Par

Maxime T’sjoen

Publié le

4 nov. 2025 à 19h20

C’est la question qui fâche de ces derniers jours et il y a de quoi. Comment « des objets qu’utilisent des pédocriminels pour s’entraîner parfois, avant de faire des sévices sur des enfants » selon les mots de Sarah El Haïry, haute-commissaire à l’Enfance, ont pu se retrouver en vente sur les plateformes Shein et AliExpress ?
Rappel des faits, samedi 1ᵉʳ novembre 2025, la direction générale de la Répression des fraudes (DGCCRF) annonce avoir signalé à la justice la vente de « poupées sexuelles d’apparence enfantine » sur le site de Shein. L’autorité décide alors d’élargir « ses investigations à d’autres plateformes de e-commerce largement fréquentées par les consommateurs français ».
Résultat, lundi 3 novembre, la DGCCRF saisit le procureur de la République après avoir constaté la commercialisation de poupées sexuelles à caractère pédopornographique, aussi, par AliExpress

Pas la première fois

Ce n’est pas une première. En 2020, Amazon avait déjà été pointé du doigt pour la commercialisation de poupées similaires. Un acheteur, le seul repéré en France, avait été jugé puis condamné, comme le relatait notre rédaction Les informations dieppoises.

« Amazon n’avait pas été condamné, et l’affaire n’avait pas fait la Une comme aujourd’hui », relate Martine Brousse, présidente fondatrice de La Voix de l’Enfant, sollicitée par actu.fr.

« Je veux qu’on aille jusqu’au bout de la chaîne cette fois-ci. Il y en a marre parce que ce ne sont pas des objets comme les autres », a insisté Sarah El Haïry.

Ce constat, néanmoins, est aussi un aveu. Celui de ne pas être allé assez loin pour éviter que des poupées, dont la « description et [la] catégorisation sur le site permettent difficilement de douter du caractère pédopornographique des contenus », soient de nouveau accessibles sur un site grand public.

Arnaud Gallais, président de Mouv’Enfants, un mouvement de lutte contre toutes les formes de violence faites aux enfants, insiste sur un point auprès d’actu.fr : « Chez Joël Le Scouarnec (médecin qui a fait plus de 300 victimes, NDLR.), il y avait une collection de poupées similaires. »

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Enquête chez Shein

Alors comment remonter la chaîne qui amène à la commercialisation de ces poupées ? Shein et AliExpress ont rapidement retiré les poupées de leur site français (Shein les a ensuite retirées de toutes ses plateformes) et d’autres acteurs sont évidemment accusés. Mais ce sont ces géants qui sont principalement pointés du doigt, censés être responsables de leur site.

Shein assure avoir lancé une « enquête » interne « sur la manière dont ces annonces ont pu contourner nos dispositifs de contrôle« , ainsi qu’ »une revue complète afin d’identifier et de retirer tout produit similaire susceptible d’être mis en vente par d’autres vendeurs tiers ».

Comme Shein n’a pas d’usine à son nom, c’est bien au moment de la mise en ligne de l’objet qu’il y aurait eu un raté.

Des défaillances graves pour une plateforme qui comptait, en moyenne, plus de 4000 nouveaux produits par jour, entre novembre 2022 et novembre 2023.

Car Shein, c’est la démesure. Cela peut déjà poser des questions individuelles sur l’éthique, l’écologie, mais quand l’ignoble s’ajoute à l’excès, il n’est plus question de débattre. « Shein est dans l’illégalité« , dénonce Arnaud Gallais, président de Mouv’Enfants.

Shein a finalement retiré les poupées de toutes ces plateformes

Dans un premier temps, Shein n’avait retiré que ces poupées de la plateforme France de Shein. C’est ce qu’avait constaté l’association Mouv’Enfants, dénonçant qu’il était toujours possible de les commander, en utilisant un VPN, sur la version britannique ou chilienne de la plateforme.

Les plateformes oui, mais pas que

« Le problème, ce sont les plateformes. Mais qui a mis en ligne ces poupées et qui les fabrique ? », questionne une spécialiste du sujet, désireuse de rester anonyme. 

Les premiers responsables, ce sont ceux qui achètent et vendent.

Martine Brousse
Présidente fondatrice de La Voix de l’Enfant

Sarah El Haïry ne dit pas autre chose : « Mon enjeu aujourd’hui, ce sont les fournisseurs » (de ces poupées) mais aussi « les hommes qui détiennent ces horreurs, ces ignominies, à leur domicile, et qui peut-être ont des enfants qui dorment dans la chambre d’à côté », a-t-elle dit.

Car s’il y a des vendeurs, c’est qu’il y a des acheteurs.

Combien de poupées ont été vendues ? Ces personnes sont susceptibles de commettre un délit. […] La Justice doit demander l’identité des acheteurs à Shein, et il doit y avoir une enquête sur eux.

Arnaud Gallais
Président de Mouv’Enfants

Sur ces derniers, le porte-parole de Shein, Quentin Ruffat, a affirmé sur RMC que la marque « collaborera à 100 % avec la justice » et se dit prêt à partager les noms des acheteurs des poupées en question.

« Il faut récupérer le fichier et que la Justice soit courageuse », plaide Martine Brousse, de La Voix de l’Enfant, qui confirme que l’association de protection de l’enfance porte plainte avec la haute-commissaire à l’Enfance, Sarah El Haïry. 

La difficile traque des fabricants

Concernant ceux qui fabriquent ces poupées, difficile de savoir qui ils sont. Néanmoins, pour Martine Brousse, ces « poupées sont fabriquées à l’autre bout du monde, par des entreprises qui exploitent », notamment des enfants.  

« Il faut des mesures européennes et internationales. Tout le système doit lutter contre la pédocriminalité », insiste-t-elle.

La France, avec un minimum de volonté, pourrait agir sur toute la chaîne.

Arnaud Gallais
Président de Mouv’Enfants

Une source anonyme confirme : « Il faut remonter la chaîne, se donner les moyens. Quelle est la société qui récupère l’argent ? Il n’y a pas de volonté de politique. »

La menace de la fermeture des plateformes

Alors forcément, la fermeture de Shein et AliExpress permettrait d’éviter ce genre de commercialisation, sans prémunir d’une récidive sur une autre plateforme. La menace est brandie par Roland Lescure, ministre de l’Économie.

Pour des actes terroristes, pour le trafic de stupéfiant et pour des objets pédopornographiques, le gouvernement est en droit de demander l’interdiction de l’accès au marché français.

Roland Lescure
Ministre de l’Économie

Pour Arnaud Gallais, « c’est scandaleux ». « Roland Lescure offre une seconde chance à Shein alors que la plateforme a vendu des poupées sexuelles à de potentiels prédateurs. C’est inacceptable. La France est trop permissive, ici, on s’en fout de la pédocriminalité », enrage le président de Mouv’Enfants, qui demande de réelles sanctions.

Demain, mercredi 5 novembre 2025, Shein ouvrira un vaste espace au BHV à Paris. Une première mondiale. « Un message désastreux », pour Arnaud Gallais. « Les victimes des pédocriminels, elles, n’ont pas de seconde chance. »

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