiée ». Mais dans les couloirs bruxellois, personne ne se fait d’illusions : tout est lié, tout se négocie. La journée de mardi devrait décanter les choses.

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