5 ans après son premier documentaire auprès des surfeurs du Liberia, Arthur Bourbon est retourné sur place. Un nouveau film « We The Surfers » a vu le jour. Il se confie à Paris Match.
En 2021, Damien Castera et Arthur Bourbon, surfeurs pro et vidéastes, dévoilaient leur documentaire « Water get no enemy ». Partis à la rencontre d’anciens enfants soldats, enrôlés malgré eux dans la guerre civile qui a duré de 1989 à 2003, ils racontaient comment ces jeunes tentaient de se reconstruire et d’oublier leurs traumatismes grâce au surf. Un film dont l’impact a été immédiat, poussant plusieurs ONG à s’engager auprès de cette communauté libérienne. Cinq ans plus tard, Arthur Bourbon est retourné sur place avec sa caméra. L’occasion pour lui de découvrir le surf club ouvert à Robertsport, où se retrouvent enfants, adolescents et adultes pour prendre les vagues, accueillir des touristes et même participer à des séances de surf thérapie.
Paris Match. Votre documentaire « Water get no enemy » a permis au monde de découvrir la communauté des surfeurs du Liberia. Quel a été l’impact direct de ce premier film sur place ?
Arthur Bourbon. C’est parti d’un constat lors de notre premier voyage : il y avait un vrai manque de matériel alors qu’il y avait une communauté de surfeurs naissante. Malheureusement, ils étaient très limités par le nombre de planches qu’ils avaient. Lorsqu’on est rentré en France et qu’on a commencé un peu le montage du film, on s’est dit que ça serait génial d’organiser une récolte de planches pour eux. Récolter des planches n’allait pas être difficile. Mais par contre, quand on cherchait des solutions pour les envoyer là-bas, la logistique était assez compliquée. Et il s’avère qu’il y a cette ONG suisse-allemande Provide the Slide qui avait vu notre teaser qui l’avait motivé à partir au Liberia. Ils y sont allés et ont emporté une quarantaine de planches. Pendant ce temps-là, Damien est parti sur un autre projet en Ukraine et moi j’ai continué et à la fin du Covid, je me suis mis à fond avec ce projet d’aider la communauté locale de surfeurs. Et là est née l’idée de les aider à créer un club de surf. C’est une espèce de petit concours de circonstances, il y a un truc qui s’est créé, la mayonnaise a pris entre plusieurs ONG. Et en 2022, le surf club a vu le jour.
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Comment s’est déroulé ce retour au Liberia 5 ans après le premier film ?
À la base, je n’étais pas parti pour faire un deuxième film mais les ONG avec qui j’avais bossé sur le projet du surf club me disaient « c’est incroyable tout ce que ça a apporté, la promotion du surf dans le pays. Ça serait génial de raconter l’histoire de ce surf club et de raconter un peu tout ce que ça change là-bas ». Ce premier film a vraiment créé cet élan et ce sont eux qui m’ont motivé à repartir là-bas faire un film alors que j’étais parti pour y aller en touriste. Je ne pensais pas refaire un 52 minutes.
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Quel a été votre sentiment lorsque vous avez retrouvé tous ces surfeurs et que vous avez constaté les changements sur place ?
C’était génial ! J’ai été super bien accueilli, tout le monde m’a pris dans les bras, ils se rappelaient tous de mon prénom. Pendant 5 ans, j’ai fait le montage du premier documentaire, ensuite j’ai fait beaucoup de projections donc j’ai quand même un peu vécu avec eux et je me souvenais bien de leur tête et leur nom. Mais eux n’avaient même pas de photo de moi, ils n’avaient pas encore de téléphone à l’époque. Je me suis dit : est-ce qu’ils vont se rappeler de ma tronche, est-ce qu’ils vont se rappeler de mon prénom ? Et j’étais vachement content et surpris de voir que le surf club apportait vraiment quelque chose et qu’il y avait une évolution du surf et de la communauté. C’est un projet qui était à la base plutôt sportif et au final qui est devenu un truc plutôt social, économique et qui aide un peu le village à se développer autour du tourisme et du surf.
