Pendant les Trente Glorieuses, les autorités ne manquaient pas de projets d’aménagement pour « tirer l’Alsace vers le haut » : grandes stations touristiques dans le massif vosgien, chapelet d’usines le long du Rhin et barreaux routiers réguliers les reliant à la plaine ouverte à l’urbanisation, enfin création de golfs pour offrir une « parenthèse verte ». L’industrie triomphante n’a pas emballé tout le monde : dès 1965, l’Association fédérative régionale pour la protection de la nature (AFRPN), qui deviendra Alsace Nature en 1991, s’est demandé pourquoi la remarquable forêt alluviale bordant le Rhin n’était pas considérée autrement qu’une réserve foncière pour l’industrie.
Pionnière dans son genre en France, l’AFRPN a fédéré les premières générations de lanceurs d’alerte, s’est appuyée sur un réseau associatif très dense, s’est nourrie de l’inclination de l’Allemagne voisine pour l’écologie naissante et a brossé un tableau toujours plus précis des enjeux écologiques régionaux. Dans les années qui ont suivi sa création, elle a soutenu ou provoqué pléthore d’initiatives nouvelles, comme la création du tout premier Conservatoire des sites alsaciens en 1975.
L’une des premières ZAD de France
En 1974, la création de l’une des premières ZAD (zone à défendre) de France (après le Larzac), à Marckolsheim, s’est concrétisée par l’occupation du site d’une future usine à plomb par des centaines de militants soucieux des enjeux de pollution et du maintien de la forêt rhénane séculaire. L’événement a permis aux écologistes alsaciens d’acquérir une légitimité et de peser dans le débat.
« Ce que l’on gagne n’est jamais acquis, relativise cependant Maurice Wintz, ancien président d’Alsace Nature. On voit souvent réapparaître des projets qui remettent des acquis en cause, même si nous avons contribué à changer le regard sur la nature. Nous plaidions pour une lecture globale des projets d’aménagement qui ne s’arrête pas aux premiers effets, mais dans la confrontation perpétuelle entre écologie et développement, nous avons toujours joué les boucs émissaires ou les emmerdeurs utiles. »
En l’espace de soixante ans, Alsace Nature s’est ainsi illustrée dans de nombreux combats, parmi lesquels la lutte contre l’enfouissement de déchets ultimes sur le site Stocamine à Wittelsheim près de Mulhouse, le contournement ouest de Strasbourg ou encore la potabilité de l’eau.