À Paris, le BHV Marais risque de connaître une journée des plus mouvementées ce mercredi. À 13 heures, l’enseigne chinoise de fast-fashion Shein doit officiellement ouvrir son premier point de vente dans la capitale, un mois après l’annonce de son arrivée par le patron du grand magasin Frédéric Merlin dans nos colonnes.
Depuis, le BHV s’est attiré les foudres de responsables politiques, de consommateurs et autres acteurs du marché. Retour sur cinq semaines de polémiques, où la tension n’a fait que s’accentuer jour après jour.
Comment et quand l’affaire a-t-elle démarré ?
Tout commence le 1er octobre dernier. Ce jour-là, Frédéric Merlin, à la tête du groupe SGM (Sociétés des grands magasins), qui possède le BHV de Paris, annonce l’arrivée début novembre de Shein au sixième étage du grand magasin de la rue de Rivoli (IVe arrondissement de Paris).
D’une surface de 1 000 m2, il doit s’agir du premier point de vente permanent de Shein au monde. Jusqu’ici, la plate-forme n’avait ouvert que des pop-up stores, notamment à Dijon (Côte-d’Or) l’été dernier, et déjà à Paris en 2023. En parallèle de l’ouverture au BHV, Shein doit également avoir pignon sur rue dans cinq des Galeries Lafayette de la SGM (Dijon, Grenoble, Reims, Limoges et Angers) — qui devront par conséquent changer de nom.
Dans la foulée de cette annonce, qui intervient alors que le BHV connaît d’importantes difficultés financières depuis plusieurs mois, les réactions sont vives. Et très nombreuses.
Qu’est-ce qui est reproché à Shein ?
Cette annonce a ravivé les critiques récurrentes à l’encontre du géant chinois de la mode, dont le modèle repose sur l’ultra fast-fashion. En vendant ses produits à des prix dérisoires, Shein se distingue certes. Mais derrière ces prix très attractifs, l’enseigne est pointée du doigt pour plusieurs raisons.
D’abord, Shein produit beaucoup, pour ne pas dire énormément. Une production massive de produits à faible durabilité qui génère une quantité colossale de déchets textile et une empreinte carbone désastreuse. De plus, l’entreprise est accusée par plusieurs ONG de faire travailler ses sous-traitants dans des conditions de travail abusives, avec notamment des salaires dérisoires et des horaires indécents.
À la vue de l’arrivée de Shein dans le mythique BHV, de nombreuses voix se sont alors levées. Une pétition demandant l’annulation de ce partenariat a été lancée, d’autres marques présentes dans le grand magasin se sont également désolidarisées et de nombreux élus locaux ont fait part de leur désaccord, tout comme les salariés du BHV, qui ont fait grève.
Cette annonce a-t-elle eu des conséquences pour le BHV ?
Au-delà des réactions massives et de la grève, le BHV s’est empêtré dans une crise bien plus large. Rapidement, les rayons du grand magasin ont vu de nombreuses marques plier bagage. Odaje, le Slip Français ou encore EMDE… Elles n’ont pas attendu l’arrivée de Shein pour quitter le lieu. Disneyland, qui devait ouvrir un magasin éphémère et décorer les vitrines du BHV à l’approche de Noël, a également annulé sa venue.
Surtout, ces marques dénoncent des impayés massifs et récurrents de la part de la Société des grands magasins. Des sommes allant de dizaines à des centaines de milliers d’euros seraient dues, certaines enseignes n’ayant touché aucun centime depuis des mois. Pour certaines, l’arrivée de Shein, censé redynamiser le lieu, a surtout été vue d’un très mauvais œil et a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Mais pour le BHV, exclu depuis de la fédération des grands magasins, le coup le plus dur est arrivé une semaine après l’annonce de la venue de Shein. Le 8 octobre, la Banque des territoires, une entité de la Caisse des Dépôts, a annoncé retirer son offre alors qu’elle était en négociations depuis juin pour le rachat des murs du grand magasin, estimés à 300 millions d’euros. Dans un communiqué, la Banque des territoires a dénoncé une « rupture de confiance » avec le BHV, désormais privé d’un partenaire financier majeur.
Que répondent les patrons du BHV ?
Pendant un mois, Frédéric Merlin est resté silencieux. Après ce long mutisme et une affiche pleine de provocation installée sur la devanture du BHV le week-end dernier, il a finalement pris la parole vendredi dans un long message sur Instagram, affirmant qu’il « refuse de céder » à la pression et à la contestation. Shein aura bien son magasin au BHV à partir du mercredi 5 novembre.
Son argumentaire est clair : le partenariat est nécessaire pour la pérennité du BHV. Shein doit permettre d’attirer une nouvelle clientèle, notamment plus jeune, afin de dynamiser le grand magasin. En réponses aux reproches adressés à Shein, le Lyonnais promet un « cadre maîtrisé, avec une vérification rigoureuse de la provenance des produits ».
La révélation de la vente de poupées pédopornographiques a-t-elle changé quelque chose ?
La polémique a pris une nouvelle dimension avec la révélation de la vente de poupées sexuelles d’apparence enfantine sur le site de Shein. Un nouveau scandale, quelques jours seulement avant l’ouverture au BHV.
Si jusqu’alors l’arrivée du géant chinois dans le magasin était un sujet purement parisien, ou presque, cette nouvelle affaire a eu un retentissement national, le ministre de l’Économie Roland Lescure ayant menacé « d’interdire l’accès de la plate-forme » au marché français en cas de récidive. L’enseigne chinoise est par ailleurs convoquée à l’Assemblée nationale pour s’expliquer.
De son côté, Frédéric Merlin a dénoncé sur Instagram une pratique « indécente » et « inacceptable », soulignant les « dérives d’un système où aucune plate-forme n’est vraiment encadrée » et précisant que seuls les vêtements Shein conçus et produits pour le BHV y seront vendus.
Malgré cette nouvelle crise éthique, l’arrivée de Shein au BHV aura bien lieu ce mercredi à 13 heures. Très certainement dans un climat tendu, après l’action coup de poing des militants de la protection de l’enfance lundi. Avant l’ouverture, plusieurs élus locaux doivent prendre la parole aux alentours du BHV.