« C’est devenu un peu un lieu incontournable quand tu viens au Liberia »
Concrètement, qu’est-ce que ce surf club change pour les habitants du village au quotidien ?
Le surf club ça reste un petit business, donc il n’y a pas beaucoup de jobs, mais il y a quand même certains d’entre eux qui ont du travail. Ils essaient de faire tourner, il y en a un qui travaille pendant 6 mois puis il passe à un autre. Ensuite, ce qui est bien c’est qu’il y a tout un pôle de partenaires, tout un écosystème autour du surf club avec des ONG. Quand tu es un jeune et que tu viens faire du surf, le premier truc c’est qu’il faut que tu ailles à l’école. Si tu n’as pas les moyens d’étudier, il y a une ONG qui va qui va te trouver une bourse scolaire. Et surtout, il aide tous les gens du village à accéder à la pratique du surf parce qu’il y a des planches à disposition désormais. Ce n’était pas le cas avant, il n’y avait même pas 10 planches et elles étaient un peu accaparées par les mecs les plus costauds. Les enfants attendaient sur la plage et de temps en temps quand l’adulte avait fini sa session, il prêtait sa planche et les gamins se la faisaient tourner. Alors que maintenant, il y a des planches à dispo 7 jours sur 7. Tu viens, tu mets ton nom sur un papier et tu pars avec la planche, tu la ramènes et voilà. Et avec les touristes qui viennent, les habitants ont aussi des missions, ils réparent, donnent des leçons, font les guides… C’est devenu un peu un lieu incontournable quand tu viens au Liberia.
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Le documentaire montre également une session de surf thérapie.
Oui ! C’est un programme qui a été initié par une ONG sud-africaine qui a formé certains adultes du club pour pouvoir transmettre ça aux jeunes du village. C’est un mix de petits jeux et exercices psychologiques pour les aider à gérer leurs émotions. C’est un super outil pour tous les enfants du village.
Le premier film permettait de découvrir les témoignages tragiques de ces habitants, souvent jeunes, marqués par la guerre. Dans celui-ci, l’accent est mis sur la reconstruction et les changements positifs survenus ces dernières années grâce au surf. Était-ce un choix de votre part ?
En réalité, au moins une des raisons pour lesquelles à la base je n’avais pas envie de refaire un film, c’était parce que faire un deuxième documentaire sur le même village, les mêmes surfeurs et les mêmes histoires, je trouvais ça un peu casse-gueule. Le premier film a quand même vachement tourné, il y a eu pas mal de bons retours. Donc je me disais « C’est peut-être un peu risqué, je risque de faire un flop. » L’idée c’était de faire différent et de mettre l’accent sur le surf club. De montrer le positif et aussi dire que la guerre est de plus en plus loin, de moins en moins visible.
Vous avez malgré tout consacré quelques minutes à un évènement qui s’est produit durant le tournage, une tempête qui a détruit certaines maisons. Comment avez-vous vécu cette nuit-là ?
C’est quelque chose qu’on n’avait pas du tout prévu et c’était important de montrer ces images pour que le public se rende compte à quel point les gens vivent avec rien. C’est le cas d’un des surfeurs qui est papa d’une petite fille de 3 ans et qui s’est retrouvé sans maison. Moi, je viens de la Côte Basque et on a souvent des tempêtes de cette violence et avec nos maisons et nos normes, il ne se passerait rien de grave. Sauf que le Liberia est un des pays les plus pauvres du monde et les trois quarts des gens habitent dans des petites maisonnettes faites de brique et de broc. Comme on voit dans le film, la charpente ce sont des branches avec des bouts de bois et la tôle clouée, donc quand il y a des grosses intempéries, il y a clairement la moitié des toits du village qui s’envolent.
L’histoire de Butterfly, la première surfeuse du pays
Comme dans votre premier documentaire, vous avez également mis en avant des surfeuses. Quelle est leur place au sein de cette communauté ?
C’est une petite communauté, ils sont tous potes et ils sont solidaires et traînent ensemble la journée. Même si c’est vrai que Butterfly qui est la première surfeuse du pays, raconte dans le film qu’au début, ils ne la soutenaient pas. Elle se faisait un peu taquiner et malmener par les mecs. Mais là franchement, je n’ai pas du tout ressenti ça. Au contraire, il y a pas mal d’entraides. Les femmes n’ont pas beaucoup d’espace pour pouvoir pratiquer du sport ou juste avoir du temps pour s’épanouir en dehors de la vie de famille, des tâches ménagères. Elles se retrouvent très jeunes, déscolarisées, il y en a beaucoup qui sont mamans adolescentes, mariées, très jeunes, elles doivent s’occuper de la maison pendant que les hommes jouent au foot sur la plage ou font du surf. Et puis le Liberia est un des pays où il y a encore un très, très, très fort pourcentage d’abus sexuel, il y a il y a encore l’excision… Il y a plein de difficultés auxquelles elles doivent faire face et de traumatismes. Donc voir une femme qui va dans l’eau, qui sait nager et qui est capable de prendre une vague qui fait 2 mètres, c’est vraiment badass comme on dit. Je prêche pour ma paroisse mais je suis convaincu du pouvoir de l’océan et du surf pour atténuer les ennuis et s’épanouir.
Est-ce que les habitants filmés dans le premier documentaire ont conscience du succès qu’il a eu ?
Il y a beaucoup de gens qui ont vu le film et qui ont décidé d’aller là-bas. Je ne sais pas exactement si les habitants savent que le film a marché mais ils se rendent bien comptent de l’impact qu’il a eu. Les planches données au surf club, les bourses scolaires. Et puis il y a vraiment un élan autour du surf maintenant au Liberia, comme on peut le voir dans le film. La Fédération Internationale s’y intéresse, entre-temps aussi, la Confédération Africaine de Surf s’est créée. Il y en a plusieurs qui sont allés au Sénégal, en Côte d’Ivoire, qui ont pris l’avion et ont découvert un autre pays, pour aller surfer.
Avez-vous créé des liens spéciaux avec certains de ces surfeurs ?
Il y en a un qui était un peu notre petit pote qui avait 15 ans lors du premier film avec qui je suis vraiment en contact et que je soutiens régulièrement. Je lui ai payé une bourse scolaire l’an dernier et là je l’aide parce qu’il est en train de monter un petit bar donc je lui envoie un petit peu de sous. Je suis tout le temps en contact avec lui, il m’envoie des vidéos des vagues. On est restés vachement potes et j’essaye de le parrainer.
« S’il faut surfer avec un bout de bois, tu surfes avec un bout de bois »
Ces jeunes surfeurs ont-ils des modèles ou des champions qui les font rêver ?
Pendant longtemps, ils avaient vraiment zéro référence. Là maintenant ça y est, ils ont tous des téléphones portables. Il y a de la 3G, 4G dans le dans le village et c’est facile d’être en contact avec eux. Avant, ils n’avaient pas accès au magazine de surf, pas accès à YouTube. Ils sont mordus simplement parce qu’une fois qu’on prend un vague, c’est tellement incroyable qu’ils ont commencé à avoir ce sport dans la peau. Il y a ce truc où ils n’ont pas de référence et c’est hyper rafraîchissant parce qu’ils ne sont pas du tout sujets à l’effet de mode, les codes et les conventions. Là-bas, s’il faut surfer avec un bout de bois, tu surfes avec un bout de bois, parfois ils surfent avec un maillot de foot et un short et un slip, ils s’en foutent en fait, ils ont juste envie d’être dans l’eau et ils s’expriment complètement librement et instinctivement. Et maintenant, ça y est, ils commencent à regarder des vidéos YouTube et ça va les aider à progresser parce qu’il y a des millions de vidéos de surf.
Le documentaire met en avant certains surfeurs qui espèrent atteindre un meilleur niveau et pourquoi pas évoluer dans ce sport. Le surf au Liberia peut-il s’améliorer pour vraiment atteindre un niveau international et faire des compétitions au-delà de l’Afrique de l’Ouest ?
Franchement, je pense parce que c’est le cas au Sénégal où il commence à y avoir de très bons surfeurs. Il y a 15 ans, là-bas, c’était pareil, ils surfaient avec des planches en bois et aujourd’hui, c’est vraiment un sport majeur et ils ont des super surfeurs qui sont sur le tour pro. Donc je pense que ça va arriver au Liberia vu la qualité des vagues, il n’y a pas de raison. Et leur histoire touche tellement à travers le monde qu’ils bénéficient d’aides que d’autres pays n’ont pas alors qu’ils sont presque dans la même situation économique. Et surtout, la nouvelle génération de surfeurs est vraiment talentueuse.
Parmi ces jeunes se trouve justement un enfant que vous avez filmé, surfant sur une planche en bois. La vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux.
C’est un des meilleurs surfeurs du village, un des meilleurs jeunes. Durant notre premier film, je l’avais vu et je me rappelle de lui parce qu’il était tout petit. Reagan, il avait 5 ou 6 ans à l’époque. Et là je l’ai filmé et j’ai mis quelques extraits du film où on le voit. On ne se rend pas compte à quel point ce qu’il fait sur sa planche en bois est difficile. Et Gabriel Medina, qui est trois fois champion du monde de surf, Brésilien, l’a contacté pour lui proposer de le soutenir.
Si les réactions à cette vidéo ont été majoritairement positives, vous avez malgré tout reçu des critiques de la part d’internautes vous accusant de vous servir de lui. Êtes-vous touché par ces remarques ?
Je pense qu’à partir du moment où tu commences à toucher des millions de personnes, il y a toujours des gens qui commentent, des haters, des rageux qui viennent et qui trouvent quelque chose à redire. Mais moi je suis assez droit dans mes bottes et je n’ai rien à me reprocher. Ces gens commentent sans savoir de quoi ils parlent. Rien qu’en lisant la description de la vidéo, on comprend ce qui se passe. Reagan, maintenant, il a trois planches de surf, il a eu des bourses scolaires, il sera sûrement envoyé au Sénégal l’an prochain alors qu’il n’est même pas interviewé dans le film. Je ne lui ai pas demandé de rater une semaine de classe pour venir faire le film. C’est vrai que ça m’a un peu touché. Il y a des fois, j’ai envie de répondre et après je me dis : ne perds pas ton temps parce qu’il y a quand même 90 % de gens qui sont hyper bienveillants. Évidemment, en publiant cette vidéo, j’espérais que ça aide la promotion du film, mais pas que ça devienne quelque chose d’aussi viral.
Vous avez même reçu des commentaires de la part de nombreuses personnalités…
Oui, j’ai reçu des messages de Sharon Stone, Didier Drogba… Moi je suis né et j’ai grandi en Guadeloupe. J’ai grandi imprégné dans cette culture caribéenne et africaine, j’ai des cousins et de la famille nés en Afrique aussi. Je suis assez fan de musique afro-caribéenne, et il y a des chanteurs, des artistes nigérians dont je suis fan qui m’ont contacté aussi, qui veulent soutenir le surf club. Il y a une espèce d’élan autour, des gens veulent aider. Il y a aussi une super modèle britannique qui m’a contacté et qui veut produire un film.
« We The Surfers » est disponible en VOD.
Une collecte de planches est organisée à travers la France. Elles seront envoyées par l’association « Provide the Slide » aux surfeurs de Robertsport.

La collecte de planches se déroule à travers la France cet automne.
© DR